Page:Zola - Travail.djvu/305

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cela, une désapprobation dans son attitude, presque de la lassitude et du découragement. Luc en souffrait beaucoup, désespéré qu’un tel homme, qu’il avait en grande estime, dont il connaissait l’héroïsme, pût s’écarter si vite. Si celui-là cessait de croire, était-ce donc que l’œuvre fût mauvaise  ?

Tous deux s’en expliquèrent un soir, à la porte des ateliers, sur un banc. Ils s’étaient rencontrés, comme le soleil se couchait, dans un grand ciel calme, et ils s’assirent, et ils causèrent.

«  C’est bien vrai, monsieur Luc, répondit franchement Bonnaire à une question, j’ai de grands doutes sur votre succès. Vous vous rappelez, d’ailleurs, que je n’ai jamais eu vos idées et que votre tentative m’a toujours paru fâcheuse, au point de vue des concessions. Si je m’y suis prêté, c’est comme à une expérience. Mais plus les choses marchent, plus je vois que je n’avais pas tort. L’expérience est faite, il va falloir tenter autre chose, agir révolutionnairement.

— Comment, l’expérience est faite  ! s’écria Luc. Eh  ! nous ne faisons que la commencer  ! Elle demandera des années, plusieurs vies d’homme peut-être, un effort séculaire de bonne volonté et de courage. Et c’est vous, mon ami, vous l’énergique, le brave, qui doutez si vite  !   » Il le regardait, dans sa carrure de colosse, avec sa large face paisible, où se lisait tant de force honnête. Mais l’ouvrier hocha doucement la tête.

«  Non, non, la bonne volonté et le courage n’y feront rien. C’est votre méthode qui est trop douce, qui compte trop sur la sagesse des hommes. Votre association du capital, du talent et du travail ira cahin-caha toujours, sans jamais rien fonder de solide et de définitif. Le mal en est arrivé à un tel degré d’abomination, qu’il devient nécessaire de le guérir par le fer rouge.

— Alors, que faut-il donc faire, mon ami  ?