Page:Zola - Travail.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mais si triste, comme toutes les silencieuses et les dévouées. Certainement, elle n’avait jamais été pour Luc qu’une intelligente, une bienfaisante, une heureuse.

«  Tu comprends, petite sœur, s’il est devenu ton frère, ainsi que moi, il ne peut t’aimer d’amour comme il aime Josine. Ça ne lui est pas venu à l’esprit. Mais il t’aime tout de même beaucoup, il t’aime davantage, autant que je t’aime.  »

Cela révolta Sœurette. Il y eut en elle un soulèvement de tout son pauvre être amoureux, qui lui fit crier sa détresse d’amante, au milieu d’un redoublement de sanglots.

«  Non, non  ! il ne m’aime pas davantage, il ne m’aime pas tout. Ce n’est pas aimer une femme que de l’aimer en frère, lorsque je souffre ce que je souffre, en voyant bien qu’il est perdu pour moi. Si tout à l’heure encore je ne savais rien de ces choses, je les devine à présent que je me sens mourir.  »

Jordan s’émouvait avec elle, retenait les larmes qui lui montaient aux yeux.

«  Petite sœur, petite sœur, tu me fais une peine infinie, et ce n’est guère raisonnable de te rendre ainsi malade, avec un pareil chagrin. Je ne te reconnais pas, toi, si calme, toi si sage, qui comprends si bien quelle fermeté d’âme il faut opposer aux misères de l’existence.  »

Et il voulut la raisonner.

«  Voyons, tu n’as aucun reproche à faire à Luc  ?

— Oh  ! non, aucun. Je sais qu’il a beaucoup d’affection pour moi. Nous sommes de très grands amis.

— Alors, que veux-tu  ? il t’aime comme il peut t’aimer, tu as tort de te fâcher contre lui.

— Mais je ne me fâche pas  ! Je n’ai de haine contre personne, je n’ai que de la souffrance.  »

Les sanglots la reprirent, un nouveau flot de détresse la submergea, en lui arrachant le continuel cri  :