Page:Zola - Travail.djvu/368

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Alors, qui lui envoyer, où choisir le délateur, l’empoisonneur  ? Découragée, elle ne trouva personne, et la nuit vint, comme elle cherchait toujours, fiévreuse, la tête malade de cette tragédie dont elle ne savait comment amener le dénouement.

Pourtant lorsqu’elle se coucha, de bonne heure, vers dix heures, elle avait de nouveau pris une décision. Le lendemain, elle ferait venir Ragu, sous le prétexte de lui demander s’il consentait à ce que sa femme fît des journées de couture chez elle  ; et, quand il serait là, seul, à causer, peut-être elle-même trouverait-elle une occasion de tout lui dire. Mais cela ne la satisfaisait pas encore, en l’emplissant d’inquiétudes sur les conséquences d’une telle révélation, faite en bas, dans le cabinet de son mari absent. Elle était heureuse de cette absence, elle tenait tout le grand lit de son corps souple, allongeant ses membres brisés de fièvre. Et elle finit par s’endormir, reprise de doute, ne sachant plus ce qu’elle ferait, si accablée de lassitude, que, jusqu’à cinq heures du matin, elle ne bougea pas, souffla seulement d’un petit souffle d’enfant. Comme cinq heures sonnaient à la pendule, elle s’éveilla tout d’un coup, et, restée sur le dos, les yeux grands ouverts, dans les ténèbres de la chambre, elle reprit ses réflexions au point où elle les avait quittées, elle résolut le problème immédiatement, avec une audace, avec une netteté extraordinaires. C’était bien simple, elle devait se rendre elle-même à l’usine, sous le prétexte déjà imaginé, puis laisser tomber le mot irréparable, au courant de la conversation. Justement, elle s’était renseignée, elle savait que Ragu travaillait cette nuit-là  ; de sorte qu’au jour, vers sept heures, elle pourrait descendre, elle le surprendrait au moment où les équipes de jour remplaçaient les équipes de nuit. Dans la fièvre qui l’avait reprise, elle ne discutait plus, elle avait l’absolue certitude de tenir la solution la meilleure,