Page:Zola - Travail.djvu/401

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louche, aux aguets de la victoire du plus fort, continuellement prêt à une trahison, se retournant avec l’aisance d’un gaillard qui n’aime point la défaite. Et qu’il se fût mis si aisément du côté de la Crêcherie, cela doubla l’angoisse des gens inquiets, travaillés du besoin de prendre parti au plus tôt. Tout un mouvement d’adhésions s’indiquait, qui devait aller en s’accélérant avec la force décuplée de la vitesse acquise. La belle Mme Mitaine, la boulangère, n’avait pas attendu la conversion de Caffiaux pour trouver très bien ce qui se passait à la Crêcherie, et elle était disposée à entrer dans l’association, quoique sa boulangerie fût restée florissante, grâce au renom de beauté et de bonté dont elle l’avait rendue populaire. Seul, le boucher Dacheux s’entêtait, dans la fureur sombre de la débâcle de toutes ses idées. il disait qu’il préférait mourir, au milieu de ses derniers quartiers de viande, le jour où il ne trouverait plus un bourgeois pour les lui acheter à leur prix  ; et cela paraissait devoir se réaliser, sa clientèle le quittait peu à peu, il était pris de telles rages, que l’apoplexie sûrement le menaçait, en coup de foudre.

Dacheux, un jour, se rendit chez les Laboque, où il avait supplié Mme Mitaine de se rendre également. Il s’agissait, disait-il, des intérêts moraux et commerciaux de tout le quartier. Le bruit courait que les Laboque, pour éviter la faillite, étaient sur le point de faire la paix avec Luc et de s’associer, de façon à devenir simplement les dépositaires de la Crêcherie. Depuis que celle-ci échangeait directement ses fers et ses aciers, ses outils et ses machines, contre le pain des Combettes et des autres villages syndiqués, ils avaient perdu leurs meilleurs clients, les paysans des environs, sans compter les petites ménagères, les bourgeoises de Beauclair elles-mêmes, qui réalisaient de grandes économies en se fournissant aux magasins de l’usine, dont Luc avait eu l’idée victorieuse