Page:Zola - Travail.djvu/419

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en bon travailleur. Depuis, l’Abîme n’avait fait que décliner, Ragu l’avait souillé d’un assassinat, Bourron, Fauchard et les autres le quittaient à présent, comme un lieu de ruine et de malédiction. Au loin, la ville naissante flamboyait toujours sous le soleil et il fut envahi d’une colère brusque, dont la violence le rendit à lui-même aux croyances de toute sa vie. Non, non  ! il avait eu raison, la vérité était dans le passé, on ne tirait rien des hommes qu’en les pliant sous l’autorité du dogme, le salariat restait la loi du travail, en dehors de laquelle il n’y avait que démence et que catastrophe. Et il ferma les grands rideaux de cretonne, il ne voulut plus voir, alluma sa petite lampe électrique, se remettant à réfléchir dans cabinet bien clos, que la cheminée embrasée chauffait d’une grosse chaleur.

Parés son dîner, Delaveau s’assit enfin à son bureau, pour écrire les lettres, tout le salut dont il mûrissait le plan depuis des heures.

Minuit sonnait qu’il était encore là, achevant cette correspondance si lourde, si pénible, et des doutes lui étaient venus, toute crainte de nouveau l’emplissait  : était-ce vraiment le salut, que ferait-il ensuite, en admettant même qu’on lui accordât les délais demandés  ? Écrasé de fatigue, dans l’effort surhumain qu’il tentait pour sauver l’Abîme, il avait laissé tomber son front entre ses deux mains, il restait plongé dans une angoisse immense. Et, à ce moment, il y eut un bruit de voiture, des voix se firent entendre, c’était Fernande qui revenait de son dîner de la Guerdache et qui envoyait les bonnes se coucher.

Lorsqu’elle entra dans le cabinet, elle avait le geste brusque, la parole nerveuse d’une femme hors d’elle, contenant et remâchant sa colère.

«  Mon Dieu  ! qu’il fait chaud ici  ! Est-il possible de vivre avec un feu pareil  ?   »

Et elle se renversa dans un fauteuil, elle dégrafa et