Page:Zola - Travail.djvu/423

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il la regardait de ses gros yeux bruns, la face congestionnée par le grand feu, à demi perdue dans le collier de barbe noire.

«  Ma chère amie, tu avais raison, ne parlons pas de ces choses, car tu me parais ce soir peu raisonnable… Tu le sais, je t’aime bien je suis prêt à tous les sacrifices pour que tu ne souffres pas. Mais je l’espère, tu te résigneras à faire comme moi, qui vais me battre jusqu’au dernier souffle… S’il le faut, je me lèverai dès cinq heures je vivrai d’une croûte de pain je donnerai à notre œuvre ma journée entière de dur effort, et je me coucherai encore très content le soir… Mon Dieu  ! quand tu porterais des robes plus simples et que tu te promènerais à pied  ! Tu me disais l’autre soir ta lassitude ton dégoût de ces plaisirs toujours les mêmes.  »

C’était vrai. Ses yeux bleus, si caressants, s’assombrirent encore, devinrent presque noirs. Depuis quelque temps, elle se sentait ravagée, peu à peu détruite par son désir éperdu, qu’elle ne savait plus comment assouvir. L’effroyable volupté, goûtée sous le viol de Ragu, dans l’étreinte de ce brutal fou de vengeance et de rage, encore suant de sa besogne, la peau brûlée par le four, les muscles durcis par le ringard, ardent et odorant, sentant le roussi diabolique de l’enfer, la hantait, aiguillonnait en elle la curieuse et la perverse d’un besoin exaspéré de sensations nouvelles. Jamais elle n’avait connu un spasme si aigu, aux bras du travailleur Delaveau et de l’oisif Boisgelin, l’un toujours pressé, préoccupé, l’autre si correct presque indifférent. Aussi éprouvait-elle une sourde rancune contre ces gens qui ne l’amusaient plus, prise d’une colère grandissante, à la pensée que jamais plus personne ne l’amuserait. C’était pourquoi elle venait d’accueillir avec un mépris insultant les doléances de Boisgelin, quand il lui avait confié ses ennuis, son désespoir d’être forcé de diminuer son train. Et c’était