Page:Zola - Travail.djvu/438

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fond qu’un pauvre être, homme de cheval et de cercle, médiocre aimable, dont la belle prestance, la haute mine correcte, monocle à l’œil, s’effondrait, au premier souffle tragique de la vérité et de la justice. Jusque-là, installé carrément dans son plaisir, convaincu qu’il lui était dû, n’ayant jamais rien fait de ses dix doigts et se croyant un être à part, élu, privilégié, né pour que le travail des autres le nourrît et l’amusât, comment aurait-il compris la logique catastrophe qui l’écrasait  ? La religion de son égoïsme recevait un choc trop rude, il restait éperdu devant l’avenir dont il ignorait l’inquiétude. Au fond de son effarement, il y avait surtout la terreur de l’oisif de l’entretenu, que bouleverse l’incapacité où il se sent de gagner vie. Puisque Delaveau n’était plus là, de qui donc exigerait-il les bénéfices que son cousin lui avait promis, le jour où il l’avait déterminé à mettre son capital dans la bonne spéculation de l’Abîme  ? L’usine était brûlée, le capital avait sombré sous les décombres, où trouverait-il de quoi vivre demain  ? Et il marchait comme un fou, par les jardins déserts, par la maison lugubre, sans trouver la réponse.

D’abord, au soir du drame, Boisgelin fut hanté par l’effroyable fin de Delaveau et de Fernande. Lui ne pouvait avoir de doute, car il se souvenait de quelle façon rageuse elle l’avait quitté, en proférant des menaces contre son mari. C’était certainement à la suite de quelque scène atroce que Delaveau avait lui-même incendié la maison, afin de s’anéantir avec la coupable. Et il y avait là, pour un simple jouisseur comme Boisgelin, une férocité noire, une violence de monstrueuses passions, dont l’effroi persistait’gâtait sa vie. Ensuite ce qui l’acheva, ce fut de comprendre qu’il n’avait pas la tête solide, l’énergie nécessaire pour mettre un peu d’ordre dans une affaire si compliquée et si compromise. Du matin au soir, il roulait des projets, sans savoir auquel s’arrêter. Devait-il chercher à