Page:Zola - Travail.djvu/458

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— Vous voulez que M. Luc vienne vous voir, vous désirez lui parler, grand-père  ?

— Oui, oui, c’est cela… Qu’il vienne tout de suite, je lui parlerai.  »

La surprise de Suzanne augmentait, avec le sourd effroi dont elle était envahie. Que pouvait vouloir dire M. Jérôme à Luc  ? Cela lui paraissait si gros d’hypothèses pénibles, qu’un instant elle tâcha d’éluder ce désir, en y voyant seulement une imagination délirante. Mais il avait bien toute sa raison, il la suppliait d’un élan plein de ferveur, irrésistible, où il épuisait les dernières forces de son pauvre être infirme. Et elle finit par être profondément troublée, trouvant là un cas de conscience, se demandant si elle serait pas coupable en refusant à un moribond une entrevue d’où sortiraient peut-être les choses menaçantes et obscures dont elle sentait le frisson.

«  Vous ne pouvez pas me parler, à moi, grand-père  ?

— Non, non, à M. Luc… Je lui parlerai tout de suite, oh  ! tout de suite  !

— C’est bien, grand-père, je vais lui écrire, et j’espère qu’il viendra.  »

Mais, quand Suzanne l’écrivit, cette lettre à Luc, sa main trembla. Elle ne traça que deux lignes  : «  Mon ami, j’ai besoin de vous, venez tout de suite.  » Et, à deux reprises, elle dut s’arrêter, la force lui manquait pour aller au bout de ces quelques mots, tellement ils éveillaient de souvenirs en elle, toute sa vie perdue, le bonheur à côté duquel elle avait passé, et qu’elle ne connaîtrait jamais. Il était à peine dix heures du matin, un petit domestique partit avec la lettre, pour la porter à la Crêcherie.

Justement, Luc se trouvait devant la maison commune, achevant son inspection matinale, lorsque la lettre lui fut