Page:Zola - Travail.djvu/46

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l’Abîme. Et l’on entendait le petit clapotis de l’enfant dans la boue, tandis que, d’une étreinte plus courte, il relevait le pain bien haut, pour ne pas le salir.

« Tu sais où tu vas ?

— Bien sûr.

— Et c’est loin, où tu vas ?

— Non, c’est quelque part. »

Une crainte vague devait reprendre Nanet, il ralentissait le pas. Pourquoi donc le monsieur cherchait-il à savoir ? Le petit homme, qui se sentait l’unique protecteur de sa grande sœur, cherchait à ruser. Mais Luc, comprenant, voulant lui montrer qu’il était un ami, joua, l’enleva d’une brusque embrassade, au moment où l’enfant, avec ses courtes jambes, manquait de culbuter dans une flaque.

« Houp là ! mon bonhomme, faut pas mettre de la confiture sur ton pain ! »

Conquis, ayant senti la bonne chaleur de ces grands bras fraternels, Nanet éclata de son rire insoucieux d’enfance, tutoyant du coup son nouvel ami.

« Oh ! tu es fort et gentil, toi ! »

Et il continua de trotter, sans s’inquiéter davantage. Mais où donc avait pu se terrer Josine ? La route se déroulait, Luc croyait la reconnaître, attendant, dans l’ombre immobile de chaque tronc d’arbre. On approchait de l’Abîme, les coups du marteau-pilon ébranlaient déjà le sol, tandis que les alentours s’éclairaient de la nuée embrasée des vapeurs, que traversaient de grands rayons électriques. Et Nanet, sans dépasser l’usine, tourna, prit le pont, traversa la Mionne. Luc se trouvait ainsi ramené au point même de sa première rencontre, le soir. Puis, soudain, l’enfant galopa, et il le perdit, il l’entendit qui disait, repris d’un rire joueur :

« Tiens, ma grande ! tiens, ma grande ! vois donc ça ! c’est ça qui est beau ! »