Page:Zola - Travail.djvu/464

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pas un mot ne fut échangé entre les deux hommes, dont les yeux plongeaient les uns dans les autres. Autour d’eux, la chambre, aux épaisses tentures, aux meubles massifs, semblait dormir, sous l’étouffement de son luxe lourd. Pas un bruit, pas un souffle, rien que le frisson qui venait, au travers des murs, du vide des grands salons fermés des étages entiers abandonnés à la poussière. Et rien n’était plus tragique ni plus solennel que cette attente.

Enfin, Suzanne reparut, en amenant Boisgelin, qui justement rentrait. Il était encore guêtré, ganté, en veste de chasse, car elle ne lui avait pas laissé le temps de mettre un veston d’appartement. Et il entra l’air anxieux, ahuri de tomber dans une telle aventure. Ce que sa femme venait de lui dire rapidement, Luc appelé par M. Jérôme, Luc chez lui, dans la chambre du vieillard, qui renaissait à l’intelligence, qui l’attendait pour parler, tous ces événements imprévus le bouleversaient, le jetaient à un trouble extrême, sans qu’il eût même quelques minutes de réflexion.

«  Eh bien  ! grand-père, dit Suzanne, voilà mon mari. Parlez, si vous avez quelque chose à nous dire. Nous vous écoutons.  »

Mais, une fois encore, le vieillard chercha dans la chambre, et ne trouvant pas, il demanda  :

«  Paul, où est Paul  ?

— Vous voulez aussi que Paul soit là  ?

— Oui, oui, je veux  !

— C’est que Paul doit être à la Ferme. Ça va demander un grand quart d’heure.

— Il le faut, je veux, je veux  !   »

On céda, on envoya en hâte un domestique. Et, cette fois l’attente fut encore plus solennelle et plus tragique. Luc et Boisgelin s’étaient simplement salués, sans trouver une parole à se dire, après tant d’années, dans cette chambre