Page:Zola - Travail.djvu/467

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au vent de l’avenir. Et il disait pourquoi, il jugeait et réparait.

Ce fut, d’abord, le premier Qurignon, l’ouvrier étireur, créant l’Abîme, avec quelques camarades, aussi pauvre qu’eux, plus adroit et plus économe sans doute. Ensuite, ce fut lui, le deuxième Qurignon, qui gagna la fortune, les millions entassés, dans une lutte opiniâtre, où il se montra un héros de la volonté, de l’effort constant et intelligent. Mais, s’il avait accompli des prodiges d’activité et de génie créateur, s’il avait gagné l’argent par une admirable entente des conditions de la production et de la vente, il savait bien qu’il était un simple aboutissant, que de longues générations de travailleurs œuvraient en lui, faisaient en lui sa force et son triomphe. Quel nombre avait-il fallu de paysans suant sur la glèbe, d’ouvriers usés par l’outil, pour aboutir aux deux premiers Qurignon, conquérants de la fortune  ? Chez eux s’était amassé l’âpre besoin de lutter, de s’enrichir, de monter d’une classe, le lent affranchissement du misérable courbé sur la besogne, dans la servitude. Et, enfin, voilà qu’un Qurignon était assez fort pour vaincre, s’échapper de la geôle, acquérir la richesse tant souhaitée, être un riche, un maître à son tour  ! Et, tout de suite après, voilà qu’en deux générations, la descendance périclitait, retombait aux luttes douloureuses, affaiblie déjà par la jouissance, dévorée par elle comme par une flamme  !

«  Il faut rendre, il faut rendre, il faut rendre…  »

C’était son fils Michel qui, après des folies, se tuait, la veille d’un jour d’échéances. C’était son autre fils Philippe, marié à une drôlesse, qui, ruiné par elle, laissait la vie dans un duel imbécile. C’était sa fille Laure, mourant plus tard au couvent, inféconde, la tête affaiblie de visions mystiques. C’étaient ses deux petits-fils André, fils de Philippe, rachitique, à demi fou, s’éteignant au fond d’une maison de santé, et Gustave, fils de Michel, allant périr