Page:Zola - Travail.djvu/49

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Et elle continua à dire son histoire, et Luc n’eut plus qu’à poser encore quelques questions, pour tout savoir. C’était l’histoire banale et poignante de tant de pauvres filles : un père qui s’en va, qui disparaît avec une autre femme ; une mère qui reste avec quatre enfants sur les bras, qui n’arrive pas à les nourrir, bien qu’elle ait la chance d’en perdre deux ; et, alors, la mère meurt de la besogne trop rude, la fille devient la petite maman de son frère, dès l’âge de seize ans, se tue à son tour de travail, sans parvenir à toujours gagner du pain pour elle et pour lui. Puis c’est le drame inévitable de l’ouvrière jolie, le séducteur qui passe ce Rafiau beau mâle, bourreau des cœurs, au bras duquel elle a eu le tort de se promener chaque dimanche, après la danse. Il faisait de si belles promesses, elle se voyait épousée, ayant un joli chez elle, élevant son frère avec les enfants qui lui viendraient. Sa seule faute est de s’être abandonnée, un soir de printemps, dans un bois, derrière la Guerdache. Même elle ne sait plus bien jusqu’à quel point elle était consentante. Il y a six mois de cela, elle a commis la seconde faute de vivre chez Ragu, qui ne lui a plus parlé de mariage. Puis, son accident lui est arrivé à la cordonnerie, elle n’a pu continuer son travail, juste au moment où la grève rendait Ragu si terrible, si méchant, qu’il s’est mis à la battre, en l’accusant de sa misère. Et ça s’est gâté de plus en plus, et maintenant voilà qu’il la jetait au trottoir, qu’il ne voulait même pas lui donner la clé, pour qu’elle rentrât se coucher, avec Nanet.

Une pensée obsédait Luc.

« Si vous aviez un enfant, cela l’attacherait peut-être, il se déciderait à vous épouser. »

Elle se récria, eut un geste de crainte.

« Un enfant avec lui, ah ! grand Dieu, ce serait le dernier des malheurs… Comme il le répète, pas de fil à la patte ! Il n’en veut pas, il a bien soin de s’arranger