Page:Zola - Travail.djvu/502

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sans fin possible, contre la Crêcherie, il y avait surtout beaucoup de la haine dont elle poursuivait Josine. Jamais elle n’avait pardonné à «  cette fille  » son union avec Luc, l’exaltation de chance heureuse où elle la voyait, femme du héros aime de tous, mère de beaux enfants qui grandissaient pour le bonheur. Et dire qu’elle se souvenait des jours où la misérable créature mourait de faim, jetée à la rue par son frère  ! Maintenant, elle se croyait écrasée par elle, quand elle la rencontrait coiffée d’un chapeau, comme une dame. Et c’était là ce bonheur d’une autre qu’elle n’accepterait jamais.

«  Josine, dit-elle avec brutalité, au lieu de s’occuper des mariages qui ne la regardent pas, ferait mieux de faire oublier les siens célébrés la semaine des quatre jeudis… Et puis, vous m’agacez tous, fichez-moi la paix  !   »

Elle quitta la pièce, fit claquer la porte, les laissant dans un silence embarrassé. Ce fut Babette qui se mit à rire la première habituée aux façons de son amie, qu’elle avait l’indulgence sereine de trouver brave femme, quoique mauvaise tête. Des larmes étaient montées aux yeux de Lucien, car c’était sa vie dont on disputait ainsi, au milieu de tant de méchante humeur. Mais son père lui serra la main amicalement, comme pour lui promettre d’arranger les choses. Il n’en restait pas moins très triste lui-même, bouleversé de voir le bonheur, même dans plus de justice et plus de paix, à la merci des querelles du foyer. Suffirait-il donc toujours d’un exécrable caractère pour gâter les fruits de la fraternité  ? Et seul le père Lunot garda son inconscience béate, endormi à moitié sa pipe à la bouche.

Cependant, si Lucien ne doutait point du consentement final de ses parents, Louise sentait, chez les siens, une résistance plus grande, et la lutte s’aggravait chaque jour.