Page:Zola - Travail.djvu/509

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était tombé sur un flagrant délit, sa femme demi-nue aux bras d’un grand gaillard, qui lui avait jeté un couteau, pour que la querelle fût vidée sur-le-champ. Selon d’autres, le capitaine avait cherché la mort, ne s’était pas même défendu, pris d’horreur, désertant ce monde nouveau où il n’y avait pour lui que des amertumes et des hontes. Depuis quelque temps, en effet, on le rencontrait la tête basse, anéanti de voir crouler tout ce qu’il avait aimé. Il ne discutait plus, ne combattait plus, laissait le travail et là paix triompher, comprenant sans doute que le rôle de l’épée était fini. Et peut-être avait-il eu le courage dernier de vouloir partir sous le couteau dont sa femme adorée, exécrée, tenait le manche. L’orage affreux avait passé sur le président Gaume, sa fille était en fuite, traquée par la police, son gendre n’était plus, retrouvé dans une mare de sang, enterré avec son trou au cœur, et lui restait seul, n’ayant désormais auprès de lui que le fils de Lucile André âgé déjà de seize ans, un garçon délicat et affectueux, le triste héritage du couple tragique, dont son cœur de grand-père s’occupait avec une tendresse inquiète. C’était assez, il ne fallait pas que la destinée vengeresse, punissant quelque ancien crime ignoré s’acharnât davantage. Et il se demandait à quelle force bonne, à quel avenir de vraie justice et d’amour fidèle il donnerait ce jeune homme, pour que sa race fût renouvelée et enfin heureuse.

Mis au courant, questionné par Mazelle sur l’opportunité d’un mariage entre Louise et Lucien Bonnaire, le président Gaume s’écria tout de suite  :

«  Mariez-les, mariez-les, s’ils ont l’un pour l’autre le grand amour qui les fait ainsi entrer en lutte avec leurs familles et passer par-dessus tous les obstacles. Seul, l’amour décide du bonheur.  »

Puis, il regretta, comme un aveu, ce cri que lui arrachait l’amertume de sa vie entière, car il achevait de