Page:Zola - Travail.djvu/522

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générations naissantes. Déjà, quand sa fille Ma-Bleue était partie, pour aller vivre son rêve de tendresse avec Achille Tourier, le Prince Charmant de ses nuits bleues, il avait bien senti que les temps nouveaux lui prenaient le meilleur de lui-même. Puis, une autre aventure tendre lui avait enlevé son fils, Petit-Da, le grand garçon, le bon géant vigoureux, qui s’était tout d’un coup passionné pour la fille des Caffiaux, les épiciers-cabaretiers, Honorine, une petite brune vive et alerte. Il avait d’abord refusé violemment de consentir au mariage, plein de mépris pour cette famille d’emploi sonneurs, gens louches, lesquels d’ailleurs lui rendaient son dédain, en disant leur répugnance vaniteuse à laisser leur enfant épouser un ouvrier. Pourtant, Caffiaux avait cédé le premier, car il se montrait très habile, très souple. Il venait de se faire, après avoir fermé son débit de boisson, une belle situation de gardien-chef dans les magasins généraux de la Crêcherie, et les anciennes vilaines histoires s’oubliaient, il affectait désormais trop de dévouement aux idées de solidarité, pour s’entêter à un refus qui aurait pu lui nuire. Alors, Petit-Da, emporté par le désir, avait passé outre aux volontés de son père. Il s’en était suivi une terrible querelle, une rupture affreuse entre les deux hommes. Et, depuis ce temps, le maître fondeur, muré dans son roc, ne vivait plus, ne parlait plus que pour diriger son haut fourneau, en spectre immobile et farouche des âges morts.

Des années et des années s’écoulèrent, sans que le vieux Morfain parût même vieillir. Il était toujours le vainqueur du feu, le colosse à l’énorme tête roussie, au nez en bec d’aigle, aux yeux de flammes, entre des joues que des laves semblaient avoir dévastées. Sa bouche torturée, qui ne s’ouvrait plus  ; gardait son rouge fauve de brûlure. Et rien d’humain ne paraissait plus devoir le toucher, au fond de la solitude implacable où il s’était