Page:Zola - Travail.djvu/525

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et ce furent, pour le vieux maître fondeur, d’abominables jours, car maintenant il sentait condamné le monstre aimé dont il avait la garde. Il le voyait délaissé de tous, personne ne montait plus, les curiosités heureuses s’empressaient, en bas, autour de ces fours électriques, qui tenaient si peu de place, et qui faisaient, disait-on, de si bonne et de si prompte besogne. Lui, plein de rancune violente, n’avait pas voulu descendre les voir, ces inventions qu’il traitait dédaigneusement de joujoux bons pour des enfants. Est-ce que l’ancienne méthode, le feu libre et clair, qui avait donné à l’homme l’empire du monde, pouvait être détrôné  ? On y reviendrait, à ces fourneaux géants, dont la fournaise avait brûlé pendant des siècles, sans jamais s’éteindre. Et, dans sa solitude, avec les quelques hommes de son équipe, silencieux comme lui, il se contentait de regarder de très haut le hangar sous lequel fonctionnaient les fours électriques, heureux encore, la nuit, lorsqu’il incendiait l’horizon de ses grandes coulées éclatantes.

Mais le jour vint pourtant où Luc condamna le haut fourneau, dont il avait constaté par l’expérience le rendement si pénible et plus onéreux désormais. Il fut résolu qu’on le laisserait s’éteindre, pour le démolir, après avoir tiré de lui une dernière coulée. Prévenu, Morfain ne répondit rien, impassible, avec sa face de bronze, qui ne disait même plus les tumultes de son âme. On eut peur de ce beau calme, Ma-Bleue monta voir son père, accompagnée de sa grande fille Léonie, tandis que Petit-Da eut lui aussi cette tendre pensée, en amenant son grand fils Raymond. Un instant, ainsi qu’autrefois, la famille se trouva réunie dans le trou de rochers, le père géant, entre la fille, toute bleue de ses yeux bleus, et le fils, bon colosse attendri par les souffles de demain  ; et il y avait en outre là, maintenant, la petite-fille d’aimable beauté, le petit-fils d’intelligence vive, en qui s’incarnait la