Page:Zola - Travail.djvu/589

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misère et de désastre, revenant pour un scandale, insultant Luc, insultant Josine, recommençant peut-être son crime. Aussi se jurait-il de ne pas le quitter un instant le lendemain, de le promener partout, pour être certain de ne le laisser aller seul nulle part. D’ailleurs, dans cette idée de tout lui montrer, il mettait une sage tactique, l’espérance de le paralyser par le spectacle de tant de richesse, de tant de puissance acquises, au point de lui faire sentir l’inutilité de la rage et de la révolte d’un seul. Quand il saurait, il n’oserait plus, sa défaite serait définitive. Et Bonnaire s’endormit enfin, résolu à ce dernier combat, pour l’harmonie, pour la paix et l’amour de tous.

Le lendemain, dès six heures, des fanfares de trompettes sonnèrent, passèrent en joyeux appels sur les toitures de Beauclair, annonçant la fête du travail. Le soleil était déjà haut, un astre de joie et de force, dans un admirable ciel de juin, à l’immensité bleue. Des fenêtres s’ouvrirent, des saluts volèrent parmi les verdures, d’une maison à l’autre, et l’on sentit l’âme populaire de la Cité nouvelle entrer en allégresse, tandis que les appels des trompettes continuaient, éveillaient de jardin en jardin les cris des enfants et les rires des couples d’amour.

Bonnaire, vite habillé, trouva Ragu debout, lavé à grande eau dans la baignoire voisine, vêtu des vêtements propres, posés la veille sur une chaise. Et Ragu, reposé, était redevenu goguenard, ouvertement décidé à se moquer de tout, à ne pas convenir du moindre progrès. En voyant entrer son hôte, il eut son mauvais rire, son rire insultant et salisseur.

«  Dis donc, mon vieux, en font-ils, un sacré vacarme, avec leurs trompettes, ces bougres-là  ! Ça doit être bien embêtant pour les gens qui n’aiment pas à être réveillés en sursaut. Est-ce que, tous les matins, on vous joue cette musique, dans votre caserne  ?   »