Page:Zola - Travail.djvu/593

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meurtre. Pourquoi le crime désormais, puisqu’il n’y avait plus de pauvres, plus de déshérités, puisque la paix fraternelle s’établissait chaque jour davantage entre les citoyens, convaincus enfin que le bonheur de chacun était fait du bonheur de tous  ? Une longue paix régnait, l’impôt du sang avait disparu comme les autres impôts, plus d’octroi, de contributions d’aucune espèce, plus de prohibitions, la liberté totale de la production et des échanges. Et, depuis surtout que les parasites étaient supprimés, les innombrables employés, fonctionnaires, magistrats, hommes de caserne ou d’église, qui suçaient autrefois la vie du corps social, une formidable richesse s’était déclarée, un si prodigieux entassement de biens, que d’année en année, les greniers, devenus trop étroits, craquaient sous l’abondance toujours accrue de la fortune publique.

«  Tout ça, c’est très bien, interrompit Ragu. Mais, n’importe  ! le vrai plaisir est de ne rien faire, et si vous travaillez encore, vous n’êtes pas des messieurs. Je ne sors pas de là… Puis, d’une façon comme d’une autre, on vous paie toujours, c’est toujours le salariat, et te voilà donc converti, toi qui exigeais l’entière destruction du capital  ?   »

Bonnaire eut son rire de joyeuse franchise.

«  C’est vrai, on a fini par me convertir. Je croyais à la nécessité d’une brusque révolution, d’un coup de main qui nous aurait livré le pouvoir, avec la possession du sol et de tous les outils du travail. Mais comment résister à la force de l’expérience  ? Depuis tant d’années, je vois ici la conquête certaine de cette justice sociale, de ce bonheur fraternel, dont le rêve me hantait Alors, la patience m’est venue j’ai la faiblesse de me contenter des conquêtes d’aujourd’hui, dans la certitude où je suis de la victoire définitive de demain… Et, je te l’accorde, il reste beaucoup à faire, notre liberté et notre justice ne sont pas totales,