Page:Zola - Travail.djvu/635

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c’était une tonne de moins. Et, chétif, fiévreux, toussant, un pied dans la terre, il se torturait de la catastrophe qui menaçait les générations futures, il se jurait de ne pas mourir avant de leur avoir fait le cadeau du flot de force, du flot de vie prodiguée et sans fin, dont seraient faits leur civilisation et leur bonheur. Et il s’était remis au travail.

Naturellement, Jordan songea d’abord aux chutes d’eau. C’était la force mécanique primitive, on l’employait avec succès dans les pays de montagne, malgré les caprices des torrents, les interruptions fatales des époques de sécheresse. Par malheur, les quelques ruisseaux des monts Bleuses, presque taris, à la suite de la dérivation des sources, n’avaient pas l’énergie nécessaire. Puis, ce n’était pas là une force régulière, constante, d’une abondance assez large pour réaliser son vaste dessein. Jordan, ensuite, en vint aux marées, aux continuels flux et reflux de l’Océan, dont on pourrait utiliser l’éternelle force en marche, battant les rivages. Des savants s’en étaient occupés déjà, il reprit leurs études, il imagina même des appareils d’expérience. La distance de Beauclair à la mer n’était pas un obstacle, car la transmission de l’énergie électrique se faisait désormais sans perte, sur des parcours considérables. Mais une autre idée le hantait, s’emparait peu à peu de lui tout entier, le jetait à un rêve prodigieux, qui finissait par être son œuvre totale elle-même, dans la pensée qu’il donnerait le bonheur au monde, s’il la réalisait.

De tout temps, Jordan, si pauvre de chair et si frileux, avait eu la passion du soleil. Il le suivait dans sa course, il le regardait chaque soir se coucher, avec la crainte, le frisson des ténèbres envahissantes  ; et, le matin, il se levait parfois de bonne heure, pour la joie de le voir renaître. S’il s’était noyé dans la mer, s’il n’avait plus jamais reparu, quelle nuit sans fin, glacée et mortelle pour