Page:Zola - Travail.djvu/647

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réunis que dans ce torrent des générations, les hommes de demain, dont ils avaient hâté le bonheur.

«  Adieu, mon ami, dit de nouveau Jordan. Soyez sans tristesse, la mort est bonne et nécessaire. On revit dans les autres, on reste immortel. Nous nous étions déjà donnés à eux, nous n’avons travaillé que pour eux, et nous renaîtrons en eux, nous aurons ainsi notre part de notre œuvre… Adieu, mon ami.  »

Et Luc, une fois encore, répéta  :

«  Adieu, mon ami, tout ce qui restera de nous dira combien nous avons aimé et combien nous avons espéré. Chacun naît pour faire sa tâche, la vie n’a pas d’autre raison, la nature met au monde un être de plus, chaque fois qu’elle a besoin d’un ouvrier de plus. Et, quand sa journée est faite, l’ouvrier peut se coucher, la terre le reprend pour d’autres besognes… Adieu, mon ami.  »

Il se pencha, voulant l’embrasser. Mais il ne le put, les trois femmes affectueuses durent les aider, les soutenir, dans cette étreinte dernière. Ils en rirent comme des enfants, ils étaient d’une gaieté, d’une sérénité admirables, à cette heure de la séparation, n’éprouvant ni regrets ni remords, ayant fait tout leur devoir, toute leur tâche d’homme. Ils avaient encore moins de crainte, sans terreur sur le lendemain de la mort, certains du grand calme où les bons ouvriers s’endorment. Et ils s’embrassèrent bien tendrement, bien longuement, en mettant ce qu’il leur restait de souffle dans ce baiser.

«  Adieu, mon bon Jordan.

— Adieu, mon bon Luc.  »

Puis, ils ne parlèrent plus. Le silence devint profond et sacré. Le soleil disparut du ciel immense, derrière la ligne lointaine et indécise de l’horizon. Dans le grand tilleul, un oiseau se tut, les branches se noyèrent d’une ombre fine, tandis que les hautes herbes et tout le parc,