Page:Zola - Travail.djvu/675

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géante  ! Jamais encore un pareil sacrifice humain n’avait fumé sous le ciel. Plus d’un million d’hommes étaient couchés là, par les vastes champs dévastés, le long des rivières, au travers des prairies. On pouvait marcher pendant des heures et des heures, toujours on rencontrait une moisson plus large de soldats égorgés, les yeux grands ouverts, criant la folie humaine de leurs bouches béantes et noires… Et ce fut la dernière bataille tellement l’épouvante glaça les cœurs, au réveil de cette ivresse affreuse, et tellement la certitude vint à chacun que la guerre n’était plus possible, avec la toute-puissance de la science, souveraine faiseuse de vie, et non de mort.  »

Suzanne retomba dans le silence, frémissante, les yeux clairs, radieux de la paix future. Et Luc conclut, de sa voix devenue faible comme un souffle  :

«  Oui, la guerre est morte, c’est l’étape suprême, le baiser entre frères, au terme du long voyage, si rude, si douloureux… Ma journée est finie, je puis dormir.  »

Il ne parla plus, cette minute dernière fut auguste et douce. Josine, Sœurette et Suzanne ne bougeaient pas, attendaient sans tristesse, avec une ferveur tendre, dans la chambre si calme et si gaie, toute pleine de fleurs et de soleil. En bas sous la fenêtre, la bande joyeuse des enfants jouait toujours, et l’on entendait les cris des tout-petits, les rires des grands, cette allégresse de l’avenir en marche, vers des joies de plus en plus larges. Puis, c’était l’immense ciel bleu, le soleil amical resplendissant à l’horizon, le fécondateur, le père, dont on avait capté et domestiqué la force créatrice. Et sous le flamboiement de ses rayons de gloire, s’étaient les toitures étincelantes de Beauclair triomphant, la ruche à cette heure en pleine besogne, où le travail régénéré ne faisait plus que des heureux, par la juste répartition des biens de ce monde. Et c’était encore, au-delà des champs fertiles de la Roumagne, de l’autre