Page:Zola - Travail.djvu/79

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criait bien contre le régime capitaliste, il se fâchait contre l’écrasement du travail imposé, il était même capable d’une courte révolte. Mais, le long atavisme l’avait courbé, il avait au fond une âme d’esclave, en respect devant la tradition établie, en envie devant le patron, maître souverain, possesseur et jouisseur de toutes choses ne nourrissant que la sourde ambition de le remplacer un beau matin, pour posséder et jouir à son tour. L’idéal, en somme, était de rien faire, d’être le patron pour ne rien faire.

« Ah ! ce cochon de Delaveau, je voudrais bien être huit jours à sa place, tandis qu’il serait à la mienne. Ça m’amuserait d’aller le regarder faire la boule, l’après-midi, en fumant de gros cigares. Et vous savez, tout arrive, nous pouvons devenir tous dans le prochain chambardement. »

Cette idée amusa prodigieusement Bourron, d’admiration devant Ragu, quand ils avaient bu ensemble.

« C’est bien vrai, ah ! bon sang ! quelle noce, lorsque nous serons les maîtres ! »

Mais Bonnaire haussait les épaules, plein de mépris pour cette basse conception de la victoire future des travailleurs sur les exploiteurs. Lui, avait lu, avait réfléchi, croyait savoir. Et il parla de nouveau, excité par tout ce qu’on venait de dire, voulant avoir raison. Luc reconnut l’idée collectiviste, telle qu’elle était formulée par les intransigeants du parti. D’abord, il fallait que la nation reprît possession du sol et des instruments du travail, pour les socialiser, les rendre à tous. Ensuite, le travail serait réorganisé, rendu général et obligatoire, de façon à ce que la rémunération fût proportionnelle aux heures de besogne fournies par chacune. Où il s’embrouillait, c’était sur la façon pratique d’arriver, par des lois à cette socialisation, c’était surtout sur le libre fonctionnement