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Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/156

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peine et dans l’espérance ont fondu les éléments divers en une unité, et lui ont créé une sensibilité nouvelle. Sans sommeil, inquiète comme un dangereux fauve, elle vit dans les cités géantes. Elle connaît toutes les passions de l’individu, la vanité, la faim et la colère ; tous les vices et tous les crimes sont en elle comme en lui. Mais chez elle tout atteint à une grandeur inconnue. Tout dans ses passions franchit la mesure ordinaire : on ne les saurait prévoir, et, par là, elles acquièrent un sens nouveau et en quelque sorte divin. Les anciens dieux étaient formés à l’image de l’homme, qu’ils représentaient au centuple de sa force et de son intelligence. La foule, aujourd’hui, est la synthèse des énergies individuelles ; elle est la prolifique réunion de toutes les passions.

L’individu naît avec la foule ; sans elle, il disparaît. Chacun de nous, consciemment ou non, dépend de son pouvoir. L’homme moderne ne saurait se soustraire à l’influence des autres hommes. Ce n’est plus l’homme des champs, berger ou chasseur, qui ne dépendait que de la colère du ciel, des caprices de la terre, des orages et de la grêle, du hasard enfin, qu’il revêt de l’image auguste de son Dieu. Les sen-