Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/158

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doit malgré lui penser à la foule et d’accord avec elle. Certes la démocratie a exercé sur tout son action niveleuse, elle a limité les individualités et assigné au poète un rang dans la classe bourgeoise ; certes elle a atténué les contrastes de la destinée. Mais elle a porté à sa pleine maturité une puissance nouvelle en sa multiplicité même. En elle le poète peut trouver une explication directe aux phénomènes qui forçaient les anciens à inventer des dieux : c’est-à-dire à toutes ces forces incalculables et mystérieuses qui agissent sur les hommes. La ville, la foule puise son énergie dans son infinie plénitude et multiplie sa propre puissance. Tout ce que l’individu a perdu se retrouve en elle : l’enthousiasme sublime, l’enthousiasme extatique. Elle est l’intarissable source de l’inattendu et de l’incalculable. C’est une nouveauté, et chacun ignore le terme de sa grandeur. Avoir reconnu là, au lieu d’une diminution, un enrichissement de l’instinct poétique, tel fut un des principaux mérites de Verhaeren. Tandis que la plupart des poètes d’aujourd’hui en restent encore à la fiction du solitaire, de l’isolé, tandis que dans leur horreur ils fuient la foule comme la peste, qu’ils se confinent dans une solitude artificielle et qu’ils