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Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/174

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dent, et en se séparant, comme d’un coup électrique, marquent la césure et martellent le vers. Dans la voix, les mots se précipitent et se changent presque en cris pour traverser l’espace. Son geste implique l’effort inouï de celui qui veut s’arracher à soi-même, ce geste du poète, magnifique dans sa volonté de quitter la terre, de sortir de soi-même, d’abandonner la marche lourde des mots pour un vol de la passion. L’homme se confond avec la nature en une seconde de merveilleuse identité.

Les os, le sang, les nerfs font alliance
Avec on ne sait quoi de frémissant
Dans l’air et dans le vent ;
On s’éprouve léger et clair dans l’espace,
On est heureux à crier grâce,
Les faits, les principes, les lois, on comprend tout ;
Le cœur tremble d’amour et l’esprit semble fou
De l’ivresse de ses idées.[1]

Chaque fois que Verhaeren lit ses vers, il se retrouve dans ce premier état créateur. C’est d’abord une délivrance de la douleur ; c’est ensuite de la volupté. Le mot bondit sans cesse, comme un animal déchaîné, en un rythme farouche. D’abord lent, ce rythme s’élève avec

  1. « Les Heures où l’on crée » (les Forces tumultueuses).