Paroisse de Charlesbourg/03

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Imprimerie générale A. Côté et Cie (p. 121-165).

III

La Renaissance

De 1760 à 1800


En donnant le nom de Renaissance à l’époque de l’histoire du pays en général, et de la paroisse de Charlesbourg en particulier, écoulée depuis la conquête jusqu’au commencement de ce siècle, nous ne voulons pas lui donner la même signification que celle que l’on donne au même nom appliqué en Europe à l’époque qui a suivi le Moyen-Âge, bien que sous quelque rapport elle lui ressemble un peu ; mais parce que, après les malheurs des dernières années de la domination française, le petit peuple Canadien, que la plupart de ses chefs avaient abandonné pour se retirer en France ; qui ne comptait que soixante et dix mille âmes ; n’ayant plus à sa tête qu’un clergé décimé et sans évêque pour le recruter ; destiné en apparence à être anéanti par ses nouveaux maîtres, ennemis de sa religion, de sa langue et de sa nationalité ; parce que ce petit peuple Canadien, disons-nous, commença alors, avec courage et persévérance, le travail de sa renaissance, de sa conservation et de son étonnant agrandissement.

Après la cessation des hostilités, ce peuple de héros, qui s’était si généreusement soumis aux plus grands sacrifices et s’était montré si brave, rentra triste et silencieux dans ses loyers où régnaient la pauvreté et le découragement. Mais il ne tarda pas à se relever de son abattement et à reprendre ce courage héréditaire qu’on aime tant à admirer dans les fondateurs de la colonie. Il commença d’abord, sous la patriotique et intelligente direction du clergé, à réparer les malheurs de la guerre, puis à s’exercer à ce travail de réhabilitation qui devait le préparer à ces luttes qu’il a eu à soutenir pour défendre « Nos institutions, notre langue et nos lois », et dont le récit forme une des plus belles pages de notre histoire.

Les peuples, comme les individus, se résignent bien difficilement à l’anéantissement et à la mort ; et comme « Nos pères sortis de la France, étaient l’élite des guerriers, » ils montrèrent dans les combats qu’ils eurent à livrer pour reconquérir leur liberté et pour assurer leur existence, mais une existence honorable, comme peuple, le même courage qu’ils avaient montré sur les champs de bataille. Chaque individu, chaque famille, chaque paroisse, comme autant d’abeilles et de ruches d’abeilles, travailla à réparer les malheurs de la guerre d’abord, puis à créer l’organisation nécessaire pour maintenir ses droits, pour introduire le progrès en toute chose et pour préparer la position étonnante et vraiment digne d’envie que nous occupons aujourd’hui dans notre cher Canada, que deux océans ont peine à retenir dans les bornes qu’il veut toujours agrandir.

La paroisse de Charlesbourg n’est pas restée en arrière dans ce travail de régénération et de renaissance, comme nous allons le voir.

M. Morisseaux était toujours curé de Charlesbourg et aussitôt après la capitulation de Montréal et le retour des miliciens de la paroisse dans leurs demeures, il se mit à l’œuvre pour mettre ordre aux affaires de la fabrique forcément négligées à cause des préoccupations de la guerre, et aussi pour faire renaître, le courage dans l’âme de ses paroissiens dont plusieurs avaient à pleurer la mort d’un parent ou d’un ami.

Un des premiers devoirs qu’il eut à remplir et que la reconnaissance imposait fut de chanter un service[1], par ordre du Grand-Vicaire Briand, pour le repos de l’âme de Mgr de Pontbriand qui, comme nous l’avons vu, était mort le 8 juin 1760. On sait que pendant près de trois ans le siège épiscopal de Québec demeura vacant. Le Général Murray, qui croyait pouvoir s’occuper de la nomination d’un évêque et imposer au besoin son veto, ne voulut pas accepter M. de Montgolfier que le Chapitre avait choisi, le 15 septembre 1763, mais il admit M. Briand, Vicaire Général, qui, au mois de novembre de la même année « passa en Angleterre pour solliciter la permission d’aller en France pour obtenir ses bulles du Souverain Pontife et pour s’y faire sacrer, » dit l’abbé Ferland. Premières misères et premières luttes pour obtenir les libertés religieuses dont nous jouissons aujourd’hui. La fabrique de Charlesbourg contribua, selon ses faibles moyens d’alors, aux dépenses de ce voyage, comme en fait foi la note suivante qu’on trouve dans les comptes de 1763 : « Remis à Monsieur le Vicaire Général Briand, et par son ordre, comme il appert par un reçu de sa main, inclus dans le coffre-fort, et accepté dans une délibération du curé et des marguilliers à ce assemblés, soixante livres pour une députation en Angleterre aux fins d’obtenir un évêque. »

Une des grandes misères du temps dont nous nous occupons était la rareté de l’argent monnayé et le peu de valeur, ou plutôt la non valeur, de la monnaie de papier dont personne ne voulait. Ou prit la résolution le 6 janvier 1764 d’envoyer à Londres, à tout risque, la monnaie de papier qui était alors au coffre-fort de la fabrique.

« Quant aux ordonnances et cartes qui étaient les années précédentes dans le coffre-fort, est-il dit, elles ont été envoyées à Londres après les avoir fait enregistrer suivant l’ordonnance et témoignage ou reçu de celui qui s’en est chargé pour les remettre à un facteur solvable et capable d’en faire le remboursement au tot qui sera réglé. » On ne voit pas quel fut le résultat de cette décision qui fait connaître toutefois un des nombreux embarras de ce temps.

Le 6 janvier 1761 M. Morisseaux avait fait une assemblée des marguilliers au presbytère pour l’élection d’un nouveau marguillier et on y voit pris, relativement aux comptes, une décision qui jette quelque jour, sur cette époque critique de l’histoire du pays et que, pour cette raison, nous croyons devoir rapporter ici en entier : « En égard aux circonstances de la guerre, les comptes de l’année précédente n’ont pu être clos. Les deniers cependant rentrés en déduction des dépenses qui avaient été faites, les livres de comptes de fabrique ayant été perdus, tant pour les receptes que pour les dépenses de l’année révolue, partie et majeure partie des receptes faites en papiers et sols marqués neufs et vieux, impossible de rappeler à la mémoire les receptes et dépenses des susdits livres de comptes perdus, a été ainsi arrêté qu’on ne tiendrait compte pour recommencer un nouveau livre et une nouvelle forme que de ce qui se trouvera présent dans la boitte de l’église en argent monnoyé et ayant cours, sur quoy seront soldées les dépenses créées à la connaissance du Sieur curé et des marguilliers. Le reste non rentré comme reçu ou non à venir, tant par la rareté de cet argent du cours que par considération pour plusieurs tombés dans une extrême pauvreté. Pour les cartes, billets et sols marqués de deux espèces ils demeureront dans la ditte boitte comme argent mort dont seulement connaissance sera donnée à la ditte assemblée et aucun marguillier n’en sera chargé. » Ainsy fait.

Puis à la suite de cet acte on donne en détail le montant de cet argent mort, ou papier monnaie, qui s’élevait à 1334lbs 5d. Perte réelle d’autant.

Et on ajoute ensuite : « Le susdit argent mort faisant le revenu entier de l’année cinquante neuf et partie de soixante ; Et voicy l’excédent, de la ditte année soixante en monnoye ayant cours. » Le 12 avril suivant 1761 les comptes furent clos et il se trouva que cet excédent était un déficit de 9lbs[2].

On voit par les comptes de 1761, rendus le 6 janvier 1762, que déjà alors la monnaie anglaise, même avant le traité de paix, circulait dans le pays car le premier item de la recette porte : « Des questes de l’année en monnoye ayant cours y compris le sol anglais. »

En tête du registre des actes de Baptême qui commence le 5 novembre 1764 M. Morisseaux a placé la note suivante que nous croyons devoir aussi reproduire ici en entier : — « Le dérangement de la police française en Canada occasionné par les troubles d’une guerre qui a duré plusieurs années consécutives et en suivant la prise absolue dudit Canada ayant obvié à l’exécution de l’ordonnance qui prescrit à Messieurs les curés, vicaires, missionnaires et autres obligation de faire coter, parapher par le juge principal ou son subdélégué le procureur du roy, les régistres des baptêmes, mariages et sépultures des paroisses qu’ils ont à leur direction, et, entendu que, depuis la prise du dit Canada la police anglaise n’a, en conséquence, fait aucun règlement, rendu aucune ordonnance, assigné ni le lieu, ni les personnes à cet effet requis ; je soussigné, prêtre missionnaire de Charlesbourg, de l’approbation de M. Jean Olivier Briant, chanoine Vicaire Général, sede vacante, ay pour la conservation de l’authenticité des régistres du dit Charlesbourg et jusqu’à nouveau règlement, ay dis-je coté, paraphé de ma main par premier et dernier feuillet les présents régistres doubles pour être reconnus vrays et légitimes quant aux baptêmes, mariages, sépultures et autres actes en iceux inscrits suivant le nombre des années qu’ils renferment. »

Au dit Charlesbourg le premier janvier 1761, Morisseaux ptre. Ainsi porté à la tête du présent le cinq novembre 1764.

Morisseaux, ptre.

M. Borel qui succéda à M. Morisseaux ne suivit pas son exemple et ne parapha pas les régistres lui-même, mais il inscrivit les actes dans des régistres non paraphés, et cela jusqu’au 31 décembre 1785 où le régistre pour l’année 1786 et les années suivantes fut paraphé par P. Panet.

Le dernier régistre de la paroisse sous la domination française avait été paraphé par François Daine, Conseiller du roi Lieutenant Général civil et criminel au siège de la prévoté de Québec, le premier janvier 1757 et servit à enregistrer les actes jusqu’au 27 août 1759.

Mgr Briand fit deux visites épiscopales à Charlesbourg pendant que M. Morisseaux était curé. La première eut lieu le 29 juillet 1767, et il approuva les comptes des marguilliers et déchargea même de toute responsabilité les marguilliers dont les comptes avaient été perdus pendant le siège de Québec. La seconde visite de ce Prélat eut lieu le 26 juin 1771. Dans ces deux visites il examina les registres et les approuva.

Après avoir mis ordre aux finances de la fabrique, que les troubles de la guerre avaient forcé de négliger et de laisser dans un triste état, et après avoir encouragé ses paroissiens à rétablir leurs propres affaires, M. Morisseaux s’occupa de faire terminer les travaux de l’intérieur de l’église, en 1767. Il avait, les années précédentes, fait réparer l’extérieur de l’église et du presbytère, et même dès 1764 il avait fait faire le mur du cimetière qui, jusque là, n’avait été enclos qu’avec des pieux. Le 1er février 1767 il fut décidé que « Charles Gravel, entrepreneur de la boisure du sanctuaire et des chapelles, continuerait son ouvrage interrompu par la guerre, suivant le marché passé par les marguilliers lors du commencement de l’entreprise. »

M. Morisseaux a laissé à l’archevêché de Québec un inventaire des biens de la fabrique de Charlesbourg, commencé le 15 octobre 1760 et terminé le 22 juillet 1767, dans lequel on trouve les deux notes suivantes :

1re « Tous les ans, un dimanche libre, en octobre ou novembre, on chante une grande messe solennelle en action de grâce pour la dissipation d’une maladie épidémique qui désolait cette paroisse ; on y fait une offrande à St Charles après avoir baisé l’instrument de paix qui le représente, lequel est très-vieux. Cette dévotion ou promesse annuelle n’a point d’autre titre pour se soutenir et perpétuer qu’une longue suite d’années qu’elle se pratique. En effet, par le vieux livre et premier livre de compte de la dite paroisse il paraît que l’institut a commencé, en 1693, sous le nom de vœu de St. Charles, curé alors Alexandre Doucet. En conséquence de cette longueur de temps Monseigneur de Pontbriand a permis de bouche la continuation de cet acte de piété lorsque la connaissance en a été venue jusqu’à luy. »[3]

2ème « Il y a à la voûte un petit navire suspendu, coup d’essaie et offrande à St. Charles d’un nommé Charles Cassavant pour se mettre sous sa protection dans la profession de charpentier de marine qu’il voulait embrasser. »

Il y avait autrefois dans la plupart des églises, même à la cathédrale de Québec, un petit navire ainsi suspendu à la voûte. C’était une sorte d’ex-voto en souvenir de la destruction de la flotte anglaise aux Sept-Isles, en 1711, qu’on attribuait aux prières qu’on fit alors partout, mais surtout à Québec où on invoquait avec grande confiance et grande piété la protection de la sainte Vierge. Ce fut aussi en reconnaissance de cette protection que l’église de la Basse-Ville fut alors dédiée à Notre-Dame de la Victoire.

Ces petits navires, suivant quelques uns, avaient aussi une signification mystique et représentaient la barque de Saint Pierre, ou le vaisseau de l’église, de même que le coq du clocher, qu’on appelait le coq gaulois, rappelait le coq dont le chant précéda la chute de Saint Pierre, et était aussi la figure emblématique de la vigilance du pasteur. Pourquoi donc ces deux souvenirs emblématiques du temps passé tendent-ils à disparaître complètement ?

Une lettre de M. Morisseaux, du 21 septembre 1767, fait connaître qu’alors les habitants de la partie du territoire de Charlesbourg, qui forme aujourd’hui la paroisse de Saint-Ambroise, présentèrent en ce temps-là à Mgr Briand une requête demandant à former une paroisse séparée, et a avoir un curé pour les desservir. Cette démarche fut faite à la suggestion secrète du Père Girault, Jésuite, qui était depuis longtemps chargé de la mission des Hurons de la Jeune Lorette. Il paraît que le Père Girault, voulant faire comprendre à M. Morisseaux, qui s’opposait à la division de la paroisse, l’opportunité, ou plutôt la nécessité de faire cette division, refusait quelquefois d’aller administrer les malades qui étaient bien plus près de lui que du curé de Charlesbourg, et dont à la vérité il n’était pas chargé. Mais M. Morisseaux se donnait beaucoup de peine pour suffire à tout, car il était persuadé que cette demande était prématurée et que, en divisant la paroisse alors, on ferait deux paroisses pauvres et incapables de subvenir aux dépenses nécessaires pour l’entretien des deux églises et des dépendances, et incapables aussi de faire vivre les deux curés convenablement. « Représentez-vous, écrivait M. Morisseaux à Mgr Briand, d’une manière assez originale, les deux pasteurs qui auront le courage de régir ces deux nouvelles paroisses comme deux moutons de printemps ; ils seront tondus, ils ne pourront faire que des pasteurs de canicule, desservir pendant le temps des chaleurs et s’enfouir en terre pendant le reste des autres saisons pour en éviter les rigueurs. » La division de la paroisse fut remise à plus tard.

M. Morisseaux était un homme d’esprit et bien aimé de ses supérieurs ecclésiastiques et civils. Il était en bon rapport avec les principaux officiers anglais, après la conquête, et surtout avec le gouverneur Carleton, plus tard Lord Dorchester. C’était bonne politique des deux côtés ; le clergé qui se trouvait par circonstance à la tête du petit peuple Canadien ruiné et découragé, avait besoin de gagner les bonnes grâces des nouveaux maîtres du pays, et, d’un autre côté, ces nouveaux maîtres avaient besoin de se concilier le clergé et par lui le peuple Canadien, et ils recevaient de Londres des instructions dans ce sens. C’est ce que comprenait M. Morisseaux et bien d’autres curés, ainsi que le gouverneur Carleton lui-même. Ce dernier donc assista, en compagnie de plusieurs officiers, un jour de la fête de Saint Charles, au dîner que M. Morisseaux donnait ce jour-là à plusieurs confrères réunis chez lui pour la fête de la paroisse, qui était alors d’obligation et célébrée avec toute la solennité d’une fête de première classe. Carleton assista même à l’office des vêpres avec ses amis ; mais cela ne fut pas du goût de tous ses confrères ; on fut presque scandalisé de la tenure de ces Messieurs à l’église et on s’en plaignit à l’Évêque. M. Morisseaux n’eut pas de peine à justifier sa conduite dans cette circonstance et à faire voir qu’il avait agi sagement, en les invitant à assister à l’office de l’après-midi, bien qu’ils fussent protestants, d’autant mieux qu’ils n’avaient rien fait d’insultant pour le culte catholique et s’étaient contenté d’examiner, d’écouter debout ou assis lorsqu’il fallait s’agenouiller (ce qui surtout avait déplu) et d’échanger leurs observations. On n’était pas accoutumé à voir des protestants dans les églises et on avait tant de raisons alors d’être préjugés contre les Anglais !

Comme nous l’avons déjà remarqué, M. Morisseaux, à raison de sa faible santé, était souvent obligé d’avoir recours aux services de ses confrères, et surtout de ses confrères de Québec, aussi voit-on qu’en 1765 particulièrement on paya « pour voiturage des prêtres d’aller et venir pour les besoins de la paroisse, le curé malade et paiement du bac[4] et plusieurs fois en conséquence 48 livres. »

Cependant, il fut obligé de rester sans vicaire depuis le départ de M. Marcou, en octobre 1760, et il resta ainsi seul jusqu’à sa mort, arrivé le 26 mai 1774, à 4 heures du matin, dit son acte de sépulture ; car il y avait grande disette de prêtres dans les premières années après la conquête et plusieurs paroisses même n’étaient desservies que par voie de mission. M. Morisseaux étant bien malade et presque mourant eut cependant encore le courage de faire, huit jours avant sa mort, le 18 mai, le baptême d’une petite fille de M. Woolsey, protestant converti et son ami. Il fut lui-même le parrain, et la marraine fut dame Anne Chéron, veuve Nicolet et mère des Demoiselles Nicolet, dont nous parlerons plus tard. Mais M. Morisseaux n’avait pu faire l’acte de ce baptême, qui ne fut entré aux registres que le 27 mai, jour de son enterrement, par le Père Lefranc, Jésuite, d’une grande réputation comme prédicateur et comme missionnaire. Ce fut ce Père Jésuite qui administra les derniers sacrements à M. Morisseaux. La sépulture fut faite par le Père Girault, missionnaire des Hurons de la Jeune Lorette, en présence de MM. de Rigauville, chanoine, Pressart, directeur du Séminaire, Desroches, curé de l’Ancienne-Lorette, Borel, curé de Sainte-Foye, du Père Crespel, commissaire des Récollets, et du Père Glapion, Supérieur Général des Jésuites.

M. Morisseaux est mort à l’âge de 56 ans.


MONSIEUR FRANÇOIS BOREL
12ème Desservant et 4ème Curé.

Aussitôt après la mort de M. Morisseaux, Mgr Briand nomma pour le remplacer M. François Borel qui avait été son vicaire et qui était alors curé de Sainte-Foye, M. Borel se hâta de faire ses préparatifs de départ et d’aller prendre possession de sa nouvelle cure de Charlesbourg où il avait laissé une partie de son cœur lorsque, étant vicaire dans la paroisse, il avait été obligé de s’en éloigner 18 ans auparavant. Il y était déjà installé dès le 9 juin 1774 comme curé, car ce jour là il fit un baptême et, dans l’acte qu’il en dressa, il prit, comme M. Morisseaux, le titre de missionnaire qu’il continua de prendre jusqu’à son départ de la paroisse.

L’abbé Tanguay semble ignorer que M. Borel a été longtemps à Charlesbourg, d’abord comme vicaire et ensuite comme curé ; et il fait erreur lorsqu’il dit qu’il est mort à Sainte-Foye, car il est mort à l’Hôpital Général et a été enterré à Sainte-Foye.

L’année qui suivit celle de M. Borel comme curé, 1775, eut lieu l’invasion du pays et l’attaque de Québec en décembre par les Américains. C’est ce qu’on a appelé l’année ou la guerre des Bostonnais. Il est probable que plusieurs paroissiens de Charlesbourg furent alors enrôlés comme miliciens ; mais nous ne connaissons aucun document qui le prouve. Tout ce que nous avons pu trouver à ce sujet, relativement à la paroisse, c’est que, pendant les mois de décembre 1775 et de janvier 1776, deux ecclésiastiques de Québec, en congé à cause de l’état de siège de la ville, étaient au presbytère de Charlesbourg et signèrent plusieurs fois comme témoins dans les registres. C’étaient M. Derome, alors diacre, que nous allons voir succéder à M. Bord, comme curé, et M. Dufeaut ecclésiastique, plus tard vicaire-général au Détroit.

Le 19 octobre 1777, M. Bord et les marguilliers présentèrent une requête à Mgr Briand afin d’obtenir la permission d’allonger l’église de 20 à 30 pieds. Dans cette requête on disait entre autres choses : « vu que les clochés sont de gros frais, d’un grand entretien et de peu de durée, nous voudrions qu’en même temps qu’on élèverait le côté de l’église on élevât une tour de pierre à la manière d’Europe. » Ce plan, suggéré par Mgr Borel qui avait vu ces sortes de tour en France, aurait été du nouveau dans le pays, s’il avait été mis à exécution, car jusque là on ne voyait que des clochers à cheval sur le faîte des églises, suivant l’expression d’un de nos anciens architectes ; mais Mgr Briand, en accordant toutes les demandes de la requête, avait mis pour conditions que le tout serait soumis à l’approbation d’une assemblée de toute la paroisse, et la majorité de cette assemblée de la paroisse ne voulut pas y consentir. L’église resta donc telle qu’elle était et telle qu’elle est demeurée jusqu’à sa destruction. On refit seulement le clocher qui avait grand besoin d’être renouvelé.

M. Borel acheta, cette même année 1777, une paix d’argent qui existe encore parmi les vases d’argent de la sacristie. Ceci rappelle un usage dont il est bon de garder au moins le souvenir, comme de bien d’autres usages dont la mémoire se perd trop facilement. La paix était un petit instrument sur lequel était ordinairement un crucifix, ou l’image de quelque saint, et que l’on présentait à baiser au petit clerc qui devait faire la quête dans l’église, ou passer avec la tasse, comme on disait autrefois, parce que cette quête se faisait, au moins à Charlesbourg, avec une petite tasse d’argent. Le clerc se présentait, portant un cierge placé au haut d’un bâton fleuri, à la balustre ou au pied de l’autel, lorsque le célébrant bénissait le pain on les pains qu’on offrait. À Charlesbourg on plaçait dans le cierge même l’offrande en argent que celui qui rendait le pain bénit devait faire et qui était ordinairement un quinze sous[5].

M. Borel aimait à bien entretenir l’intérieur et l’extérieur de son église et aussi à la fournir de tout ce qu’il convenait d’avoir pour la décence et la beauté du culte : il avait le zèle de la maison de Dieu. Dès les premières années qu’il passa à Charlesbourg il fit réparer le clocher, la couverture de l’église, le crépis… Il acheta des ornements, des rideaux… fit peinturer la chaire, le banc d’œuvre, le banc des chantres ; fit faire le cierge pascal, dont on se sert encore aujourd’hui, qui conta 141 francs et fut doré à l’Hôpital Général. M. Borel était à la tête de tout et, comme en 1778, la dépense excédait la recette, il prêta à la fabrique une somme de 387 livres sur laquelle il abandonna 163 livres « voulant, dit le cahier des Délibérations, contribuer à l’ornement de son église. »

Cependant les travaux qu’il fit exécuter, et ceux surtout qu’il voulait encore faire, n’étaient pas du goût de tous les paroissiens — il est si difficile de contenter tout le monde — et ces dissentiments lui firent susciter des difficultés qui l’engagèrent à laisser Charlesbourg. « M. Borel laissa la paroisse par mécontentement, dit M. Payment, les paroissiens condescendant difficilement aux volontés de leur curé. Ils defirent une remise adossée au pignon du presbytère ; c’est ce qui acheva de déterminer M. Borel à remettre sa cure à l’évêque qui l’accepta. M. Borel se retira alors (vers le 20 juillet 1786, son dernier acte dans les registres étant du 19 juillet,) chez les Récollets dont il était grand ami. Peu de temps après, à la demande réitérée des habitants de Sainte-Foye, il accepta la charge de curé de cette paroisse et il en remplit les fonctions jusqu’au moment de sa mort qui arriva le 5 février 1792. Il mourut à l’Hôpital Général… » à l’âge de 64 ans et 7 mois. Deux jours après sa mort, le 7 février, il eut un service à l’Hôpital-Général, chanté par le Grand Vicaire Gravé et auquel assistait celui qui devait le remplacer à Charlesbourg, M. Derome. Son corps fut ensuite transporté à Sainte-Foye où il fut enterré le 9 après avoir été exposé deux jours — (dit l’acte de l’Hôpital Général)

On ne voit pas qu’il y ait eu de visite épiscopale à Charlesbourg pendant le règne de M. Borel comme curé.


MONSIEUR JACQUES DEROME DIT DESCARREAUX
13ème Desservant et 5ème Curé.

Après le départ de M. Borel et en attendant l’arrivée de son successeur M. Derome, dont le 1er acte dans les registres est du 14 août suivant, M. Hubert, plus tard Évêque de Québec, et M. Hubert, plus tard Vicaire Général et Supérieure du Séminaire de Québec, et alors curé de Berthier de Bellechasse, desservirent alternativement la paroisse où ils firent un mariage, un baptême et six sépultures d’enfants.

Contrairement à MM. Morisseaux et Borel, ses deux prédécesseurs, M. Derome prit le titre de curé dès le premier acte qu’il inscrivit dans les régistres. Il signait : Derome Ptre seulement. L’abbé Tanguay dit de lui : « Né à Québec, le 16 octobre 1752, fils de Joseph Derome et de Marie Angelle Filliau ; ordonné le 20 avril 1777 ; 1777, curé de Ste-Anne de Beaupré et de l’Ange Gardien ; 1786, curé de Charlesbourg où il décède le 30 septembre 1808. »

Avec M. Derome commencent les souvenirs traditionnels de la paroisse. Il y a peut-être encore à Charlesbourg quelques octogénaires qui ont été baptisés par lui, et tous les paroissiens un peu âgés ont souvent entendu leurs parents parler du temps de M. Derome qu’ils avaient connu et dont ils avaient gardé un bon souvenir.

M. Derome était le grand oncle maternel de notre poète national Octave Crémazie et de ses deux frères Jacques et Joseph dont le nom est éteint. Madame veuve Joseph Crémazie possède le portrait à l’huile de cet ancien et bon curé de Charlesbourg et elle s’est engagée à le laisser après sa mort à la fabrique de cette paroisse qu’il a desservie pendant au-delà de 22 ans. Ce sera un précieux souvenir et le commencement peut-être d’une galerie des portraits des curés de la paroisse bien propre à orner la magnifique sacristie qu’on est à construire[6].

« Lorsque M. Derome arriva à Charlesbourg, dit M. Payment, il y trouva une congrégation en mauvais ordre ; c’était une vieille bâtisse en pierre ; il n’y avait pas de sacristie. Il se mit à l’œuvre en arrivant et il réussit à faire construire une sacristie et un local pour les Congréganistes. » C’est la très-petite sacristie à la suite de laquelle était la chapelle de la congrégation que les anciens de la paroisse ont vue avant 1880.

Il y avait longtemps que la paroisse de Charlesbourg n’avait pas eu l’honneur et le bonheur de recevoir la visite de son premier pasteur, (à raison du grand âge de Mgr Briand et des infirmités de son successeur Mgr D’Esglis) lorsque Mgr Jean François Hubert fit sa visite épiscopale, le 23 juillet 1789.

Ce Prélat ordonna qu’à l’avenir quand un banc viendrait à vaquer il serait crié, conformément à l’ordonnance du 9 juin 1723, et adjugé au plus offrant et dernier enchérisseur et que le prix de l’adjudication serait payé chaque année, au lieu de la rente que l’on avait toujours payée jusqu’à ce moment là. Il permit de prendre dans le coffre l’argent nécessaire pour la réparation de la grande porte de l’église, attendu que la misère de la présente année mettait les habitants de la paroisse hors d’état de subvenir à cette dépense.

La seconde visite épiscopale que reçut M. Derome fut celle de Mgr Pierre Denaut qui eut lieu le 12 juillet 1798. Il ne fit aucune ordonnance.

La troisième visite fut celle de Mgr Jos. Oct. Plessis, le 26 mai 1807. Il alloua les comptes de la fabrique et ordonna entre autres choses, de faire placer dans le jubé autant de bancs qu’il en faudra pour remplir l’espace resté vide.

Pendant que M. Derome était curé il se fit une grande amélioration pour les habitants de Charlesbourg, si souvent obligés d’aller à Québec ; ce fut la construction, en 1787, d’un pont sur la rivière saint Charles, auquel on donna le nom de Pont Dorchester, qu’il porte encore aujourd’hui, en l’honneur de Lord Dorchester, alors gouverneur du pays. Jusque-là il avait fallu passer la rivière sur un bac et on voit par les comptes que tous les ans la fabrique payait une certaine somme, surtout à la fête de Saint Charles « pour le passage des prêtres. » Le premier ou plus ancien passager connu de ce bac de la rivière Saint Charles, est Jacques Glinel (on dit à tort Dinel), premier ancêtre de la famille de ce nom à Charlesbourg, auquel le père Rafeix, Jésuite, bailla et délaissa pour trois ans, le 24 mars 1686, à titre de loyer, le passage de la rivière Saint Charles.

Il y avait sur ce premier pont, détruit plus tard par un incendie, deux petites maisons où malheureusement les passagers pouvaient se procurer des boissons qu’on y plaçait en contrebande et auxquelles on donnait le nom de petite bière d’épinette. Les piétons payaient autrefois un sou pour leur passage sur ce pont, qui eut longtemps pour gardien, ou plutôt pour gardienne, la bonne femme Villeneuve, véritable virago, célèbre par ses allures et ses goûts masculins. Pour s’amuser un jour et aussi pour l’engager à débiter une partie de son riche répertoire de gros mots, plusieurs jeunes ouvriers qui travaillaient au nord de la rivière Saint Charles passaient le pont, après leur journée, ayant chacun d’eux un de leurs compagnons sur le dos. Ils ne lui donnaient qu’un sou pour deux, parceque, disaient-ils, ils passaient avec leur charge. Puis une fois passés, ils déposaient leurs fardeaux vivants et tous ensemble, porteurs et portés, riaient aux éclats en recevant le bombardement de compliments saccadés que leur lançait la bonne femme, et cela se renouvela plusieurs fois dans le même mois.

Ils n’ont pas été les seuls qui aient ainsi fraudé leur passage et soient passés en contrebande. Mais ces contrebandiers n’ont pas toujours été également heureux dans leur désir de tromper les gardiens : témoins, entre autres, ces deux jeunes étudiants de Charlesbourg qui, dans l’été de 1834, s’étaient avisé de passer le pont Dorchester sur des poches de farine que le meunier de la paroisse transportait dans des voitures à Québec. Mal leur en prit car le vieux gardien d’alors, qui les avait remarqués, les mit dans un grand embarras lorsque, avec un grand sérieux apparent, il voulut exiger d’eux le double, pour l’aller et le retour.

Témoins encore ailleurs ces deux bons vivants qui, voulant jouer le même tour que les jeunes ouvriers dont on vient de parler, furent mis par le gardien dans l’alternative ou de donner chacun un sou, ou de payer huit sous pour les deux. « Je n’ai qu’un sou à payer, dit celui des deux qui portait l’autre, parce que je passe seul avec ma charge et mon compagnon passe à cheval. » « C’est bien, dit le gardien, mais pour un homme à cheval, c’est huit sous ; voyez le tarif. » Force alors fut au cavalier de redevenir piéton afin de ne payer qu’un sou comme son compagnon qui le portait.

M. Derome s’adressa, en 1787, à l’Évêque de Québec pour obtenir du Souverain Pontife une indulgence plenière pour le jour de la fête de Saint Charles et pour l’octave. Cette indulgence fut accordée le 20 janvier 1788, par le Pape Pie VI. Mgr Hubert reçut l’induit le 9 octobre seulement et permit à M. Derome de la publier au prône. Cette indulgence est à perpétuité et applicable aux âmes du purgatoire.

En 1794 lord Dorchester, gouverneur du Canada, craignait une révolte de la part des Canadiens qui, à Montréal surtout, ne se gênaient pas de blâmer ouvertement les actes du gouvernement du pays. Plusieurs furent cités devant les tribunaux et condamnés à de fortes amendes. Il paraît que dans la paroisse on ne restait pas étranger à cette agitation, causée par le mécontentement, et « trois habitants de Charlesbourg, dit Garneau, furent accusés de haute trahison ; mais leur crime était si peu grave que les poursuites furent abandonnées. »

C’est au commencement de cette même année 1794, le 5 janvier, que le Prince Édouard, Duc de Kent et père de la Reine Victoria, laissa le Canada où il était arrivé le 12 août 1791. Le prince faisait de fréquentes excursions dans les environs de Québec, s’entretenant volontiers, dans le meilleur français possible, avec les cultivateurs au milieu desquels il devint très-populaire et très-aimé. Il avait un grand ascendant sur tout ce qui l’entourait.

« Le 27 juin 1792, dit l’auteur de 50 ans, lors de la clôture des polls à Charlesbourg, on abattit les hustings et il y eut une émeute qui était sur le point d’éclater par des actes de violence lorsque le Prince s’avança et se plaçant de manière à être vu de tous : « Messieurs, dit-il, y en a-t-il un seul parmi vous, quelqu’il soit, qui ne regarde le roi comme le père de son peuple ? » À ces paroles le peuple répond par des hourras et des cris de Vive le Roi. « Y en a-t-il un seul qui ne regarde la nouvelle constitution comme la meilleure qu’il soit possible de donner aux sujets de Sa Majesté ? » Je vous recommande donc, continue Son Altesse Royale, de vous retirer en paix et que je n’entende plus parler de cette odieuse distinction d’anglais et de français : vous êtes tous les sujets bien-aimés Canadiens de Sa Majesté Britannique. » Vive le Prince ! cria, le peuple, et le tumulte cessa. »

La population augmentant toujours dans la partie de la paroisse de Charlesbourg qui forme aujourd’hui la paroisse de Saint-Ambroise, il fallait enfin penser sérieusement à faire la division depuis longtemps demandée par les habitants de la future nouvelle paroisse. M. Derome lui-même la désirait, parce qu’il lui était difficile de bien desservir une population dispersée sur un aussi grand territoire, et puis l’église de Charlesbourg qu’on n’avait pas voulu agrandir, à la demande de M. Derome, ne pouvait plus contenir toute cette population.

Il est vrai que le Père Girault, le dernier missionnaire résidant chez les Hurons de la Jeune-Lorette, aidait quelquefois le curé de Charlesbourg, mais, n’étant chargé que des Hurons, il n’était pas tenu de le faire. D’ailleurs il commençait à plier sous le poids des années, et, en 1792, il cessa peu à peu de desservir la mission de la Jeune-Lorette et se retira de temps en temps au Collège des Jésuites à Québec. Plus que jamais donc, à cette époque, la division de la paroisse était désirée et demandée et on s’adressa au Père Girault qui, de même que sous M. Morisseaux, encouragea les habitants de la paroisse actuelle de Saint-Ambroise à la demander.

Mgr Hubert, étant à Montréal, dans le mois de mai de cette même année 1792, écrivait au Père Girault, « Mon Révérend Père, j’apprends que vous êtes encore à la Jeune-Lorette et que les habitants, voulant vous y tenir, vous ont persuadé que mon intention était que vous y demeurassiez. À la vérité je serais flatté que vous y allassiez de temps à autre pour la consolation des sauvages, mais pour ce qui est des habitants je les ai tous remis sous la desserte de M. Derome depuis que vous avez commencé à demeurer en ville… Votre résidence en ville (si pourtant vous n’y avez pas trop de répugnance) me paraîtrait plus convenable tant pour votre santé que pour la consolation du Père Casot. »

Mgr Hubert refusa encore, le 4 avril 1794, d’accorder une nouvelle demande que lui firent les habitants de cette localité, d’accord avec M. Derome, d’avoir un curé et de former une paroisse séparée parce qu’il n’avait pas alors de prêtre à sa disposition pour ce poste. Mais enfin, le 15 septembre de la même année 1794, il écrivit à M. Derome : « Comme je me trouve cette année un peu plus au large pour les prêtres que les années précédentes, je désirerais savoir si vous persistez à désirer un prêtre à la Jeune Lorette qui, en desservant les sauvages, se chargerait aussi des habitants d’alentour qu’il s’agirait en ce cas de détacher de Charlesbourg, non comme ils l’entendent par leur requête de l’hiver dernier à laquelle je n’ai pas voulu répondre, mais comme nous l’avions projeté d’abord afin de ne pas affaiblir votre paroisse. M. Masse demande à changer de cure, je crois qu’il pourrait remplir avantageusement cette place, et qu’il serait plus propre qu’aucun autre à préparer les voies à la construction d’une église et à l’érection d’une paroisse dans cette partie. Faites moi savoir ce que vous en pensez car voilà le temps de terminer ces sortes d’affaires. »

M. Derome fut très-content d’apprendre qu’enfin il allait être déchargé de la desserte d’une grande partie de son vaste territoire ; qu’on allait y ériger une nouvelle paroisse et y placer un curé. Il en écrivit dans ce sens, le 16 septembre 1794, à Mgr Hubert qui lui répondit deux jours après : « Vous aurez décidément un curé à la Jeune Lorette. Ce ne sera pas M. Masse, comme je l’avais projeté d’abord ; il m’est devenu nécessaire dans un autre endroit. Mais vous aurez M. Paquet, présentement curé de l’Isle Verte, dont le zèle et la régularité peuvent être infiniment utiles aux fidèles de cette partie. »

Le même jour, 18 septembre 1794, Mgr Hubert écrivait à M. Joseph Paquet : « On a besoin d’un prêtre à la Jeune Lorette pour y former une nouvelle paroisse, j’ai jeté les yeux sur vous pour remplir cette place ; elle vous sera à bien des égards plus avantageuse que celle que vous occupez présentement, et puis avec le temps elle vous conduira, j’espère, à quelque chose de mieux. Rendez-vous le plus tôt possible. »

M. Paquet se rendit dans le mois d’octobre dans sa nouvelle paroisse à laquelle Mgr Hubert donna Saint-Ambroise pour patron, le 11 nov. 1795, mais dont il ne fixa pas tout d’abord les limites. M. Paquet fut donc le premier curé de Saint-Ambroise de la Jeune Lorette où il mourut le 17 août 1799 à l’âge de 36 ans seulement.

Il s’était mis à l’œuvre en arrivant à Saint-Ambroise, et fit bâtir dans l’été suivant, 1795, une chapelle, au sujet de laquelle Mgr Hubert lui écrivit le 12 novembre de la même année, lui permettant de la bénir : il lui recommandait en même temps d’enclore le cimetière et de désigner la place de ce cimetière de manière à ne pas nuire à l’emplacement de l’église qu’on devra bâtir plus tard. Il lui permettait aussi de biner, ou de dire deux messes le même jour, en faveur de la mission des Hurons. « Le temps qui vient à bout de tout, ajoutait-il, fixera peu à peu les bornes de cette paroisse. »

Ce qui engageait Mgr Hubert à agir ainsi c’est qu’il n’y avait pas accord parfait parmi les intéressés, ce qui arrive presque toujours lorsqu’il s’agit de donner de nouvelles limites à un endroit quelconque. Ainsi le 31 octobre 1794 plusieurs habitants avaient demandé par une requête de ne pas faire partie de la nouvelle paroisse de Saint-Ambroise, tandis que le 22 décembre de la même année quelques habitants du fief Saint-Ignace, près de Chouaguen, demandaient au contraire d’être annexés à cette nouvelle paroisse de la Jeune Lorette.

Enfin, le 6 octobre 1796, Mgr Hubert jugea à propos de fixer les bornes de la paroisse de Saint-Ambroise qui sont les mêmes que celle qu’elle a aujourd’hui, à l’exception du Petit Saint-Antoine, ou de Saint-Romain, qui n’a été détaché de Charlesbourg et annexé à Saint-Ambroise que plus tard, vers 1835. Lors de l’érection de la paroisse de Saint-Ambroise le village de l’Ormière faisait partie de l’Ancienne Lorette et Mgr Hubert l’en détacha pour l’unir à Saint-Ambroise.[7]

Depuis cette séparation la paroisse de Charlesbourg est restée avec les mêmes limites qu’elle a aujourd’hui et n’a pris d’augmentation en étendue que par l’établissement des nouvelles terres de la Rivière Jeune, en arrière du village de Saint-Pierre. Les quelques habitants de la Roche Plate ont été d’abord desservis par le curé de Charlesbourg et n’en ont été séparés que lorsqu’il y a eu un curé résidant à Stoneham. Les premiers habitants du Lac de Beauport ont aussi été desservis par le curé de Charlesbourg avant qu’il y eut un prêtre résidant à Laval.

Mais on peut dire que la séparation des habitants de Charlesbourg et de Saint-Ambroise n’a jamais été bien complète. Il y a toujours eu, et il y a encore aujourd’hui, beaucoup plus de rapports, plus d’alliances, plus de sympathies entre ces deux paroisses qu’entre Charlesbourg et Beauport. Les fêtes du village des Hurons et, pendant longtemps, surtout la fête de saint Louis, ont contribué à maintenir des liens d’amitié… Plusieurs habitants ont encore des terres à bois au Lac Saint-Charles… et puis une bonne partie des habitants de Saint-Ambroise passent par la route Sainte-Claire de Charlesbourg pour se rendre à Québec.

Peu d’années avant la séparation de Saint-Ambroise de Charlesbourg, en 1792, le coffre-fort fut visité par des voleurs qui en enlevèrent 460 livres, ou près de $77. Nous ne voudrions point faire injure à la paroisse en donnant à penser que ce vol aurait pu être fait par quelque paroissien trop soigneux du bien d’autrui ; mais cependant, s’il y a quelquefois des mauvais garnements dans les meilleures familles, pourquoi n’y en aurait-il pas eu parmi les paroissiens d’alors, si francs et si honnêtes ? Ce qui nous porte à le croire c’est que, vers ce temps là, il se passa quelque chose à Charlesbourg que nous avons plusieurs fois entendu raconter dans notre jeune âge à des témoins oculaires et auriculaires, et que nous croyons pouvoir nous-même rapporter ici en reproduisant le récit, un peu humoristique, que nous avons fait de cet événement dans une histoire intime et inédite de la famille Trudelle, de Charlesbourg. Il est bon de conserver pour l’histoire le souvenir d’usages qui tombent de plus en plus dans l’oubli, même lorsque ces usages sont loin d’être trouvés louables et lorsqu’on ne voudrait pas les voir reparaître, comme la flagellation et le pilori, châtiments auxquels on condamnait autrefois dans le pays.

« Près de la Côte du Roi, à main droite en montant de Québec à Charlesbourg, demeurait une famille sujette à tomber dans un petit défaut, celui de voler. Il paraît que ces braves gens avaient un goût particulier pour les volailles et les viandes fraîches. Pendant un certain hiver surtout, le père et ses deux garçons s’étaient donné le trouble de parcourir les laiteries et avaient amassé force provisions en cas de disette. Afin de les conserver avec toutes leurs qualités, et aussi afin de les soustraire aux regards indiscrets des curieux, ils avaient placé ces provisions dans une grande glacière facilement pratiquée dans un énorme banc de neige qui se renouvelle chaque hiver dans la coulée profonde que l’on voit au nord-est de la Côte du Roi. Personne ne pense à passer par cet endroit en hiver, impossible donc de mieux placer une cachette. Mais ne voilà-t-il pas qu’un bon jour des enfants (où ne va-t-on pas à cet âge) s’avisent d’aller y glisser !

Le joyeux bataillon, dans la côte rapide,
Allait, venait, allait sans perdre un seul instant,
Quand tout à coup l’un d’eux, ô cachette perfide !
Sent tout crouler sous lui et tombe tremblotant
Sur un amas confus de fraîches côtelettes,
De poules, de poulets, de gigots de mouton
Parmi lesquels était, sur un plat d’andouillettes
Le roi des basses-cours, un superbe dindon
Dit-on.

La rumeur aux cents voix répandit en peu de temps la nouvelle de cette découverte et désigna les Pélissons (qui heureusement n’ont laissé ni descendants, ni parents dans la paroisse) comme étant les propriétaires de la cachette on question. Bref, le père et ses deux garçons furent pris et conduits à Québec. On ne sait pas trop ce qui se passa à la cour criminelle ; mais quelque temps après les trois Pélissons furent fouettés à la porte de l’église de Charlesbourg. Le fouet et le pilori étaient encore de mode alors.

Rester à Charlesbourg après cette humiliante cérémonie était chose impossible. Il fallut donc déguerpir et l’un des deux garçons alla résider, sous un nom d’emprunt, dans une des paroisses de la Beauce. Il s’y comportait en vrai bon garçon et jouissait d’une si belle réputation qu’il était en voie d’épouser la fille de l’un des meilleurs habitants de la paroisse. Déjà même les publications étaient commencées à l’église et tout semblait devoir aller à merveille. Mais il était décidé que le goût trop prononcé qu’il avait eu pour les volailles lui serait funeste jusqu’à la fin.

Un soir donc qu’il était en visite dans la famille de sa prétendue voilà qu’arrive un habitant de Charlesbourg en recherche d’un cheval à vendre. « Tiens, dit-il en entrant, après avoir salué la famille, te voilà ici, Pélisson. » Ce nom de Pélisson, révélé et prononcé par une personne aussi inattendue et dans une circonstance si critique, causa un peu de surprise dans la famille, et fit sur celui qui portait ce nom presque le même effet que les coups de fouet qu’il avait reçus devant l’église de Charlesbourg.

Cependant le maître de la maison et le nouveau venu allèrent tous deux à l’étable placer le cheval du voyageur pour la nuit et, profitant de l’occasion où il se voyait seul avec lui, le père de la famille se hâta de le questionner au sujet de son gendre futur ; le nouveau nom qu’il lui avait donné l’intriguait. — « Vous le connaissez donc bien ? » dit-il. — « Oh ! oui, répondit l’étranger, car il est de ma paroisse. » — « Mais il porte un autre nom ici. » » Cependant c’est bien certainement un Pélisson. » — « Serait-il, par hasard, parent des Pélisson qui ont été fouettés ? » « C’en est un lui-même. » — « Oh ! alors cela va bien faire changer les choses : il devait se marier avec ma fille, mais à présent impossible. »

De retour à la maison tout s’expliqua. Adieu le mariage et les noces. Pélisson sortit triste et honteux, d’abord de la maison, puis bientôt de la paroisse même, pour aller cacher encore une fois sa honte ailleurs. Qui sait ce qu’il est devenu ?

Le 1er août 1802, Mgr Denaut avait publié un Mandement ordonnant une messe d’action de grâce, « suivant le rite des plus grandes solennités, » suivie d’un Te Deum, pour remercier Dieu de la conclusion de la paix et des succès de la lutte de l’Angleterre « contre une nation puissante dont les agents coupables n’aspiraient alors à rien moins qu’à la destruction de tous les trônes et de tous les autels. » Cela, parait-il, ne fut pas du goût de plusieurs patriotes du temps qui crurent l’occasion bonne pour faire ce qu’on appelle du capital politique. Remplis du même esprit de piété qui a porté tout dernièrement (1887) un grand nombre de nos compatriotes à faire chanter des services pour Riel, ces patriotes se proposaient de profiter de la circonstance pour faire une démonstration selon leurs vues anti-Britanniques. M. Derome, voulant déjouer leur projet, annonça d’abord la messe pour 6½ heures — c’était un peu matin — puis au lieu d’une grand’messe il ne dit qu’une messe basse, après laquelle il chanta le Te Deum, avec le seul chantre alors rendu à l’église. Le tout fut terminé avant que la plupart des paroissiens furent arrivés, ou plutôt avant qu’ils furent entrés dans l’église, car ne croyant pas la messe commencée, ils prirent la sonnerie du Te Teum pour le dernier coup de la grand’messe qu’ils s’attendaient d’avoir. De là, grand mécontentement, et une plainte en forme adressée à l’Évêque sous forme de requête au nom de la paroisse, et présentée le 17 du même mois d’août, par le Sieur Louis Paquet, alors membre pour le comté de Québec, et signée par lui comme représentant de Charlesbourg. La requête resta sans réponse et pour le coup ce fut un véritable feu de paille.

L’année qui précéda la mort de M. Derome, c’est-à-dire, en 1807, les paroissiens réparèrent le presbytère qui était en mauvais état. Le 22 décembre de l’année précédente on avait présenté à Mgr Plessis une requête demandant la permission d’ajouter un second étage à ce presbytère. Mgr Plessis y consentit, le second étage fut ajouté et le tout se fit paisiblement. Les paroissiens louèrent une maison près de l’église pour leur curé qui y passa l’été. À l’automne il put revenir habiter son presbytère dont les travaux étaient terminés.

Ce presbytère est demeuré, ainsi réparé et à deux étages, jusqu’au temps où il a été remplacé par celui qu’a fait bâtir M. Roy et qui a été lui-même remplacé par le beau presbytère actuel bâti par M. Beaudry. Ce vieux presbytère à deux étages, que le plus grand nombre des paroissiens de Charlesbourg ont vu, a été successivement habité par MM. Derome, Boucherville, Bedard et Roy. Il est demeuré cher à notre souvenir, car nous y avons passé dix huit mois heureux, en compagnie du digne et éloquent Évêque actuel de Sherbrooke, pour y étudier les éléments du latin, sous la direction du bon et vénérable père Antoine Bedard.

« Les deux dernières années de sa vie, dit Mr. Payment, Mr. Derome était souvent malade et s’affligeait de ne pouvoir desservir sa paroisse comme il l’aurait désiré. Il prêchait alors rarement et il était obligé de faire faire le catéchisme de la première communion par un laïque ; pour les offices publics il avait recours à Mr. Antoine Bedard, curé de St.-Ambroise, qui, pour contenter ses paroissiens et ceux de Charlesbourg, faisait l’office en entier dans les deux paroisses et chantait, outre cela, tous les dimanches et fêtes, le salut du S. Sacrement aux sauvages de la Jeune Lorette. »

M. Derome mourut le 30 septembre 1808, à l’âge de 55 ans, 6 mois et 15 jours, dit son acte de sépulture. Il avait été curé de Charlesbourg pendant 22 ans, deux mois et 15 jours. Il fut inhumé le lendemain de sa mort, 1er octobre, dans le sanctuaire de l’église, par Mgr Plessis en présence de MM. Louis-Jos. Desjardins, chapelain de l’Hôtel-Dieu, Vanfelson, curé de Beauport, Antoine Gagnon, vicaire à Québec, Antoine Parent, du Séminaire de Québec, et Antoine Bedard, curé de Saint-Ambroise.

M. Derome a laissé la réputation d’un prêtre régulier, exact à remplir ses devoirs de pasteur et surtout plein de zèle pour la prédication de la parole de Dieu et pour l’instruction des enfants et des jeunes gens. Il avait donné par son testament 300 francs à la fabrique de Charlesbourg.

  1. Pour lequel la fabrique paya 90 livres.
  2. Pourtant on avait bien tout entré dans la recette dont le premier item cot ainsi donné : « Pour la rente des bancs en piastres et chelins deux cent dix huit livres…partie en quelque peu de sols marqués et partie en pauvreté et bonne foi de la part des tenanciers par le défaut des comptes de l’église. »
  3. L’usage de l’offrande et de l’instrument de paix n’existe plus.
  4. Pour passer la rivière Saint-Charles.
  5. Il y avait, en 1775, un coffre-fort (ce n’était plus la boitte primitive) « un sac de liars de nulle valeur. »
  6. Le 27 juillet 1807 se fit à Charlesbourg, par M. Derome, le mariage de Jacques Crémazie marchand, père des trois frères Crémazie, avec Marie Anne Deschènes, fille de Germain Deschènes et de Marie Anne Derome sœur de M. le curé Derome.
  7. Le 18 octobre 1810 Mgr Plessis consacra l’église et l’autel en l’honneur de Saint-Ambroise et de plusieurs martyrs nommés dans l’acte qu’il en a dressé.

    Lorsque M. Cook, plus tard 1er évêque des Trois-Rivières, était curé de Saint-Ambroise, Mgr Panet chargea M. Antoine Bedard, le 8 août 1827, de prendre les procédés nécessaires pour ériger ecclésiastiquement Saint-Ambroise en paroisse.