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Pensée française, pages choisies/30

La bibliothèque libre.
Éditions de l’Action canadienne française (p. 197-210).

LES RELATIONS DE LA PRESSE CANADIENNE ET DE LA PRESSE FRANÇAISE


Texte d’un rapport lu le lundi 27 août 1934, au Congrès de la presse française à Québec


AABSTRACTION faite des revues et périodiques qui ne sont pas nombreux, et des bulletins religieux qui ne sont pas en aussi grand nombre qu’on pourrait croire, la presse canadienne d’expression française comprend exactement onze journaux quotidiens et une quarantaine d’hebdomadaires, et même ces journaux diffèrent énormément entre eux de ton et de tirage. Messieurs de la presse française, c’est ce modeste groupement, pris actuellement entre une ambition de croissance bien naturelle et le danger de décliner, qui vous accueille à Québec à l’occasion des fêtes du Quatrième Centenaire du Canada, vous les représentants d’une des plus grandes forces d’opinion du monde. Qu’il soit en effet bien compris, et dès le début, que si j’ai accepté avec plaisir d’un comité bénévole et de circonstance — présidé, il est vrai, par le président général du syndicat d’information dit de la Canadian Press, l’aimable directeur du Soleil, M. Gagnon — l’invitation de vous entretenir de nos relations mutuelles, je n’ai point mandat de parler au nom des journaux anglo-canadiens, dix fois plus nombreux que ceux du groupe d’expression française. Et je n’en ai d’ailleurs pas le goût, l’expérience m’ayant depuis longtemps convaincu que rien de ce que je pourrais dire sur les relations de nos deux presses ne saurait intéresser nos confrères anglais. Avec votre permission, j’envisagerai cette réunion comme une affaire de famille, où il ne saurait être question que d’intérêts intellectuels et professionnels proprement français. Quand donc il m’arrivera de parler de la presse canadienne, vous voudrez bien, à moins d’indication contraire, entendre la presse de langue française.

Les relations franco-canadiennes en matière de presse tendent à s’activer. Elles n’en restent pas moins inorganisées, individuelles, insuffisantes ou intermittentes. Les choses canadiennes ne sauraient intéresser le public français qu’autant qu’elles présentent en soi, pour l’étranger, en particulier pour la France, quelque intérêt politique ou intellectuel. Dans l’ordre politique, nous ne comptons pas pour grand chose, malgré les illusions de nos ministres, lesquels, comme leurs collègues de langue anglaise, vont à Genève surtout pour y débiter, plus ou moins consciemment, des boniments composés à Londres à leur intention. Dans l’ordre intellectuel, n’allons pas nous « frapper » de ce que nous avons accompli jusqu’ici : les livres les plus intéressants sur le Canada français ont été écrits par des Français ; les provinciaux que nous sommes ne sauraient se vanter de connaître à fond ni le Canada — surtout le Canada anglais — ni la France. Pour répéter un mot qui a eu un succès un peu équivalent au succès de maternité de la maman Dionne (cinq fillettes jumelles) : « Ce que nous avons fait depuis 1760 ? — Nous avons vécu. » Mais les peuples qui se contentent de vivre, surtout ceux qui vivent principalement par la force de leur natalité, ne sont pas, si l’on peut dire, photogéniques, et quand un romancier comme Louis Hémon les a peints en 200 pages, la presse a peu d’occasions de s’occuper d’eux. Quand la presse française a noté que M. Dandurand a la barbe en pointe, que M. Lemieux a la phrase fleurie et le geste noble, que M. Lapointe a l’accent normand, que Mgr Camille Roy pratique surtout, en critique littéraire, un prudent bénissage, que pourrait-elle ajouter pour notre gloire ? Nous ne pouvons certes pas demander à nos confrères français de publier par tranches l’Histoire du Canada sous l’Union ni même un ouvrage d’une bien autre valeur : la Naissance d’une race… Nos peuples respectifs sont maintenant trop éloignés l’un de l’autre, nos réactions devant les événements, trop différentes. Le Français a bien évolué depuis 1760 ; il sait toujours se faire tuer (un million et demi dans une seule guerre !), mais l’idéologie démocratique a atteint chez lui un degré inquiétant. De notre côté, le mot célèbre : « Nous sommes des Anglais parlant le français », devrait peut-être se changer en « Américains parlant de moins en moins le français ». Il se vend au Canada plus de périodiques et de journaux français qu’autrefois, parce que nous sommes infiniment plus nombreux et en général beaucoup moins illettrés. Demandons-nous seulement, d’après l’expérience constante des journaux canadiens à prétentions de correction linguistique et grammaticale, si le vocabulaire des meilleurs journalistes français d’aujourd’hui — je ne parle pas des simples amuseurs — est entendu de beaucoup de Canadiens-Français… Au point de vue linguistique comme au point de vue religieux et moral, le journal canadien qui voudra reproduire abondamment la presse française devra trier ses reproductions avec soin : il est tels articles d’économie ou de politique courante que seule une petite élite comprendra. Il n’en saurait d’ailleurs être autrement, quand, pour la plupart d’entre nous, le vocabulaire français s’arrête littéralement à 1760, et que d’autre part il n’y a guère plus d’un quart de siècle que le Français s’intéresse de nouveau aux choses d’avant la Révolution.

Un contact plus étroit avec le Canada serait plus utile à la presse française

pour son information.

Je n’entends pas forcément par là l’information de chaque jour : songeons seulement à celle que tout journaliste doit porter dans son esprit ou avoir sous la main pour se faire à l’occasion une idée sur les événements. Entendons surtout celle qui sert à donner une idée exacte des institutions et de l’esprit d’un peuple. Le journal français ne saurait traiter des affaires de notre pays d’une manière congrue, sauf par hasard et très rarement, s’il ne connaît pas : la différence, à tous égards énorme, à établir entre le Canada français et le Canada anglais, entre la Confédération et les provinces, en particulier ce Québec que trop de Français confondent avec le pays ; la disposition et l’étendue géographique du pays et la faible densité de sa population ; le partage du pouvoir politique entre le gouvernement central et les gouvernements locaux ; la lutte du particularisme français contre les tendances généralement envahissantes et assimilatrices de la majorité ; le caractère religieux de ce particularisme ; les relations de la Confédération ou, comme vous dites, du Dominion, avec la métropole (en passant, la plupart d’entre vous connaissent assez de latin pour savoir que ce mot de dominion auquel l’Angleterre voudrait attacher et auquel vous attachez ordinairement vous-même une idée de souveraineté veut dire possession) ; la nature de nos relations économiques avec les États-Unis d’une part et l’Angleterre d’autre part. Quand nous lisons dans un journal français que le Canada ne saurait, en droit constitutionnel, fermer ses portes à l’immigration anglaise, cela nous fait de la peine… pour vous. Quand M. Léon Daudet écrit que l’Angleterre est empêchée par ses « dominions » de prendre des engagements en matière internationale, cela, pardonnez-moi l’expression, nous met littéralement en « rogne ». Nous avons assez souvent parlé sottement de votre pays, que nous pouvons bien constater ici que vos principaux journaux d’information ou d’opinion ne parlent pas toujours sensément du nôtre.

Pour sa diffusion à elle et celle de la culture française. Exception faite des périodiques littéraires ou politiques qui ont en France une si grande vogue et qui se vendent à Montréal et à Québec par centaines d’exemplaires, et de certaines revues qui à cause de leur caractère conservateur et de leur tenue littéraire eurent toujours au Canada un nombre relativement considérable d’abonnés, les journaux de France les plus réputés comptent à peine quelques douzaines de lecteurs parmi les Canadiens qui s’intéressent aux affaires du monde en général, des pays français en particulier. Même cette faveur si relative du public canadien, ils ne la doivent pas à l’intérêt qu’ils portent aux choses de notre pays, qui en général les laissent indifférents ou qu’ils n’envisagent qu’à un point de vue trop général pour intéresser les Franco-Canadiens. Il est à prévoir que le jour où on y trouverait de temps en temps quelque article bien tourné sur la vie canadienne, le public canadien aussi bien que le public français prendrait goût à cette lecture et la diffusion du journal en profiterait.

Pour la défense politique de la France en notre pays. Et n’entendons pas par là que vous auriez chance de nous intéresser aux querelles des partis français, même si vous le vouliez : pour de multiples raisons, cela vous serait impossible. Mais la lecture de nos principaux journaux de langue anglaise pendant huit jours vous ferait voir à quel point les événements politiques d’Europe se déforment quelquefois en passant par les agences d’information anglaises ou américaines. Ce point de vue vous intéresse. Il n’intéresse pas moins votre gouvernement. Entende qui voudra.

À la presse canadienne également, un contact plus étroit avec la France serait utile.

Pour son information, qu’il lui faut présentement demander aux seules agences anglo-saxonnes, elles-mêmes, avec la meilleure volonté du monde, souvent trompées par des correspondants pas trop bien renseignés ou pas trop indépendants des gouvernements.

Pour sa formation linguistique, grammaticale et littéraire. Sujet délicat, que je n’aborde qu’en tremblant et pour le quitter aussitôt, vous laissant à vous-même le soin de juger en toute modestie, à la langue usuelle de nos journaux et, hélas ! de nos « parleurs inconnus », comme je crois que vous appelez les bonimenteurs de la radio, combien nous aurions besoin d’aller à votre école. Un journaliste français s’est jadis fait houspiller, pour avoir dit qu’il n’avait pu se faire entendre des téléphonistes canadiennes en français. Quand vous aurez lu nos journaux, craignez de dire qu’ils ne sont pas toujours écrits en français d’un bout à l’autre, mais prenez, oh ! prenez la résolution d’éclairer par l’exemple les malheureux qui les rédigent. Au besoin, et dans notre intérêt commun, renoncez pour toujours à adopter des mots anglais comme ont fait de tout temps vos pères, nos pères, car c’est là l’excuse ordinaire de ceux d’entre nous qui prétendent ne recevoir de vous que de mauvais exemples : bornez vos adoptions linguistiques aux mots italiens, espagnols, russes, arabes ou palestiniens. Ou si vous avez des faiblesses pour l’anglais, écrivez tout de suite, de grâce, comme Marcel Boulenger, coquetel, et comme je ne sais plus qui, interviou, non pas interviouve, car en anglais, le w final ne se prononce pas.

Pour son émancipation intellectuelle. À lire ce qui se passe hors de son pays, et sans verser dans l’erreur doctrinale, toujours redoutée chez nous, on s’élargit forcément l’esprit. Vous aurez d’autant plus d’empire sur notre peuple, par l’entremise de nos journaux, que vous saurez suivre la ligne traditionnelle, les normes historiques, de l’esprit français. L’illustre Lyautey, catholique pratiquant, a osé constater avec satisfaction que le Français est catholique et anticlérical. Je n’irais pas jusqu’à dire que le Canadien est peu catholique et très clérical, mais la lecture de certains journaux français nous aiderait peut-être à devenir plus catholiques au vrai sens et moins cléricaux au mauvais sens du terme. Sujet délicat, délicat, délicat, qu’il ne faut pas approcher dans un esprit d’anticléricalisme homaisien, mais seulement dans l’idée que le laïque catholique a lui aussi sa place au soleil. Glissons…

Le contact entre nos deux presses peut s’envisager au triple point de vue des relations individuelles, des relations de journal à journal, ou des relations à établir entre groupes ou syndicats.

L’amélioration et l’extension des relations individuelles sont d’une nécessité qui saute aux yeux. Plusieurs journalistes français ont déjà visité le Canada. Un des premiers et des plus illustres fut Alphonse Allais. Un autre fut Gaston Deschamps, qui se fit dans le Temps et dans d’autres organes, sur la fin de sa vie, le reporter, si l’on peut dire, de toutes les fêtes officielles de l’amitié franco-canadienne à Paris. (Il parlait de « Mossieu Laurier » avec une véritable vénération). Sauf erreur, un monsieur Demay, qui a pris une part active à la fondation de votre Quotidien (car nous aussi nous en avons un) avait habité notre pays. Qui ne connaît par leurs écrits Constantin-Weyer, Philippe Barrès et ce Rouletabille observateur et méthodique, Victor Forbin ? Un de vos collègues les plus illustres, M. Lucien Romier, honorait tout récemment d’un cours public l’École montréalaise des hautes études commerciales. M. André Siegfried est une autorité sur notre pays. Parmi ceux d’entre vous, absents ou présents, qui cumulent les titres glorieux d’écrivains et de journalistes, il me suffira de mentionner MM. Strowski et Gabriel Louis-Jaray. Mais ce sont là des exceptions. De ceux qui s’intéressent au Canada au point d’en écrire, la plupart n’ont jamais vu notre pays. De notre côté, à peu près même ignorance, sauf que moins formés aux disciplines de l’esprit, nous ne saurions après un séjour de quelques semaines en France prendre de votre pays une vue aussi juste, aussi compréhensive, que celle que MM. Siegfried et Romier ont prise du Canada dans des circonstances semblables. Depuis quelque vingt-cinq ans, l’Université de Montréal — je précise Montréal, car celle de Québec, désireuse de garder notre jeunesse contre les mauvaises doctrines ; n’encourage guère que les études médicales ou musicales — l’Université de Montréal, dis-je, envoie à l’École des Sciences sociales et politiques, grâce à des bourses du gouvernement de Québec, des jeunes gens dont quelques-uns commencent à être recherchés par le journalisme. D’autres jeunes gens — également promis pour un certain nombre à notre glorieuse profession — vont à leurs frais à Paris suivre entre autres enseignements ceux de la Faculté des Lettres et de l’École de Droit. Le journal que je dirige — pour combien de temps je ne saurais le dire — s’honore de compter parmi ses rédacteurs un élève de votre École de journalisme, M. Georges Langlois, un élève de votre École de Droit, M. Jean-Marie Nadeau, un élève des cours de philologie de M. Ferdinand Brunot, M. Boucher. L’utilisation de ces compétences acquises en France est encore assez rare, cependant, soit que les journaux ne s’en puissent pas toujours payer le luxe (qui ne coûte pourtant pas très cher), soit que le sens du journalisme ne s’allie pas toujours avec certaines connaissances essentielles à l’exercice de cette profession, soit enfin que les éditeurs ne voient pas tous, et c’est bien humain, l’avantage matériel de préférer un ancien « Sciences Po » au reporter qui sait relater avec feu, c’est le cas de le dire, mais pas forcément en langues de feu, un bel exploit de sapeurs-pompiers ou, comme ils disent invariablement, de la « brigade des pompiers », quand ce n’est pas tout simplement de « la brigade ». On peut dire que la moitié environ de nos rédacteurs proprement dits ont étudié en France ou fait en France des voyages d’études ou d’agrément, mais que souvent ceux qui n’y ont fait que passer en sont revenus avec les préventions religieuses, morales ou politiques qu’ils avaient contre elle au départ et qu’une observation plus attentive n’eût pas manqué de dissiper. Les journaux canadiens foncièrement gallophobes sont rares : je ne suis pas sûr qu’en cherchant bien on en saurait découvrir un ou deux. De même, du côté français, tous les journalistes n’ont pas disparu qui entre la poire et le fromage vous parlent encore du « Canada, pays de curés », ce qui à leurs yeux est bien la suprême injure. De part et d’autre, une connaissance plus complète de l’autre France n’aurait pas invariablement pour effet d’accorder en tout nos manières de voir, mais elle nous pénétrerait d’une estime mutuelle qui ne saurait que profiter aux relations professionnelles et culturelles de nos deux pays. Comme exemple de ce que peut, pour le rapprochement intellectuel des deux peuples, un seul journaliste ou publiciste décidé à servir cette cause et compétent à la servir, rappelons seulement le cas d’Edmond de Nevers. Cet élève du collège de Nicolet, entré aux environs de 1890, à la suite d’un voyage de quatre années à travers l’Europe, comme traducteur à l’Agence Havas où il lui fallut pendant plusieurs mois, selon son expression, « potasser » le français, écrivait vers 1895 un livre aujourd’hui très rare, l’Avenir du peuple canadien-français, où il faisait part à ses compatriotes de ce qu’il avait vu en France : le peuple élevé à un niveau supérieur de civilisation par l’enseignement des beaux-arts, l’établissement de musées, etc. Quelques années plus tard la province de Québec, sur l’initiative d’un jeune ministre plus cultivé que la moyenne, M. Athanase David, fondait sa première École des Beaux-Arts. À condition d’avoir assez de personnalité pour résister à la dénationalisation tout en se cultivant, les journalistes canadiens les mieux doués retireraient personnellement un profit énorme de quelques années de service, mettons d’apprentissage, dans la presse française. Bien entendu, le journaliste français qui voudrait venir étudier le Canada sur place tout en y gagnant sa vie devrait faire lui aussi l’effort d’adaptation nécessaire, mais sans renoncer en rien à sa personnalité. Il est tel quotidien de Montréal qui n’aura eu pendant vingt-cinq ans que des Français comme rédacteurs en chef. Tel autre — la Presse, aujourd’hui le plus répandu de nos quotidiens — a eu pour rédacteur en chef M. Blumhardt, un Français, ensuite M. Helbronner, un autre Français. À l’Ordre (celui de Montréal), la rubrique de la politique étrangère est tenue par un Français, M. Bowman, qui, soit dit en passant, ne se laisse pas bourrer le crâne ni par les agences de presse anglo-saxonnes ni par les tenants attardés du briandisme. La plupart de nos journaux quotidiens ont des correspondants en France. C’est vous dire que, malgré le sentiment indigéniste qui prévaut — on devrait dire qui sévit — dans certains journaux, le journaliste français sympathique et débrouillard peut encore se faire une place dans la presse canadienne. De plus, cependant, c’est pour nous question de budget.

Dans l’état actuel des choses, les relations collectives se conçoivent difficilement : j’ai ouï dire que les tentatives d’expansion faites par Havas au Canada n’ont pas donné des résultats très heureux. Il existe des groupements professionnels dans la presse de France, en attendant la création d’un Ordre professionnel sous l’autorité de l’État, réclamée aujourd’hui par plusieurs. Chez nous, c’est du haut en bas de la profession l’individualisme, le chacun-pour-soi, et les quelques tentatives d’organisation qui ont eu lieu n’ont eu en vue que la sécurité de l’emploi et la protection des appointements ; à telle enseigne, que les embryons de syndicats journalistiques qui sont nés jusqu’ici s’affiliaient à l’Union typographique des États-Unis, dite Internationale.

L’intervention du principal syndicat rançais de journalistes professionnels pourrait peut-être, avec le concours de quelques Canadiens comme MM. Gagnon et Pelletier (puisque c’est surtout à eux que nous devons ce premier congrès), nous valoir :

1o L’engagement de quelques Canadiens — oh ! nous ne serions pas exigeants quant au nombre — dans la presse française, et quelques échanges de rédacteurs avec péréquation d’appointements ;

2o La tenue plus fréquente de congrès comme celui-ci, avec des programmes de travaux arrêtés longtemps d’avance ;

3o La réduction des droits de reproduction ordinaires en faveur de la presse canadienne ;

4o L’échange, entre journaux et agences, du droit de reproduction des illustrations, dessins, vignettes, clichés et matrices. Service qui pourrait faire pénétrer le goût français dans nos journaux, aujourd’hui envahis et abêtis par le goût américain. Des pages d’illustrations comme celles de Havre-Éclair, de la Nation Belge (la Belgique française est intéressée à tous ces arrangements), de l’Excelsior, pourraient se reproduire en grande partie ou s’adapter, dans les journaux canadiens ;

5o De journal à journal ou de syndicat à syndicat, échange d’informations particulières, de renseignements confidentiels, d’opinions et de points de vue ;

6o Le service d’échange des journaux français, parfois difficile à obtenir. (Au besoin, faire intervenir en cette matière, s’il y a lieu, les comités de propagande intellectuelle ou même politique) ;

7o Échange de correspondants aux appointements d’usage, et, de part et d’autre, élimination des journalistes amateurs. Choix de ces correspondants parmi les journalistes de chaque pays pratiquant leur profession dans l’autre pays ;

8o Échange de services entre les agences d’informations des deux pays. À défaut d’arrangements mutuels, service d’Havas à la presse canadienne, grâce à une subvention que la presse française nous aiderait à obtenir de l’État français, au titre des intérêts intellectuels ;

9o Multiplication au Canada, par les journaux français, des enquêtes, des grands reportages, que nous pourrions utiliser pour la double raison que ce genre est encore inconnu chez nous et que l’étranger voit quelquefois mieux que nous-mêmes ce qui se passe chez nous. Il est, par exemple, tel livre sur les États-Unis, sur la Chine, qu’un Américain, qu’un Chinois, n’aurait pu écrire.

* * *

Et nous voici au bout de nos suggestions… Elles sont nombreuses, pas toutes de même importance, pas toutes également réalisables. Mais quoi que vous en pensiez, soyons sûrs qu’elles ne se réaliseront que si nous faisons de part et d’autre l’effort de compréhension nécessaire. Les événements de ces dernières années doivent nous avoir convaincu de l’infériorité culturelle et morale de certaines civilisations que le Français, né jobard en France comme au Canada, regardait sottement comme supérieures. Le Canadien-Français tient à ses traditions de culture française parce que, malgré la déformation, disons le mot, la dégénérescence, qu’il a subie au contact des civilisations anglaise et yankie, c’est encore cette culture qui lui conviendra le mieux s’il ne s’y montre délibérément réfractaire. Nous pouvons, confrères de France, travailler de part et d’autre au triomphe de la civilisation française en nous rendant compte notamment, — car cette question est de toute première importance, — nous, qu’on peut être bon Français sous diverses étiquettes religieuses ; vous, que le fait d’être catholique, même fanatiquement catholique, n’empêche pas d’être bon Français. Au cours du bref voyage que vous faites en ce moment, efforcez-vous de tout observer objectivement ; ne vous attachez pas trop à vos idées préconçues sur notre langue, sur notre accent, sur notre amour des institutions britanniques, sur notre foi religieuse, sur notre prolificité. Étudiez par vous-même les désastreux effets de la civilisation américaine sur nos mœurs, de l’anglais sur notre langue, notre esprit. Ce que vous n’aimerez pas chez nous, cherchez-en la cause dans les circonstances plutôt que dans notre volonté. Surtout, ne faites pas comme Orion, de l’Action Française, qui parlant d’un livre de votre concitoyen et contemporain Gaillard de Champris, ancien secrétaire particulier et collaborateur de Paul Bourget, livre écrit et, je crois, édité à Québec, notait avec bonheur avec quelle fidélité l’auteur — un Canadien, croyait-il — avait, selon la formule sacramentelle, conservé la bonne vieille langue du 16e et du 17e siècle. Ne nous flattez pas : nous commençons à préférer la vérité aux mensongères flatteries des cabotins. Par votre sens critique, votre goût de la vérité, aidez-nous à faire triompher la seule manière que nous ayons de rester des civilisés : rester Français.