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Pensées d’août/Vœu en voyage, sur une impériale de voiture

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Pensée d’aoûtMichel Lévy frères. (p. 240-241).

VŒU

en voyage sur une impériale de voiture, pendant que je traversais le pays



Nous ne passons qu’un instant sur la terre,
Et tout n’y passe avec nous qu’un seul jour.
Tâchons du moins, du fond de ce mystère,
Par œuvre vive et franche et salutaire,
De laisser trace en cet humain séjour !

Que la vie en nos chants éclate ou se reflète,
La vie en sa grandeur ou sa naïveté !
Que ce vieillard assis, dont la part est complète,
Qui vit d’un souvenir sans cesse raconté ;

Que la mère, et l’enfant qu’elle allaite ou qui joue,
Et celui, déjà grand, échappé de sa main,
Imprudent qui (bon Dieu !) sort de dessous la roue,
Comme un lièvre qui lève au milieu du chemin ;


Que ces femmes au seuil, coquettes du village,
Et celles de la ville au cœur plus enfermé,
Tous ces êtres d’un jour nous livrent quelques gages
De ce qu’ils ont souffert, de ce qu’ils ont aimé !

Que cet âne au poil fin, qui de son herbe douce
Se détourne pour voir nos tourbillons troublés ;
Ce petit mur vêtu de tuiles et de mousse ;
Ce grand noyer faisant oasis dans les blés ;

Que tous ces accidents de vie et de lumière,
Par quelque coin du moins passent dans le tableau !
Que (tant il y verra la ressemblance entière !)
L’oiseau pique au raisin ou veuille boire à l’eau !

Mais que l’homme surtout, que les hommes, nos frères,
Et ceux de ce temps-ci, malgré les soins contraires,
Et ceux plus tard venant, tous d’un même limon,
Qu’ils se sentent en nous aux heures non frivoles,
Qu’ils trouvent, un seul jour, leurs pleurs dans nos paroles,
Et qu’ils y mêlent notre nom !