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Petit cours d’histoire de Belgique/p05/ch3

La bibliothèque libre.
Maison d'édition Albert De Boeck (p. 103-109).



CHAPITRE III

Charles le Téméraire.

(1467-1477)

§ 1. — Luttes contre les communes.


Le fils de Philippe le Bon était doué de qualités rares : la franchise, la loyauté, la justice s’unissaient en lui à des mœurs pures et à des habitudes laborieuses. Malheureusement, son orgueil était sans bornes, son obstination inflexible, et, sous l’influence de la colère, sa brutalité

habituelle pouvait se transformer en cruauté monstrueuse.

1. Sédition à Gand. — Il se rendit à Gand, lors de son avènement, pour s’y faire inaugurer. C’était précisément le jour de la grande procession de saint Liévin. La boisson surexcitant les esprits, les métiers renversèrent la loge où l’on percevait l’impôt de la cueillote, et soudain les bannières paraissent sur le Marché du Vendredi ! les bourgeois s’y rassemblent en armes, et exigent du duc l’abolition de la cueillote et la restitution des privilèges enlevés après la bataille de Gavre. Charles résista pendant deux jours : la multitude armée et menaçante ne cessa d’entourer son hôtel. Il céda finalement, mais il garda un profond ressentiment de la violence qui lui avait été faite.

2. Révoltes à Liège.a) Les Liégeois, de leur côté, avaient manifesté une joie extrême de la mort de Philippe le Bon. Excités par Louis XI, ils prirent aussitôt les armes et chassèrent de nouveau Louis de Bourbon. Le duc de Bourgogne jura de mettre ce peuple indocile « au fouet et au bâton ». Il envahit la principauté, défit 18.000 Liégeois à Brusthem, et entra dans leur ville triomphalement par une brèche pratiquée dans les murailles. Il porta contre la cité rebelle une sentence rigoureuse : « Les Liégeois perdront leurs privilèges et leurs armes ; leurs murs seront démolis et leurs fossés comblés ; le Perron sera transporté à Bruges. » (1467).

b) Cependant Charles le Téméraire, uni aux seigneurs français, faisait la guerre depuis plusieurs années au roi Louis XI. Celui-ci osa venir presque seul trouver le duc à Péronne, pour traiter de la paix. Les négociations étaient en bonne voie quand la nouvelle éclate comme un coup de foudre, que les Liégeois en armes ont emprisonné leur évêque à l’instigation d’émissaires français. Le duc entra dans une fureur terrible. Il fit saisir le roi et s’arrêta même un instant à la pensée de le faire périr. Toutefois, revenant la modération, il se contenta de lui faire signer un traité désavantageux, et lui imposa l’humiliante obligation d’assister au châtiment des Liégeois.

En octobre 1568. quarante mille Bourguignons vinrent camper en face de Liège sur les hauteurs de Sainte-Walburge. Sans artillerie ni remparts, les Liégeois ne pouvaient songer à soutenir un siège. Six cents mineurs et forgerons du pays de Franchimont tentèrent pourtant une entreprise d’une audace singulière. À la faveur d’une nuit sombre, ils escaladèrent les hauteurs de Sainte-Walburge, dans l’intention de s’emparer des deux princes. Ils pénétrèrent, en effet, jusqu’au logis des souverains. Mais ceux-ci étaient bien gardés. L’éveil fut donné, les Bourguignons accoururent en foule, et les six cents héros, accablés par le nombre, périrent sans vouloir fuir.

Le lendemain, dimanche, l’armée bourguignonne descendit dans la ville. Arrivé sur la place de l’Hôtel de Ville, le duc de Bourgogne tira son épée en criant « Vive Bourgogne ! » À ce signal, le pillage commença : il ne tarda pas à être accompagné de scènes affreuses, car la fureur du soldat, s’animant par degrés, ne connut bientôt plus de bornes. Les bourgeois furent poursuivis dans leurs habitations, assommés, pendus aux arbres, aux barreaux des fenêtres. Ni les femmes ni les enfants ne furent épargnés. Enivrés de carnage, les assassins noyèrent leurs victimes par dizaines et par vingtaines dans la Meuse. Alors, un immense incendie fut allumé aux quatre coins de la ville : « Quand on veut chasser l’oiseau, on brûle le nid, » avait dit Louis XI. Quatre mille Limbourgeois vinrent achever, par la pioche et le marteau, la destruction de cette ville florissante : seules les églises et les maisons des prêtres restèrent debout au milieu de ce lamentable amas de décombres. Cependant sa vengeance n’étant pas encore satisfaite, le terrible duc lança ses cavaliers dans les bois à la poursuite des fugitifs et fit dévaster par le fer et par le feu tout le pays de Franchimont. Quarante mille personnes, dit-on, périrent dans ces abominables excès dont les auteurs furent frappés d’anathème par le souverain pontife.

Les Gantois, terrifiés par cette cruauté inouïe, sollicitèrent leur pardon. Leurs magistrats et les doyens des métiers, après une heure et demie d’attente dans la neige, furent reçus au palais de Bruxelles, en présence des ambassadeurs de dix-sept nations. Ils déposèrent aux pieds du duc leurs bannières et leurs chartes, et les précieux parchemins furent mis en pièces.

Charles le Téméraire, fils de Philippe le Bon, était doué de qualités rares : il était juste et loyal, mais orgueilleux, brutal et obstiné.

1. Sédition à Gand. — Lors de l’inauguration de ce prince à Gand, la commune réclama la suppression de l’impôt sur le blé, et la restitution des privilèges que Philippe le Bon lui avait enlevés. Charles dut céder à la contrainte.

2. Révoltes à Liéqe.a) Des troubles autrement graves éclatèrent à Liège. Exités par les agents de Louis XI, les bourgeois se soulevèrent contre Louis de Bourbon. Mais, défaits à Brusthem par Charles le Téméraire, ils perdirent leurs fortifications, leurs armes, leurs privilèges et leur perron (1467).

b) L’année suivante, tandis que Louis XI et Charles le Téméraire étaient en conférence à Péronne, des émissaires français provoquèrent une nouvelle révolte à Liège. Le duc, indigné contre son déloyal adversaire, lui imposa l’humiliante obligation de marcher avec lui contre la cité rebelle. L’admirable héroïsme des six cents Franchimontois ne put sauver la ville : elle fut livrée à toutes les horreurs d’une vengeance sans merci (1468).

Les Gantois terrifiés remirent au duc leurs chartes et leurs bannières.

§ 2. — Affaires extérieures.


1. Projet de monarchie. — Charles le Téméraire médita la réalisation d’un grand dessein : il voulut reconstituer l’ancien royaume de Lotharingie, par la réunion de ses fiefs des Pays-Bas et de Bourgogne. Le Téméraire n’était certes pas dépourvu des ressources nécessaires ; son armée permanente était magnifique : elle comprenait, en 1473, vingt-deux compagnies d’ordonnance, soit dix-hiuit mille hommes ; ses vassaux fieffés devaient le service militaire en personne ; il disposait d’une formidable artillerie de trois cents canons et d’une marine puissante ; enfin il était l’allié d’Edouard VI d’Angleterre, dont il avait épousé la sœur. Mais Louis XI fut le mauvais génie qui mina sans trêve la puissance du prince belge, fit échouer misérablement tous ses projets, et le conduisit lui-même à sa ruine.

Dès 1468, l’Alsace fut engagée[1] à Charles le Téméraire pour 230.000 florins, par l’archiduc Sigismond d’Autriche, et cette précieuse acquisition relia la Bourgogne aux Pays-Bas.

En 1472, la Gueldre lui fut vendue par Arnould d’Egmont, qui voulait ainsi punir son fils Adolphe, révolté contre lui. Le duc de Bourgogne se mit de force en possession de ce duché et le Rhin lui servit de limite au nord.

Alors, il sollicita de l’empereur d’Allemagne, Frédéric III, le titre de roi de Bourgogne. Dans une entrevue fameuse, à Trêves, le couronnement de Charles fut décidé, et des préparatifs somptueux furent faits en vue du sacre. Mais Louis XI parvint à effrayer Frédéric III, prince défiant et faible d’esprit ; et le matin du grand jour qui devait voir se réaliser le rêve glorieux du Téméraire, l’empereur disparut sans prévenir son hôte (1473).

2. Revers du Téméraire. Sa mort. — Sur ces entrefaites, un soulèvement se produisit en Alsace contre la rigueur implacable du gouverneur bourguignon, Pierre de Hagenbach. Les rebelles, soutenus par le jeune René de Vaudémont, duc de Lorraine, et par les Suisses, firent monter à l’échafaud le sire de Hagenbach : et René envoya au duc de Bourgogne un héraut qui jeta à ses pieds le gantelet ensanglanté, signe d’une guerre à mort.

Charles, outré de colère, interrompit aussitôt les hostilités qu’il avait reprises contre Louis XI, et conclut une trêve avec celui-ci. Puis il se jeta sur la Lorraine et en fit la conquête en trois semaines : il déclara solennellement qu’il ferait de Nancy la capitale de son royaume.

Ensuite, il dirigea sa brillante armée sur la Suisse. Les habitants lui envoyèrent des députés pour solliciter la paix : « Il y a plus d’or, disaient-ils, aux talons de vos chevaliers, que vous n’en trouverez dans tous nos cantons ». Le duc ne voulut rien entendre. Il s’empara de la forteresse de Granson, et fit pendre les huit cents hommes de la garnison. Alors les rudes montagnards jurèrent de venger leurs frères : ils attaquèrent l’armée bourguignonne sous les murs même de Granson et la détruisirent ; le duc dut fuir accompagné de cinq serviteurs seulement.

Les Suisses firent un immense butin : l’artillerie du Téméraire, son riche trésor, ses diamants, sa tente de velours, sa chapelle ornée de statues d’or et d’argent, tout tomba entre leurs mains (mars 1476).

Cependant, le duc, accablé d’abord par le désespoir et la honte, rassembla bientôt une nouvelle et belle armée, avec laquelle il s’avança jusqu’à Morat : il y éprouva une seconde défaite, plus désastreuse que la première. Des ossements blanchis de ses soldats, les Suisses firent plus tard une pyramide appelée l’Ossuaire des Bourguignons.

Cette fois, le Téméraire était perdu ! Sa puissance avait reçu le coup de grâce. Au bruit effroyable de ces revers, la Lorraine se souleva, et René rentra en triomphe dans sa capitale. Charles, égaré par une aveugle fureur, courut l’y assiéger, au cœur de l’hiver, avec le reste de ses troupes. Ses fidèles officiers le supplièrent en vain de rentrer en Luxembourg pour y attendre le retour du printemps : il fut inflexible ; et pourtant la situation de son armée était affreuse : elle était décimée par le froid, par la faim, et par les sorties audacieuses des assiégés. Bientôt 20.000 Suisses arrivèrent au secours de la ville, car René avait combattu avec eux à Granson et à Morat. Bien que ses adversaires fussent quatre fois supérieurs en nombre, le Téméraire décida qu’on leur livrerait bataille. Comme il se coiffait de son casque, le lion d’or qui en formait le cimier se détacha : « Voilà le signe de Dieu », dit-il tristement. S’élançant alors, sur son cheval noir, au plus épais de la mêlée, il périt avec la plupart des siens. Ce fut seulement deux jours plus tard qu’on retrouva son corps, à demi dévoré par les loups et les chiens, sur la glace d’un étang : sa tête portait une énorme blessure de l’oreille à la bouche (5 janvier 1477).

Des funérailles solennelles furent célébrées à Nancy. En 1550, Charles-Quint fit transférer ses cendres à Bruges, où elles reposent dans un magnifique mausolée de marbre et d’or, à côté de celles de sa fille Marie de Bourgogne.

1. Projet de monarchie. — Charles le Téméraire, confiant dans ses immenses ressources, résolut de rétablir l’ancien royaume de Lotharingie, en réunissant la Bourgogne aux riches provinces des Pays-Bas.

Il obtint l’Alsace en engagère en 1468, et acheta la Gueldre en 1472.

Il se rendit alors à Trêves, pour se faire couronner roi de Bourgogne par l’Empereur d’Allemagne. Mais l’astucieux Louis XI empêcha les négociations d’aboutir (1473).

2. Revers du Téméraire. Sa mort. — Bientôt après, l’Alsace se révolta contre lui, avec l’appui de René de Lorraine et des Suisses. Charles, irrité, conquit la Lorraine et envahit la Helvétie. Mais les Suisses le défirent à Granson et à Morat, et il périt dans une troisième bataille sous les murs de Nancy en 1477.

  1. Engager : donner en gage, céder temporairement comme garantie d’une dette.