Peut-on sauver la Loire ?

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Peut-on sauver la Loire ?
Revue des Deux Mondes4e période, tome 144 (p. 634-670).
PEUT-ON SAUVER LA LOIRE ?

« Beaucoup de Français ignorent certainement que leur plus grand fleuve, un fleuve de 900 kilomètres de long, la Loire, n’est pas navigable. A 400 kilomètres de son embouchure, la Loire n’a pourtant pas moins de 1 000 mètres de large. On y voit des ponts qui ont jusqu’à 1 100 mètres. Mais en été, même sans qu’il y ait eu de sécheresse extraordinaire, cet immense lit est à sec ! Ce n’est pas qu’on n’y aperçoive quelques filets d’eau coulant isolés entre des îles basses. Mesurés dans leur ensemble, ces ruisseaux ont bien 80 à 100 mètres de largeur totale. Ils pourraient même en été porter des bateaux, s’ils étaient habilement captés et réunis tous en un seul courant. Mais non ! le lit de la Loire est sauvage comme un désert, dont il a d’ailleurs tous les caractères essentiels : de vastes plaines de sable ; de-ci de-là quelques touffes de verdure, et puis des filets sortant on ne sait d’où, qui creusent des sillons plus ou moins profonds. »

C’est la Gazette de Voss qui parle ainsi sans parti pris de dénigrer la France pour plaire à des lecteurs allemands. L’auteur n’exagère pas : la Loire ne peut porter bateau. Beaucoup de Français ne s’en doutent pas ; ceux qui le savent ignorent souvent qu’elle a été navigable ; bien peu croient qu’elle le puisse redevenir, et combien soupçonnent le profit que notre pays trouverait à ce qu’elle le fût ?

Peut-on sauver la Loire ? Toute la France doit le souhaiter. Mais en matière de travaux publics les moindres erreurs amènent d’irréparables désastres, et l’on dépense par dizaines de millions. On ne saurait trop craindre de prendre ses désirs pour des certitudes. Avant de décider du sort de la Loire, il faut connaître le mal dont elle souffre, et le révéler en entier, dût-on perdre tout espoir de la guérir. Son état lamentable peut s’expliquer par bien des raisons ; les plus graves sont géographiques, mais l’homme, ici, n’est pas moins à accuser que la nature ; nous verrons plus loin ses fautes.


I

La Loire est le plus long de nos fleuves (1 000 kilomètres environ) et coule en entier sur notre territoire. Elle naît près du Rhône, le longe longtemps ainsi que la Saône, et ne quitte cette direction que pour se rapprocher d’une autre vallée, celle de la Seine, qu’elle paraît vouloir atteindre. Dans ses immenses détours, elle se gonfle de pluies venues de la Méditerranée, du golfe de Gascogne et de la Manche, drainant à elle seule presque un quart de la France. Admirable fleuve, à ne regarder que la carte ; cours d’eau inutile, dangereux même, si on le voit lui-même.

La Loire naît trop haut et trop bas à la fois : trop haut, parce que ses eaux tombent de leurs sources avec trop de violence ; trop bas, parce qu’à cette hauteur et cette latitude, les montagnes ne se revêtent pas de glaciers, ces réservoirs providentiels pour les chaleurs de l’été.

Encore n’y aurait-il que demi-mal si, en naissant, la Loire serpentait sur un plateau en perdant de sa fougue. Point. Dévalant follement les côtes du Velay, elle descend d’abord de 23 mètres par kilomètre, cent fois plus vite que la Seine, entre l’Aube et l’Yonne. Sa pente est encore de 1m,04 dans la plaine du Forez, et même de 1m,16 dans les gorges de Pinay ; la Loire est pourtant là à 230 kilomètres et à 1 000 mètres au-dessous de sa source. Une fois sorti du massif porphyrique qui sépare la plaine forézienne de Roanne, le fleuve coule en plaine, mais toujours trop vite ; il tombe à 200 mètres vers Bourbon-Lancy, à 100 entre Jargeau et Orléans[1], à 75 entre Beaugency et Blois (un peu moins que la Seine au confluent de l’Aube), à 50 aux environs de Tours (même altitude que Montereau-fault-Yonne) ; à Saumur, il est au niveau de la Seine à Paris. Même en s’allongeant ainsi sur un vaste espace, la Loire est trop rapide de pente. Que l’on compare sa chute de 0m,45 par kilomètre du Bec d’Allier à Briare, de 0m,40 après Orléans, de 0m,35 à Tours, à celle de la Seine entre Marcilly et Montereau : 0m,23 ; et entre Montereau et Paris : 0m,19. Saumur est à la même altitude que Paris ; néanmoins la Loire descend de 0m,18 par kilomètre depuis la première ville, la Seine de 0m,10 en sortant de la seconde, tant elle multiplie ses méandres. La Loire n’en décrit pas. Paresseuse, comparée au Rhône, elle est trop rapide pour la navigation ; sur un fleuve peu abondant, au milieu de bancs de sable, dans un chenal étroit, la remonte surtout est très difficile : elle exige, pour un bateau de tirant d’eau moyen (1m,20), un effort quatre à cinq fois plus grand que sur un canal bien réglé.

L’eau coule trop vite sur les pentes trop fortes du bassin. Toute pluie un peu longue amène une onde violente et rapide ; le lendemain, l’eau manque. Elle suffirait si le fleuve était bien alimenté. Il ne l’est pas ; voilà le mal dont souffre la Loire.

Sans doute les régions qu’elle draine reçoivent assez de pluie. La Loire supérieure reçoit 1 170 millimètres sur sa rive droite, 741 sur la gauche ; le Forez 826 millimètres à droite, 605 à gauche ; la plaine de Roanne 865 à droite, 778 à gauche. Mais en dehors du Massif central, si bien arrosé, du Morvan, où tombent jusqu’à 1 500 millimètres, et du revers méridional des collines du Perche et du Maine (800 à 1 000 millimètres), nous trouvons de grandes plaines où le relief ne suffit pas à arrêter les nuées océaniques ; il n’y tombe que 750 à 800 millimètres de pluie, et une notable partie de la vallée n’en reçoit pas 650, C’est une zone sèche. La mer voisine donne à l’atmosphère assez d’humidité ; les terrains imperméables heureusement, en se refusant à absorber l’eau, gardent à la végétation sa fraîcheur ; sinon la culture même souffrirait.

Presque toutes ces pluies viennent du golfe de Gascogne : les vents d’ouest et sud-ouest prédominent dans la vallée de la Loire. Mais pour le cours supérieur, d’énormes chutes d’eau ne sont dues qu’à la Méditerranée : les vents du sud causent les crues les plus violentes de la haute Loire.

Sans être considérables, ces pluies suffiraient à alimenter la Loire, si elles se répartissaient également entre les saisons ; si leurs eaux rejoignaient lentement le fleuve ; si elles l’atteignaient enfin à intervalles assez réguliers. Rien de tel en réalité. Dans ses plaines occidentales, la Loire est soumise au même régime que tout l’ouest de la France : pluies de printemps et d’automne. Son cours supérieur, comme toute région méditerranéenne, reçoit surtout des pluies d’hiver. Neiges en hiver fondant au printemps, pluies d’automne et de printemps et surtout d’automne, presque rien en été, voilà le régime de la Loire. Pour l’aggraver, sa forte pente initiale précipite des montagnes les eaux à peine tombées, les neiges à peine fondues. Nul méandre ne les ralentit ; nul lac ne les modère dans les crues pour les déverser dans les sécheresses, comme il arrive au Rhône, au Rhin, aux rivières lombardes.

Ajoutez à cela la terrible influence du terrain. Lave, porphyre, gneiss, granité, schiste, on trouve toutes les roches imperméables dans le bassin de la Loire. Pour comble de malheur, elles constituent les montagnes. Le bassin de la Seine, dont les terrains imperméables ne forment qu’un quart, en comprend encore de bas et de plats comme le Gâtinais, une partie de la Brie, ou de peu inclinés comme la Champagne humide. La Loire a tout contre elle ; 45 pour 100 de son aire sont composés de ces roches funestes et cela dans les reliefs uniquement : le Massif central tout entier, le Morvan, les collines du Maine, la Gâtine, le Bocage vendéen. Mais les plaines sont toutes perméables, — on s’en passerait, — et le lit même du fleuve, qu’il faudrait imperméable, n’est formé que de limon, de sables, vraies éponges, ou de roches si poreuses que le fleuve s’y engloutit en partie comme dans le Val de Loire. Les eaux pluviales courent donc trop vite au lit du fleuve et là sont bues en partie.

Enfin les affluens sont mal distribués. L’Allier rejoint la Loire encore trop impétueuse ; mais nul autre affluent ne vient la soutenir ni de droite, ni de gauche quand ses eaux se perdent dans le Val, au moment le plus critique. La Loire coule là comme le Nil entre les déserts libyque et nubien. Plus loin, il est vrai, sur un espace moitié plus court que cette stérile section, les affluens semblent se donner rendez-vous : c’est le Cher, l’Indre, la Vienne, la Maine, tous affluens sérieux dont quelques-uns même apportent beaucoup d’eau. A Nantes, Erdre et Sèvre se jettent en face l’une de l’autre. Mais alors la mer attend le fleuve qui s’y perd. Après une fougueuse jeunesse, la Loire coule, dans l’isolement, une triste existence ; les affluens tourangeaux et angevins sont pour elle des amitiés bénies, mais tardives, qui, au déclin de ses forces, la soutiennent jusqu’à sa fin où elle a couru sans détours.

Le débit du fleuve ne peut donc être qu’inconstant. Il varie de 1 à 200[2]. L’écart, pour la Seine, n’est que de 1 à 31 ; pour le Rhône de 1 à 22 ; et pour la Somme de 1 à 2, 7 seulement. Le débit oscille entre de et 3 000 mètres cubes à Pinay (entre le Forez et Roanne) ; les crues à Nevers peuvent donner 6 000 et 7 000 mètres cubes, trois fois autant que la Seine à Paris dans l’inondation de 1876 ; mais à Briare l’écart est de 9 000 à 30 mètres ; à Orléans de 6 500 à 25, moins que la Seine, en amont de Charenton, dans les sécheresses extraordinaires. Cette pauvreté du fleuve dans le Val s’explique aisément par la nature du lit, entièrement percé de trous[3]. En aval du Cher, l’étiage permet souvent de naviguer : 52 mètres cubes ; il s’élève à 72 mètres au confluent de la Vienne, à 127 à celui de la Maine[4]. C’est surtout entre Briare et Tours que l’on souffre du manque d’eau, incroyable sur un si grand fleuve quand on voit la Garonne rouler au moins 36 mètres à Toulouse, la Seine 48 à Paris. C’est le vrai mal dont souffre la Loire ; c’est à le corriger qu’on doit s’appliquer.

Les deux autres fléaux naturels sont les crues et les sables ; le dernier, le plus difficile à repousser, c’est l’homme ; nous verrons pourquoi.

Les crues dépassent tout ce que notre douce Seine peut nous faire imaginer en nombre et en intensité. En cent cinquante ans, sans remonter au delà du XVIIIe siècle, on en signale de violentes en 1706, 1710, 1711, 1719, 1726, 1733, 1755, 1765, 1782, 1789, 1790, 1804, 1807, 1810, 1820, 1823, 1825, 1826, 1836, 1840, 1843, 1846, 1856. Quelle accumulation de désastres en si peu de temps ! Quel admirable courage pour les réparer ! Et quel entêtement à lutter contre une force invincible !

Les crues ne sont pas toutes funestes. Rarement celles d’amont coïncident avec celles d’aval. Mais quelques-unes sont générales, comme en 1856 et 1866. La première fut la plus terrible : le fleuve monta, en juin, de 5m,18 à Digoin, de 7m,43 à Orléans, de 7m,23 à Blois, de 7m,52 à Tours, de 7m,07 à Saumur, de (m,94 à Nantes ; on calcule que la Loire (en amont du Bec d’Allier) débita pendant cette crue 1 342 000 000 de mètres cubes ; l’Allier : 1 205 700 000 ; le Cher 519 000 000 ; l’Indre 95 000 000 ; la Vienne 654 500 000. Cette crue détruisit les digues sur plus de 23 kilomètres en 160 brèches ; il fallut 8 millions pour les reconstruire. Elle creusa 410 hectares de gouffres, ensabla 2 750 hectares, renversa 300 maisons, submergea 98 kilomètres de voies ferrées, arrêta la circulation pendant plus d’un mois (à cause des réparations) dans le val d’Anjou, coupa huit ponts et coûta environ 30 millions.

Heureusement les crues des affluens ne coïncident que rarement ; l’Allier devance la Loire de trois à six heures, parfois même d’un jour, le Cher est en avance de dix à seize heures, la Vienne de 70 à 100, Selon qu’ils entrent en jeu, le résultat diffère : le rapport entre les hauteurs de crue à Nantes et à Saumur descend à 0,89 si la Maine reste neutre ; sinon il s’élève à 1,10. En 1872 Cher et Vienne réunis faisaient passer la crue de 1 689 millions de mètres cubes à 3 225 millions. Selon ces diverses influences le débit et la vitesse varient beaucoup. Le maximum de la crue descend, avec une vitesse qui peut atteindre 5 kilomètres à l’heure entre Roanne et Nevers. 4 vers Tours, 6 à Saumur, o à Nantes, de même sur l’Allier.

Chaque crue précipite dans le lit du fleuve une énorme masse d’eau animée d’une très grande vitesse. Le flot passé, la Loire retourne au régime congru. Aussi, comme tous les fleuves sembables, a-t-elle deux lits : le mineur, où serpentent quelques filets liquides, au temps des maigres ; le majeur, où les crues puissantes étalent leurs eaux tumultueuses. Le lit mineur est large d’environ (33 mètres du Bec d’Allier à Briare, 341 de Briare à Orléans, 312 d’Orléans à Blois, 356 de Blois à Tours, 386 de Tours à Saumur, 470 de Saumur aux Ponts-de-Cé, 415 des Ponts-de-Cé à Nantes. Mais cette largeur se réduit parfois à 150 et même 50 mètres. Le lit majeur, compris entre les coteaux et les digues insubmersibles, présente une largeur moyenne de 1 433 mètres du Bec d’Allier à Briare, de 1 036 de Briare à Orléans, de 713 d’Orléans à Tours, de 1 062 de Tours aux Ponts-de-Cé, et de 1 620 de ce point à Nantes. Mais ce sont des moyennes : le lit majeur varie de 450 à 6 000 mètres, surtout en Maine-et-Loire. Le fleuve s’épanouit dans les plaines du Forez, de Roanne, du Val de Loire, du Val d’Anjou, lacs primitifs que fermaient des barrages. Le fleuve, peu à peu, a comblé ces lacs en amont, élargi leurs gorges en aval ; les eaux se sont écoulées, abandonnant les plaines à la végétation. Ainsi la Loire est-elle passée de la phase lacustre à la phase fluviale. Mais si, dans les parties resserrées, le chenal se maintient assez bien, il divague dans les vals au milieu d’un épais limon, au milieu surtout de bancs de sable immenses, dont la végétation, la culture même souvent fixent les rives jadis incertaines.

Les sables ! Comment sauver un fleuve qui en roule, qui en étale sur des centaines de kilomètres ? Le voyageur le plus léger est frappé à ce spectacle. La matière solide attire seule son regard. « C’est un fleuve de sable ! » Il se représente la Loire comme ces torrens de bouc qui sortent parfois des glaciers. Il sait confusément que les crues violentes et même modérées arrachent des quartiers de roche aux berges du cours supérieur. Son imagination lui montre bien vite des masses énormes de sable rampant silencieusement du Velay à l’Océan, sur mille kilomètres, sans relâche, depuis des milliers d’années, de siècles peut-être. Et la preuve, dit-on, c’est que la baie de la Loire s’ensable.

Voilà la conception vulgaire. Rien de tel on vérité. Un premier point d’abord : la Loire n’érode que le Massif central. Tous ses sables en viennent, et cela depuis bien longtemps, dès l’ère tertiaire, quand la Loire se jetait dans la Seine[5]. Depuis lors, bien des alluvions sont sorties des montagnes ; le fleuve les a remaniées, et les remanie sans cesse. Ici il attaque une île, l’effile, la réduit à rien, affouille une berge élevée, la mine, la renverse et l’emporte ; là, au contraire, il allonge un banc derrière une barque échouée, un saule dont foisonnent les racines, ou comble une jolie crique, maçonne des rives ébranlées. Mais toutes ces actions se compensent. Sans doute il y a érosion et beaucoup trop encore ; mais elle est limitée à l’Allier et à la Loire supérieure, et, pour celle-ci, surtout aux berges des plaines de Brives, Saint-Vincent et Bras, dans la Haute-Loire, du Forez et de Roanne dans la Loire. Là les rives sont mal défendues, on a déboisé imprudemment, et le sol (argiles sableuses tertiaires) n’offre pas la résistance des terrains primitifs, primaires et éruptifs du Massif central. Un cours d’eau, si puissant soit-il, ne triomphe pas si aisément du granit, du gneiss ou du porphyre !

Le mal est trop grand encore[6]. L’ingénieur Comoy calculait que la grande crue de 1856 avait détruit les berges de la Loire, en amont du Bec, sur 448 684 mètres carrés et emporté 1 554 782 mètres cubes ; le ravage aurait été pour l’Allier de 2 255 319 mètres carrés, soit 6 311 45 4 mètres cubes. Le désastre fut exceptionnel. Mais en moyenne, en amont du Bec, l’apport est de 2 300 000 mètres cubes de sable et de gravier<ref> Ces deux élémens forment pour la Loire supérieure 67 p. 100 des terres charriées, 57 p. 100 pour l’Allier. Quant à l’argile, elle reste en suspension et se dépose partiellement en route. </<ref>. Le colmatage heureusement compense en partie la destruction. Sinon les plaines d’Allier seraient détruites en deux cents ans, celles de la Haute-Loire en deux mille. La destruction prévaut, mais si peu que, juste au-dessous du Bec, l’apport est réduit à un million de mètres cubes. Les riverains en enlèvent 600 000 par an (150 000 de graviers, et 450 000 de sable). La Loire maritime ne reçoit donc guère, en sus du limon, que 400 000 mètres de matières solides, par an.

« Mais l’ensablement de la baie de la Loire, l’attribuez-vous donc à la mer ? » dit-on avec ironie. Eh oui. L’estuaire proprement dit ne s’est ensablé que depuis le XVIIIe siècle, depuis la construction des digues malencontreuses. L’homme est donc la cause, et non le fleuve. Quant à la baie, les études minutieuses faites pour l’amélioration de la barre, durant ces dernières années, ont établi deux points : la barre se compose presque uniquement des roches des rivages et des îlots environnans ; elle s’est renforcée quand la mer y a rejeté les débris d’un haut-fond voisin, qu’elle a détruit en cinquante ans.

La Loire n’a donc pas ensablé son embouchure. Il est d’ailleurs facile de voir qu’entre Orléans et Nantes son lit ne s’est pas exhaussé depuis les temps historiques : à de nombreux endroits la roche affleure, et dans les années sèches on voit les fondations des ouvrages faits il y a plusieurs siècles. On ne constate jamais, il est vrai, de dépôts aux points de résistance et de resserrement ; mais il s’en forme toujours un ensuite. Or, après ces affleuremens de roches, ces ouvrages anciens, on ne trouve pas de ces ensablemens caractéristiques. Bien plus, pour beaucoup de bancs, d’îles, on sait, comme à Nantes, l’obstacle qui les a déterminés, barrage, moulin ou établissement de pêche.

L’étude des graviers est un nouvel argument : roulés longtemps, ils seraient ronds et polis ; on en trouve beaucoup au contraire qui, plats sur le dessus, sont rugueux en dessous ; c’est donc qu’ils demeurent en place et ne sont usés que du côté où passent les sables. Parfois, après une crue, on en voit de gros sur les grèves : elle les a mis à nu et non apportés ; ces crues les font, tourbillonner sur place. Les sables fins déjà ne parcourent pas plus de cent mètres en vingt-quatre heures[7], même avec des crues hautes de quatre mètres. Comment les graviers parcourraient-ils de grands espaces, puisque les crues ne durent guère que quatre à cinq jours ?

Concluons donc : les dépôts qui encombrent le lit du fleuve sont anciens et issus du Massif central. De nos jours, il n’érode ses rives que dans son cours supérieur, et charrie peu. Quant au sable, il devient si fin qu’à Nantes il reste en suspension. L’ensablement est donc bien moins à craindre que le manque d’eau. Des reboisemens[8], des regazonnemens même (on les estime à 20 millions), avec quelques travaux pour défendre les rives en Auvergne et en Velay, arrêteraient toute érosion ; la Loire pourrait alors lentement évacuer l’excès de ses sables.


II

Le troisième fléau de la Loire est l’homme.

Il y a cinq ou six mille ans, de braves paysans cultivaient une vallée fertile ; pas de pluie, un ciel de feu, mais un fleuve ; la crue annuelle donnait le limon, partant la fécondité. On bâtissait les villages sur des tertres, unis par des chaussées. La crue venait, s’apaisait en inondant les terres, respectait villages et chaussées ; l’eau partie, on semait sur le nouveau limon : la récolte était magnifique sans que la crue eût rien détruit.

Du premier coup les Egyptiens avaient trouvé la solution. Les modernes, plus civilisés, ont cru mieux faire. Ils ont erré. Des coteaux qui maintiennent le lit majeur, ils sont descendus jusqu’au bord du lit inférieur, et, sans surélever la base de leurs villages, ont bâti au niveau des berges mineures. Les crues ont balayé maisons, champs et vergers. Pour les protéger, on les a entourées d’une levée de terre. Les lignes de levées, de « turcies », se sont allongées à perte de vue, partout où les coteaux, en s’écartant, offraient à la culture de riches plaines d’alluvions. Dès Louis le Débonnaire, on y travaille : ses capitulaires en font foi. Au moyen âge, les grands seigneurs angevins et tourangeaux récompensent la fidélité de leurs sujets par de nouvelles concessions de « laisses de Loire. » L’endiguement continue de plus belle, se resserre ; le fleuve, entre ces levées, se gonfle, augmente de vitesse et fait brèche à toute crue. Alors ce sont d’effroyables désastres : moissons perdues, arbres fauchés, maisons effondrées, routes coupées, bêtes et gens noyés. « Les digues ne sont pas assez solides », dit-on. Le XVIIe et le XVIIIe siècle sont employés à les surélever de 3 ou 4 mètres à 7 mètres et même plus ; le lit majeur a été réduit des deux tiers, entre l’Allier et Nantes. Naturellement digues de crever et ravages d’augmenter à proportion.

Notre temps enfin a raisonné ou peut-être s’est souvenu de l’Egypte. Il n’est plus un ingénieur qui admette qu’on se ferme aux inondations ; on leur ouvre la porte, pas toute grande, mais il faut l’ouvrir.

On a proposé bien des remèdes. En diminuant la hauteur des digues d’amont en aval, la crue s’épancherait plus largement : elle tomberait, lors du maximum, sur une nappe d’eau amortissante. Mais elle se jetterait par-dessus les digues sur toute leur longueur ; il faudrait en fortifier le sommet d’un bout à l’autre, à un prix exorbitant. On a pensé aussi à ouvrir dans les digues des passes depuis le niveau des rives en aval jusqu’à une hauteur de cinq mètres au-dessus de l’étiage en amont : on obtiendrait ainsi une série de déversoirs qui s’échelonneraient juste en proportion de l’élévation des crues. Mais ouvrir des passes est toujours dangereux : des remous se produisent aux bords, les affouillent, et le fleuve emporte une longueur de digues qu’on n’avait pas prévue. D’ailleurs ce système maintient le néfaste endiguement. D’autres se contenteraient de digues submersibles, arasées à 3 ou 4 mètres au-dessus de l’étiage. Enfin certaines vallées latérales basses pourraient servir de déversoirs. La Cisse, l’Authion, par exemple, jouent ce rôle en temps de crue. La Loire reflue même dans la Maine qui lui rend ses eaux quelques jours après. Mais c’est un aménagement difficile à calculer. Les anciens déversoirs de Saint-Martin près Gien, de Mazan près Beaugency, ont le seuil si bas qu’ils s’emplissent bien avant l’arrivée du maximum de la crue ; ils ne la diminuent donc pas. Après la crue de 1866, trois nouveaux déversoirs ont été faits. Mais les propriétaires sont hostiles à ce système : on croit encore sur les bords de la Loire à l’efficacité des digues ! L’incertitude n’est pourtant plus possible ; l’endiguement complet est une chimère ; il faut au moins des déversoirs, à condition toutefois qu’ils ne fonctionnent que quand le fleuve s’élève très haut, à cinq mètres au-dessus de l’étiage par exemple, qu’ils restent vides, ou presque, jusqu’au moment critique de la crue.

Il est bon de le répéter au public qui s’éprend à la légère de systèmes compliqués de bassins de retenue sans en voir les conséquences. On a parlé de reconstituer par fractions l’ancien lac de la Loire supérieure, pour supprimer le double inconvénient des crues et des maigres. Les gorges porphyriques de Pinay retiennent déjà partie des eaux d’amont, surtout depuis que l’ingénieur Mathieu y a élevé une digue en 1711[9]. Mais qu’est cette petite retenue à côté des débits de grande crue que nous avons vus ? On a fait encore deux réservoirs à Rochetaillée, à Pas-de-Riot, sur le Furens ; mais deux ou trois ne suffisent pas, il en faudrait une soixantaine ! Pour augmenter le débit du fleuve de 60 mètres cubes en basses eaux, on devrait emmagasiner 520 000 000 de mètres cubes derrière 68 barrages. D’autre part, il eût fallu retenir 3 à 400 000 000 de mètres cubes pour éviter les désastres de 1856, Sans doute, la pierre coûte peu dans le Massif central, la main-d’œuvre aussi. Mais trouver une soixantaine de gorges à noyer est malaisé dans un pays peuplé même médiocrement. Et comment concilier les intérêts de la défense et ceux de la navigation ? Cette dernière veut des réservoirs combles : elle y voit des trop-pleins ; mais la première exige des réservoirs vides, toujours béans à l’approche de la crue. Sans compter que la pisciculture officielle s’en sert comme d’étangs, et que l’hygiène publique et l’intérêt même de l’édifice réclameraient contre l’assèchement total. Un réservoir ne reçoit donc qu’une petite partie des crues, comme les déversoirs à seuil bas dont nous avons parlé. On devrait les multiplier pour obtenir une retenue de 400 000 000 de mètres cubes. Ajoutons qu’il les faudrait presque tous dans la seule vallée de la Loire : les crues de l’Allier devancent celles du fleuve ; en retardant celles de l’affluent, on les ferait coïncider.

On voit combien cette question est complexe. Désirer la fin des inondations désastreuses est fort louable, mais on aurait moins de mal à empêcher les désastres que les inondations. De toutes les solutions, la meilleure est de laisser le fleuve déborder. Aux villes de s’entourer d’un anneau de digues insubmersibles comme a déjà fait Tours, ou de s’exhausser complètement comme Szegedin, après que la Tisza l’eut détruite en 1876. Quant aux cultures, les paysans devraient les choisir telles que les semailles ne se fissent qu’après les grandes eaux d’automne, dans le limon nouveau. Le reboisement et le regazonnement des montagnes, utiles pour préserver les berges de l’érosion, seraient encore plus nécessaires pour atténuer les crues. C’est peut-être de tous les préservatifs le plus puissant[10]. Mais de toute façon, il faut renoncer à l’endiguement, funeste au fleuve et à l’homme.


III

Ce qu’est la Loire naturellement, — ses défauts, — comment l’homme, pour s’en garder, les a empirés, nous l’avons vu. La situation est si mauvaise qu’on serait surpris de voir des bateaux sur la Loire. On s’étonnera donc sans doute qu’il y en ait eu, et beaucoup. L’histoire va nous l’apprendre[11].

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, la Loire semble navigable. Outre Strabon et César, les inscriptions votives de l’Association des nautoniers de la Loire à l’époque gallo-romaine le disent assez.

Lorsque la société du moyen âge sortit du chaos et s’organisa, que le commerce rétablit entre les divers pays de la France les liens anciens, la Loire fut une des voies les plus suivies. Châteaux, évêchés, monastères, si nombreux sur les bords de ce fleuve, s’approvisionnaient par là en dépit des péages. Certains avaient leur flottille : l’évêque de Nevers, deux bateaux ; l’abbaye de Saint-Benoît, six. Les pays voisins produisaient déjà, grandissaient en population et importaient à proportion. On voyait circuler [12] sur le fleuve les blés de la Beauce, les vins de l’Anjou et de la Touraine, les bois des forêts alors très nombreuses, les bestiaux du Berry, le sel marin, le poisson, les métaux du Nivernais, les ardoises angevines, les pierres tombales du Bourbonnais, et bien d’autres produits d’origine même étrangère, même orientale. Les armées utilisaient cette voie : le 29 avril, le 4 mai 1429, Jeanne d’Arc fit arriver de Blois à Orléans des convois de blé. Après la délivrance de la ville, elle transporta par eau son matériel de siège ; une seule bombarde exigeait vingt-deux chevaux au halage.

La navigation était assez importante pour qu’il existât une Communauté des Marchands fréquentant la rivière de Loire et autres fleuves descendant en icelle. Elle lutta plusieurs siècles pour affranchir le fleuve ; une corporation puissante pouvait seule empêcher la multiplication abusive des péages. Sur chaque section du fleuve ou détroit un marchand délégué surveillait les ouvriers qui débarrassaient le fleuve des obstacles. Les moulins, terreur de la navigation, ils en réglèrent la position, les dimensions, fixèrent la largeur du chenal sur leurs flancs. Tous les ans on balisait le chenal. Sur la berge, ils entretenaient les hausserées ou chemins de halage, les quais, les digues. Naturellement les seigneurs péagers, qui auraient dû s’acquitter de ces soins, regardaient la Communauté d’un très mauvais œil et souvent même usèrent contre elle de violences : vols, blessures, navrures, emprisonnement et meurtre. Pour subvenir à ses dépenses, ce syndicat de la navigation percevait sur les marchandises en transit un droit de boîte : on en versa d’abord le montant dans des boîtes placées à des postes fixes.

Là comme partout, l’ancien régime devait se montrer hostile à l’initiative privée et à l’esprit d’association.

En 1680, Colbert remit aux intendans le bail du droit de boîte et l’adjudication des travaux de balisage. En 1735, l’ingénieur des turcies et levées est chargé de tout le service de la navigation entre Roanne et Nantes. En 1758, abolition du droit de boîte. Enfin en 1772 un édit supprime les frais de bureau de la Communauté. C’était la tuer. Le gouvernement avait remporté un de ces nombreux succès grâce auxquels il put alanguir, puis supprimer tous les organismes vivans de l’ancienne France. Comme bien d’autres gouvernemens despotiques, il s’emparait de recettes spontanément établies et payées par les habitans, en promettant de s’acquitter des services correspondans. Il devait un jour garder l’argent et oublier l’obligation.

Jusqu’à la Révolution, l’importance économique de la Loire se maintint. Après la guerre de Cent ans, c’est le règne des Valois, cet âge d’or de la vallée de la Loire. C’est la découverte de l’Amérique avec ses métaux précieux, ses pêcheries de Terre-Neuve, plus tard son sucre, son tabac, son café, ses esclaves, qui mettent Nantes au premier rang. Cette richesse se marque encore dans les quais, les ponts, les hôtels de la plupart des villes de la Loire ; beaucoup datent du XVIIe et du XVIIIe siècle. L’écrasement de notre pays en 1763 nous fait trop oublier l’admirable essor de notre commerce à cette époque.

Malgré l’appauvrissement général qu’amène la guerre de la ligue d’Augsbourg[13], et le désarroi où plusieurs villes, comme Tours et Saumur, se trouvèrent après le départ des riches familles de huguenots, l’intendant de la généralité d’Orléans, M, de Bouville, pouvait encore attribuer une très grande valeur à la navigation sur la Loire. Dans un mémoire qu’il écrivit en 1698 pour l’éducation du duc de Bourgogne, il énumère tous les produits qui circulent sur le fleuve, le gros du transit consistant en vins d’Orléanais, Anjou et Touraine, en blés de Beauce, Bretagne, Poitou et Auvergne, en épiceries importées par Nantes et Marseille.

Un siècle plus tard, le médecin Beauvais de Préau nous montre en Orléans une ville très industrielle et, grâce à la Loire, très commerçante.

En 1787, dans une séance de l’Assemblée provinciale de l’Orléanais, on lut un mémoire sur le commerce de la province ; aucun mécontentement ne s’y fait voir ; on se félicite toujours de l’heureuse situation de la ville sur son fleuve.

La même année un observateur exact, et dont la France essuya maintes fois la critique, Arthur Young, arrive à Orléans « où on fait beaucoup de commerce. » Il a bien constaté autre part des grèves, des bancs de cailloux, mais ne paraît guère y voir un obstacle à la navigation. D’Orléans même il dit : « On y voit amarrés aux quais beaucoup de barges et de bateaux construits sur la rivière, dans le Bourbonnais, etc. Chargés de bois, d’eau-de-vie et d’autres marchandises, ils sont démembrés à leur arrivée à Nantes et vendus avec la cargaison. Le plus grand nombre est en sapin. Entre Nantes et Orléans, il y a un service de bateaux, partant quand il se trouve six voyageurs à un louis par tête ; on couche à terre ; le trajet dure quatre jours et demi. »

Les marchandises n’employaient donc pas seules la voie de la Loire, mais aussi les voyageurs. Nombre de nos écrivains en ont laissé le souvenir. C’est Scarron qui, dans son Roman comique (1651), raconte un débarquement plaisanta Orléans, où les voyageurs sont harcelés par une bande de faquins, qui se ruent sur eux, leur arrachent leurs colis, se mettant à plusieurs pour le moindre. On croirait lire le récit d’un débarquement dans un port du Levant.

La Fontaine, en 1663, donne à sa femme ses impressions de voyage en arrivant à la Loire : « Elle est près de trois fois aussi large à Orléans que la Seine l’est à Paris ; l’horizon très beau de tous côtés, et borné comme il le doit être. Si bien que, cette rivière étant basse à proportion, ses eaux fort claires, son cours sans replis, on dirait que c’est un canal. De chaque côté du pont, on voit continuellement des barques qui vont à voiles ; les unes remontent, les autres descendent ; et, comme le bord n’est pas si grand qu’à Paris, rien n’empêche qu’on ne les distingue toutes. On les compte, on remarque en quelle distance elles sont les unes des autres ; c’est ce qui fait une de ses beautés ; en effet, ce serait dommage qu’une eau si pure fût entièrement couverte par des bateaux. Les voiles de ceux-ci sont fort amples, cela leur donne une majesté de navires, et je m’imaginai voir le port de Constantinople en petit. »

Mme de Sévigné prit aussi la route de la Loire, à plusieurs reprises, pour se rendre aux Rochers : « On se croit obligé de prendre des bateaux à Orléans comme on achète des chapelets à Chartres. » Ainsi, en 1680, elle partit le 9 mai au matin, d’Orléans, et le 13, arrivait à Nantes. Elle avait installé son carrosse sur le bateau. « Nous avons baissé les glaces ; l’ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue qu’on peut imaginer. Nous ne sommes que l’abbé et moi dans ce joli cabinet, sur de bons coussins, Bien à l’air, bien à notre aise ; tout le reste comme des cochons sur la paille. Nous avons mangé du potage et du bouilli tout chaud ; on a un petit fourneau, on mange sur un ais dans le carrosse, comme le Roi et la Reine. » En septembre 1675, elle avait pris la même route, mais « les eaux sont si basses et je me suis si souvent engravée que je regrette mon équipage qui ne s’arrête pas et qui va son train. »

Ainsi la Loire exposait les voyageurs à des mécomptes. Retenons le fait sans le grossir outre mesure : le transport des voyageurs diminuait si peu, qu’au XVIIIe siècle on vit établir plusieurs services réguliers de coches d’eau. En 1770, 1773, le bureau des Marchands fréquentans s’y oppose : une compagnie privilégiée nuisait aux mariniers. Mais, en 1779, on organisait le service ; la Loire fut divisée en trois sections : de Roanne à Nevers, de Nevers à Orléans, d’Orléans à Nantes. Sur chacune, deux départs par semaine en chaque sens ; le trajet durait sur les premières sections trois jours en hiver, quatre en basses eaux ; entre Orléans et Nantes, huit jours à la descente ; quinze à la remonte. Un service annexe reliait Angers à la Loire. Les voyageurs devaient payer trois sous par lieue. En 1780, les bateliers reçurent défense de transporter des voyageurs sans un permis de la compagnie fermière et un droit d’un sou par personne et par lieue. Ce système de monopoles accordés à des privilégiés qui les vendaient et revendaient, aboutit là, comme partout ailleurs, à léser une foule d’intérêts, apporter le trouble, la gêne, désorganiser les anciens services et décourager les volontés libres.)

Ces mauvaises mesures, la Révolution, les guerres de Vendée, n’arrêtèrent cependant pas la navigation. La loi de floréal an X créa un droit de navigation ; une commission officielle en discuta le tarif dans le Loiret. Selon l’ingénieur en chef, il passait alors en moyenne 9 480 bateaux sur la Loire, avec une charge de 402 250 milliers.

La vapeur allait bientôt faciliter la navigation intérieure. En 1823, déjà, un vapeur circulait entre Nantes et Angers ; en 1829, on organisait le service entre Angers et Orléans, et, en 1832, entre Nantes et Orléans. Les Hirondelles apparurent en 1836 ; en 1838, les Inexplosibles. En 1843, quatre compagnies desservaient la Loire : les Paquebots de Nantes à Orléans ; les Inexplosibles de la Haute-Loire entre Orléans et Moulins, les Inexplosibles de la Basse-Loire entre Orléans et Nantes, les Remorqueurs entre Nantes et Châtillon.

Ces remorqueurs circulaient en toute saison sur le fleuve. La compagnie s’était entendue avec celle du chemin de fer d’Orléans, et une compagnie de navigation de Nantes à Bordeaux. D’autres remorqueurs allaient unir la Loire à Lyon et Lyon à Bâle. On ouvrait ainsi une route commerciale économique entre nos deux ports de Bordeaux et de Nantes et l’Europe centrale. En 1845 et 1846, deux nouvelles compagnies se fondent. La navigation à vapeur prenait ainsi la place de la marine à voiles : plus rapide, plus sûre, mieux pourvue de capitaux, elle en devait triompher. Mais la concentration même de cette industrie en rendait la suppression plus facile. En 1846, la compagnie d’Orléans désintéressa, « au milieu des succès et des recettes », les deux principales compagnies de navigation, et un]]eu plus tard celle des charbons de la Haute-Loire, dite compagnie Blanzy. Un gros bénéfice immédiat tente toujours des actionnaires ; tant pis pour les intérêts que lèse leur renoncement.

La batellerie se défendit mieux ; on s’attache plus à sa maison, à sa barque qu’à un titre en portefeuille. Un article publié par M. Bigeard dans la Revue d’Anjou nous donne d’intéressans détails sur l’activité de la navigation jusqu’en 1865 environ. Le chemin de fer fut prolongé de Tours à Angers en 1852, mais la lutte continua. Les trains de bateaux (dix ou douze parfois) se succédaient très nombreux sur le fleuve ; les quais de Saumur étaient si encombrés qu’on en reconstruisit alors de magnifiques ; on y étend le linge aujourd’hui ! A Angers, la vie se concentrait autour des quais, nouvellement élevés. Mais du jour où le chemin de fer eut acheté les grandes compagnies de navigation, le transport des voyageurs cessa sur la Loire, et les remorqueurs, en disparaissant à leur tour, portèrent un coup terrible à la batellerie. Les bateaux moins nombreux, on veilla moins à l’état du lit, cercle vicieux, car cette détérioration même décourageait la navigation[14]. Le mal est ancien : il date de la Révolution, nous le verrons plus loin.

Il se perpétue : non content d’équilibrer les dépenses et les recettes, on considère le fleuve comme une source de bénéfices, et l’on voit par exemple, entre Angers et Nantes, une section du fleuve coûter 17 090 francs d’entretien (22 000 en 1889) et rapporter 30 535 francs (plantations, pèche, etc.). Il est inadmissible qu’on détourne de l’amélioration de la Loire, qui en a tant besoin, l’argent qu’elle produit. Ses affluens d’ailleurs ont été aussi négligés : sur les canaux bretons, les affluens de la Maine, on se plaint de la vase, des herbes, du délabrement des barrages.

Le second Empire, qui osa aliéner les canaux du Midi à une compagnie de chemin de fer, n’eut cure des voies navigables. Pour ramener à elles l’opinion et décider de nouveau le gouvernement à s’en occuper, il fallut trente ans. Pendant ce temps, le tonnage effectif sur le réseau de la Loire tombait de 12 millions de tonnes à 7. Mais ce chiffre comprend les canaux qui unissent la Loire aux fleuves voisins. Le tonnage kilométrique, sur la Loire seule, est tombé entre 1853 et 1895 , de 96 500 000 t. à 31 500 000 ; sur la Vienne de 1 207 075 à 116 119 ; sur la Mayenne de 4 425 259 à 2 804 128 ; sur le Loir de 1 657 810 à 344 949. On ne peut mieux montrer la déchéance de la Loire qu’en la comparant à la Seine. Voici les clii tires respectifs du tonnage des deux fleuves, en 1895, par sections :

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Seine. tonnes. Loire. tonnes.
De l’Aube à l’Yonne 95 106 En amont de Roanne 19 036
De l’Yonne à Melun 1 592 401 De Roanne à Briare 25 153
De Melun à Paris 4 456 739 De Briare à la Vienne 15 349
Dans Paris 5 261 847 De la Vienne à la Maine 34 553
De Paris à la Briche 3 536 947 De la Maine à Nantes 94 445
De la Briche à l’Oise 3 789 505 De Nantes à Saint-Nazaire 451 779
De l’Oise à Rouen 1 460 052 825 kilomètres. 640 315
De Rouen au Havre[15] 286 232
547 kilomètres 20 879 869

8 000 bateaux ont circulé en 1895 sur la Loire, et 103 000 sur la Seine.

Sur les 825 kilomètres officiellement navigables de son cours, la Loire comprend donc aujourd’hui une section de 372 k., si mauvaise qu’on a dû la doubler d’un canal latéral ; une de 315 (de Briare à la Maine), où la navigation est tombée presque à rien, et une de 140 où circulent les bateaux de rivière, mais où les grands navires doivent emprunter un canal de 15 kilomètres. La Loire se compose donc de deux cours d’eau : l’un qui se jette dans la Seine par les canaux du Nivernais et du Loing ; l’autre formé de la Vienne et de la Maine. Entre les deux, un désert. Et comme les canaux de la Garonne ont été abandonnés, on peut dire que, si l’est et le nord communiquent par eau, l’ouest et le sud en sont entièrement séparés. La France est coupée en deux. La Loire, la Garonne, la Charente et leurs affluens, les canaux bretons, sont des tronçons isolés. Près de 3 500 kilomètres, un quart de notre réseau navigable, restent inutilisés, faute d’être unis aux voies du nord et de l’est. C’est un désastre national.


IV

La Loire fut très fréquentée ; elle ne l’est plus ; elle doit l’être. Tout le monde admet les premières de ces conclusions ; quant à la troisième, on ne peut s’accorder ; la certitude et l’enthousiasme font place au scepticisme et au découragement.

« On ne sait pas au juste ce que l’on doit faire sur la Loire, disait M. Krantz en 1873, mais on sait au moins ce qu’il faut éviter, et c’est quelque chose. »

On avait donc déjà tenté d’améliorer le fleuve, et ces travaux n’avaient servi de rien. Examinons-les rapidement.

A toute époque, on a su barrer un faux bras, défendre une rive, une île. Mais améliorer un fleuve en totalité, ou au moins sur une grande longueur, ne date que du XVIIe siècle. Depuis Louis XIV les plans d’ensemble se succèdent. Naturellement, les Hollandais commencent. Ils parcourent alors l’Europe en quête de desséchemens, de canalisations, de dérivations, comme on voit aujourd’hui les Anglais éclairer au gaz ou doter de métropolitains les villes du continent. Nos ancêtres, gens de sang-froid, ne croient pas le monde perdu et ne se demandent pas avec terreur à quoi tient la supériorité des Hollandais ? En attendant un déclin qu’on pouvait prévoir, ils les employaient à défaut des Français. Les Hollandais proposèrent donc d’améliorer la Loire dans sa partie maritime et sa partie fluviale ; on leur eût en échange accordé l’entrée à Nantes en franchise. Un seul procédé d’ailleurs : les digues submersibles. On sait qu’en rétrécissant un cours d’eau, on augmente sa force. Les Hollandais espéraient, par ce procédé, augmenter le tirant d’eau du fleuve et en chasser les sables. Habitués à leurs fleuves réguliers, bien alimentés, ils ne pouvaient penser que la Loire manquait d’eau et laisserait les bancs s’allonger même dans les passes rétrécies. Notons d’ailleurs qu’ils ne proposèrent pas de digues insubmersibles ; ils en savaient le danger.

On n’accepta pas leurs offres, mais en 1746 une commission d’études se ralliait à leur système. En 1755, on construisit des digues entre Nantes et Paimbœuf. Le résultat fut d’abord favorable : dans cette section, où l’eau ne manque jamais, le lit se creusa ; mais entre les digues et la rive, le sable se déposa librement à l’abri ; le cube de l’estuaire diminua d’autant, et par suite les masses du flot et du jusant, qui forment dans tout l’estuaire un jeu de chasses pour l’expulsion des sables et le maintien des vases en suspension. Aussi l’amélioration resta locale ou même disparut rapidement. A la même époque, vers 1730, on rétrécit la Loire à Orléans, — avec un insuccès complet, — ce qui n’empêche pas de continuer la même œuvre, un siècle plus tard, en 1834, sur trois kilomètres.

La Communauté des marchands fréquentans avait, nous l’avons vu, travaillé constamment à entretenir le fleuve en bon état, jusqu’à sa suppression en 1772, par ses curages, ses chevalages[16]. Le service des Ponts et Chaussées, succédant à la Communauté, en prit les obligations. Mais la Révolution survint qui arrêta tout. Les inondations de 1789 et 1790 auraient exigé un crédit supplémentaire de 493 500 livres ; on n’allait même plus pourvoir aux dépenses annuelles !

Jusqu’en 1792, les fonds des turcies étaient de 100 000 à 120 000 francs par an. En l’an VII on n’alloue que 5 700 francs ; en l’an VIII, 37 074. « Depuis la Révolution, les turcies et les levées, réunies aux Ponts et Chaussées, ont subi les mêmes effets du même défaut de moyens dans le trésor public et de l’espèce d’abandon où, successivement, les travaux publics ont été laissés. » Ainsi s’exprime le conseil général du Loiret en l’an IX ; le gouvernement consulaire, cette même année, réduisait le crédit de moitié : 18 895 francs. Vainement le conseil réclama un minimum de 100 000 francs. En 1809, on donne 80 000 francs, et en 1810 20 000 pour remonter à 54 000 en 1814. Aussi partout les berges s’effondrent, les chemins de halage sont rongés, le lit s’ensable et la navigation souffre. La loi de floréal an X avait pourtant créé des droits de navigation destinés à entretenir les cours d’eau. On les détourna de leur but. De l’an XII au 1er janvier 1811, on perçut 981 370 fr. 21 ; les dépenses pour le même temps furent de 516 580 fr. 27. L’État gagnait 460 000 francs ! De 1811 à 1816 les recettes montent à 557 562 fr. 27, les dépenses à 159 972 fr. 90 seulement. De même dans la suite. On parle aujourd’hui de l’état lamentable de la Loire ; on ne croit pas à son importance passée ; songe-t-on jamais à l’abandon où les pouvoirs publics l’ont laissée ?

On en revint aux dignes submersibles, de 1820 à 1850. En 1825, entre Chouzé et l’embouchure de la Vienne, on construisit trois digues ; vers 1837, on y ajouta de nouveaux épis pour les rattacher à la rive. Résultat : un ensablement se produisit sur trois ou quatre kilomètres de longueur et 300 mètres de large, devant le port même de Chouzé. En 1831, même système à Briare ; de 1834 à 1838 à Orléans, pour prolonger le duit, ou passage rétréci. Inlassable, l’administration généralisa le procédé, l’appliqua à l’Indre-et-Loire, le proclama bon pour les départemens traversés par le fleuve. Le dernier essai fut tenté entre Combleux et Orléans en 1847-48. De tous côtés, les chambres de commerce se plaignaient, réclamaient l’interdiction même de ces travaux : l’hiver, ils arrêtaient les crues et faisaient crever les levées ; construits en travers du courant, ils le déviaient et les bateaux se précipitaient sur les digues. Consultés à domicile, les mariniers se prononcèrent par 343 voix contre 24 pour la suppression des digues submersibles. Si l’on obtenait un approfondissement sur un point, c’était aux dépens de la sécurité, et l’ensablement, seulement retardé, se faisait en aval ; en basses eaux, il se produisait même entre les digues. Trois décisions ministérielles en condamnèrent l’emploi (8 et 16 août 1859, 21 décembre 1860). On y est revenu depuis et avec raison pour le Rhône : il ne manque jamais d’eau, et sa pente lui permet de chasser énergiquement les dépôts, d’éroder même les hauts-fonds résistans.

Plus d’endiguement donc ; solution sage, mais négative. Les riverains en veulent de positives. Plusieurs ont été proposées ; voyons-les sans nous prononcer ; alors qu’une commission technique les examine avec prudence, il serait téméraire à un profane d’en indiquer une.

Deux partis s’offrent : utiliser le lit du fleuve, ou y renoncer et creuser un canal latéral. Dans la première hypothèse, il faut diminuer l’apport des sables… et amener de l’eau. La première opération est assez facile, nous l’avons vu : la défense des rives du bassin supérieur interdirait tout affouillement nouveau, et des sables anciens le fleuve se purgerait peu à peu. Les crues désastreuses, on en connaît aussi le remède ; l’accord est définitif sur ce point. Mais les basses eaux, voilà l’ennemi !

Un premier remède est le reboisement, le regazonnement. Indispensables pour arrêter les crues, leur rôle ne serait pas petit au temps des maigres. Mais c’est alors surtout que les réservoirs serviraient. Toute leur capacité serait alors profitable, et c’est pour la navigation, bien plus que contre les crues, qu’ils sont nécessaires. Les deux mesures dont nous parlons ne sont donc pas d’un emploi indifférent.

Mais, dès qu’on descend des montagnes aux plaines, où la pente permet la navigation, le problème se complique. Il ne s’agit plus de trouver de l’eau d’une manière générale, mais sur tous les points également.

Un fleuve ne manque jamais d’eau sur toute sa longueur. Entre les hauts-fonds où le sable apparaît, et où s’engravent les barques, se trouvent des creux pleins d’eau, les mouilles. Le lit d’un fleuve dessine d’amont en aval non pas une gracieuse courbe descendante, mais une ligne brisée, un zigzag perpétuel. Les mouilles sont comme des bassins dont les hauts-fonds forment les bords. Le problème est de passer d’un bassin à l’autre.

Les mouilles ne se creusent pas au hasard ; leur place, leur longueur, leur espacement, dépendent de conditions connues. Un fleuve n’est jamais rectiligne ; son cours serpente dans les terres, et l’eau lancée depuis les sources se rejette d’une rive à l’autre alternativement. Elle ne coule pas majestueusement entre deux berges parallèles sur un fond plat, comme un prince défile entre deux haies de soldats. Non, elle va en diagonale d’un côté à l’autre : la pente inégale du fond ou des berges, le dessin de la rive, du cours lui-même, les vitesses différentes de l’eau à la surface et au fond, au milieu et sur les côtés, la font sans cesse dévier de la ligne droite. La voilà qui se heurte contre la rive droite, elle la serre, la ronge, la fait ébouler, et en emporte à l’instant les débris. Le long de cette rive creusée à pic, concave, où se concentre le courant, la profondeur est grande, mais, en face, la rive convexe forme un talus à pente douce qui se prolonge sous l’eau et s’accroît sans cesse des débris arrachés à la mouille précédente. Ainsi va le fleuve, entre une série de plages convexes et de mouilles à berges raides et concaves. La plus grande profondeur n’est pas au sommet de la courbe concave, mais la suit de près ; de même pour la moindre profondeur, après le sommet de la convexité.

Flânez sur les plages de sable à mer descendante, près de l’eau, le sable fin fait place au petit gravier ; d’innombrables filets d’eau en sourdent, s’allongent, se rejoignent, grossissent ; bientôt ce sont de vraies rigoles qui se jettent dans la mer. Les enfans jouent là, détournent, créent, joignent, séparent les rivières. Approchez : ces expériences vous rendront clair ce qui précède. A peine lancée, la nouvelle rivière crée ses sinuosités, ses plages, ses mouilles. Changez ces sinuosités, allongez, raccourcissez-les ; tout se modifie à la fois ; la profondeur et les dimensions des mouilles (et par conséquent des hauts-fonds) sont en raison directe de la courbure des sinuosités. — » Mais alors on pourrait, si le fond d’un fleuve est mobile, le corriger en réglant ses méandres ? » — Assurément ; et c’est un ingénieur français, M. Fargue, qui a découvert cette loi, en a étudié les conséquences pratiques, si bien que, dans la section de la Garonne dont il était chargé, la profondeur est passée de 0m,70 à 2 mètres. Les lois de « l’amélioration des rivières à fond mobile » s’enseignent couramment partout, malgré d’inévitables détracteurs. Au dernier congrès de navigation intérieure, tenu à la Haye, un ingénieur allemand, M. Jasmund, déclarait que l’étude de l’Elbe, dont il est chargé, les confirmait absolument.

On voit, dès lors, avec quelle prudence on doit couper les boucles d’un fleuve, changer ses sinuosités : une seule modification peut transformer, en bien ou en mal, le lit sur une très grande longueur.

Il faut arriver cependant à unir partout les mouilles successives, qui par leurs extrémités, sont voisines et presque parallèles. C’est à cela que s’applique la science et aussi le coup d’œil de l’ingénieur, car les mathématiques ne résolvent pas toutes ces questions.

Mais si l’on trace bien les rives, les sables circulent davantage, le lit se creuse de plus en plus, tant qu’il est mobile ; la pente diminue. Le mouvement se propagerait toujours en amont, amènerait l’effondrement des rives, si aucun barrage naturel ou artificiel ne coupait le lit, ne lui donnait un point d’appui. Sur la Garonne, la profondeur en étiage sur le radier de l’écluse d’embouchure du canal latéral, à Castets, est tombée de 2 mètres à 1m,25 ; la cote d’étiage à Bordeaux, en aval, n’a pas varié ; la pente a donc diminué sur la section. Sur le Rhône, les épis noyés ont comblé les mouilles exagérées, érodé les hauts-fonds ; on a fermé les bras morts ; aussi la suppression des tourbillons, des remous, a-t-elle annulé des pertes de force vive, accru l’action de la gravité et notablement contribuée augmenter l’érosion et à diminuer la pente.

Ces exemples caractéristiques montrent le danger à éviter sur la Loire. Il faut à la fois augmenter la profondeur des eaux et en diminuer la vitesse. On le peut : la vitesse diminue si le fleuve s’élargit, et il s’élargit si la pente décroît. En régularisant la Loire par le « système Fargue », on obtiendrait donc ce résultat. Mais pour empêcher le creusement de se faire toujours plus vers l’amont et d’amener l’effondrement des rives, on ne peut éviter de diviser le lit, de le soutenir de distance en distance par des barrages. En amont du barrage, le lit garde son ancien niveau ; en aval, il est notablement plus bas.

Que seraient ces barrages ? Fixes, ils seraient désastreux en temps de crue. On ne songe qu’aux barrages mobiles. Mais les beaux barrages mobiles perfectionnés, flanqués de dérivations éclusées, tels que ceux de la Seine, valent très cher. Que de barrages entre Briare et Nantes ! Et quelle dépense !

Pourra-t-on enfin obtenir ainsi la profondeur nécessaire ? On donne peu à peu à nos grandes voies celle de 2 mètres ; ainsi se constitue un réseau « de première classe » où les bateaux longs de 38 mètres peuvent circuler sur plus de 3 000 kilomètres. Pour être économiques, les transports doivent se faire sans transbordement. Une suite de canaux de tirant d’eau inégal n’équivaut pas à un chemin de fer. Pour devenir une voie navigable sérieuse, la Loire doit offrir la profondeur de 2 mètres et faire passer à pleine charge sur son cours les bateaux de la Seine, du nord et de l’est.

Quelques personnes ont espéré utiliser le fleuve et l’améliorer à peu de frais. Des barrages mobiles, formés de panneaux de bois reliés par des câbles métalliques, et placés obliquement en basses eaux chaque année, détermineraient par resserrement le creusement du chenal à chaque haut-fond. L’essai, dû à l’invention de M. Audouin et à l’intervention généreuse de M. Kœnigswarter, a réussi à Montjean où on l’a tenté. C’est un moyen ingénieux de creuser provisoirement un chenal sur un point particulier ; c’est par des procédés de ce genre que la Loire était accessible aux barques du moyen âge. Ce n’est pas le moyen de rectification permanente nécessaire à la navigation actuelle. D’ailleurs, le sable, ainsi chassé, doit refluer quelque part ; s’il ne se réfugie pas en masse sur le flanc du barrage, il ira combler les mouilles d’aval. Faire descendre un banc, c’est l’amener sur une partie du cours où la vitesse est moindre et peut même se réduire au point de ne plus enlever le dépôt qu’en crue extraordinaire. C’est sagement que l’on enseigne aux Ponts et Chaussées : « A moins de circonstances exceptionnelles, il faut se garder des travaux partiels en vue de la modification d’un seul passage défectueux, sans les rattacher, au préalable, à une étude d’ensemble embrassant la totalité du cours d’eau. »

Reste donc un dernier recours, le canal latéral ; c’est la solution des cas désespérés, généralement la plus coûteuse aussi.

L’idée d’un canal latéral à la Loire n’est pas nouvelle. On la voit déjà dans un mémoire inédit de Lavoisier que M. Gallouédec a heureusement exhumé il y a deux ans[17].

Sous la Restauration, le projet fut repris en 1821 par M. Jousselin et très approuvé par les populations riveraines. M, Laisné de Villevêque, député du Loiret, obtint en 1828 de faire les études nécessaires. Après une longue enquête, dont les pièces se trouvent aux archives du ministère des Travaux publics, il fut autorisé à construire un canal latéral. (Loi du 17 juin 1836.) Il devait, de Combleux à l’embouchure du Beuvron, suivre la rive gauche du fleuve, puis la droite jusqu’à Vouvray, passer alors sur la gauche jusqu’au Cher ; de là jusqu’à la Maine, il empruntait, à droite, les vallées de la Lane et de l’Authion, et reviendrait à gauche jusqu’à Boirecourant où il se terminerait, à 6 kilomètres de Nantes. Mais M. de Villevêque ne put constituer le fonds social, et sa concession fut frappée de déchéance (23 octobre 1840). Il avait évalué la dépense à 31 625 000 francs et les recettes à 5617 620 francs (au maximum 7 572 138 francs) en paix, à 10 985 437 francs en guerre : « la Loire, ne pouvant être exactement bloquée, deviendrait l’unique issue du cabotage et du commerce maritime » !

On s’étonnera peut-être de voir un canal latéral si souvent transversal. Il a l’air, sur la carte, d’une liane autour d’un arbre. Mais la présence de coteaux à pente brusque, presque à pic sur le fleuve, forçait bien le canal à passer sur l’autre rive. De plus, chaque grande ville veut le canal sous ses murs. Or, Tours et Saumur sont sur la rive gauche, mais Orléans et Blois sur la droite. Le projet de 1836 lésait Blois.

Cet échec nuisit à la cause[18]. Pendant vingt ans, on ne songe qu’aux digues insubmersibles, dont on a vu le triste résultat. On revint à l’idée du canal, idée séduisante, puisque le lit majeur a partout une largeur suffisante pour qu’on y établisse une voie latérale, et que de très nombreuses rivières coulent dans les vais successifs parallèlement à la Loire, sur une très grande longueur. En 1860, l’ingénieur Collin proposa un plan auquel son nom est resté attaché, et qui a rallié tous les partisans d’un canal.

Bien plus sinueux que le projet de 1836, il ne compte pourtant d’Orléans à Angers que 245 kilomètres, soit treize de plus seulement que la longueur du fleuve entre ces deux villes. Le canal, parti un peu en amont de Combleux (embouchure du canal d’Orléans) sur la rive gauche, arrive sur la Dhuis, atteint par elle le Loiret canalisé, le quitte pour le val de Cléry qui le mène à l’Ardoux ; à Saint-Laurent-des-Eaux, il se sépare de cette rivière et traverse la Loire, passe à droite par Mer et Suèvres ; là, nouvelle traversée : le canal débouche à Montlivault et emprunte la vallée du Cosson pour le quitter bientôt et, à Chouzy, revenir sur la rive droite, la suivre, grâce à la Cisse, jusqu’à Vouvray, et l’abandonner en ce point pour gagner, à gauche, le val de Tours, parallèlement au chemin de fer. Le canal actuel du Cher à la Loire amènerait le nouveau canal au grand affluent, qu’il suivrait sur sa gauche jusqu’à son ancien lit, emprunterait celui-ci jusqu’à la Loire pour traverser encore le fleuve. Sur la rive droite, il longerait la voie ferrée et l’Authion, en emprunterait partiellement le cours et, par deux branches, déboucherait dans la Maine sous Angers et à Bouchemaine. De la Maine à Nantes, le canal passerait de droite à gauche, puis en sens inverse, pour finir dans la gare d’eau du canal Félix à Nantes.

Tel est le projet : le canal saute huit fois d’une rive à l’autre. Mais ces traversées sont toujours dues aux coteaux. On n’a même pas souci de desservir les grandes villes à leur gré : Orléans et Blois ne communiqueraient avec le canal que par un embranchement : Saumur serait éloigné de lui de 5 kilomètres ; un embranchement, si l’on en faisait un, aurait à franchir un chemin de fer et la Loire, remarquablement large à cet endroit.

A chaque croisement, on ménagerait, dit-on, une communication avec le fleuve ; mais l’expérience a prouvé que ces communications, entre un fleuve mauvais et un canal, gênent la navigation sur la voie artificielle, sinon sur l’ancienne en même temps. Le canal latéral à la Loire traversait le fleuve à Châtillon ; on a dû le surélever et construire un pont-canal ; ç’a été une délivrance pour la batellerie qui renonçait presque à employer cette voie. S’il faut huit ponts-canaux, quelques-uns longs de deux kilomètres, quelle dépense[19] !

Quoi qu’il en soit, ce canal est déjà plus qu’un projet : il est voté. Les Français ne s’en doutent guère. Mais il est compris dans le programme de travaux publics que le Parlement a voté : la loi du 5 août 1879 (art. 3, n° XXV) comprend la construction d’un « canal latéral à la Loire, d’Orléans à Nantes[20]. » Le tableau annexé spécifie que le canal partira de Combleux.

Évidemment on peut ne considérer de la loi que son but, et canaliser le fleuve, au lieu de creuser un canal latéral. Mais les riverains sont dans leur droit, quand ils déclarent la France engagée d’honneur à leur donner une voie navigable, quelle qu’elle soit. Quelques villes pourront protester, bouder ; elles auraient tort de ne pas s’associer au mouvement. La prospérité de la vallée de la Loire tout entière est en jeu. Certaines villes gagneront beaucoup, d’autres bien moins, peut-être rien. Même alors, quel avantage auraient-elles à empêcher les travaux ? Nuire à leurs voisines ? Ce serait misérable. Ne voyons-nous pas au contraire Saint-Nazaire même, si atteint par le canal de la Basse-Loire, s’associer à ses créateurs, les Nantais, pour réclamer l’amélioration de la Loire ?


V

De tels rapprochemens ne s’expliquent que si les bénéfices sont assurés. Personne n’en doute.

Les ressources minérales de cette région sont considérables. Le bassin de la Mayenne et de la Sarthe, qui se prolonge en Maine-et-Loire, donne par an 145 000 tonnes d’anthracite et de houille grasse et maigre ; le bassin vendéen, presque inexploité encore, pourrait fournir à l’industrie locale un appoint très sérieux. Mais la Loire navigable ouvrirait un débouché considérable aux houillères de la Nièvre, de l’Allier, de Saône-et-Loire ; leurs produits descendent aujourd’hui jusqu’à Tours environ[21]. Là, arrivent les houilles anglaises. Les départemens de Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe et Indre-et-Loire consommaient, en 1893, 1 041 000 tonnes, dont 812 000 d’importation anglaise. Même si l’on ne pouvait arracher la Loire-Inférieure aux Anglais, les autres départemens offriraient encore un débouché de 381 000 tonnes. Que dire si le canal latéral à la Loire atteignait Saint-Etienne et appelait ses houilles dans l’ouest ! L’intérêt commercial, déjà si grand, n’est pas seul en cause ici : nos chantiers de construction de la Loire ne peuvent dépendre de l’Angleterre ; les nouveaux travaux de Saint-Nazaire vont ouvrir ce port à nos cuirassés, il leur faut donc y trouver du combustible en tout temps. Enfin lorsqu’on parle de houille, on ne doit pas calculer la consommation présente. Amenez-la dans un pays à bas prix, et du coup y naîtront de nouvelles industries.

Mais la région de la Loire contient encore d’autres ressources minérales. Peu de métaux, il est vrai, sauf dans le haut cours et un peu dans le cours inférieur. Mais les matériaux de construction donneraient un fret abondant : les granites de la Vienne, de la Loire-Inférieure, des départemens du cours supérieur, du Morvan ; le porphyre, les roches volcaniques (comme la pierre de Volvic) de l’Auvergne ; le marbre de Sablé ; le tuffeau, les meulières[22] des coteaux d’Indre-et-Loire surtout ; le calcaire dur de Château-Landon par le canal du Loing ; la chaux (qui serait si utile aux champs de Bretagne et de Sologne) d’Angers, de Montjean. Ajoutons enfin les ardoises d’Angers, de Trélazé, qui, avec celles des Ardennes, approvisionnent presque toute la France. Donnez de l’eau, et les bateaux chargés à plein bord de lourds minéraux sillonneront le fleuve d’un bout à l’autre.

Les bois circulaient jadis beaucoup sur la Loire. Aujourd’hui la Loire-Inférieure n’en reçoit plus que des pays scandinaves : 80 000 t. peut-être. Une seule papeterie de Nantes emploie 75 000 stères de sapin de Norvège. Le Massif central, le Nivernais pourraient produire beaucoup sans exploitation excessive, et la Sologne devrait fournir à la papeterie, au chauffage, et même exporter pour les mines anglaises, insatiables consommateurs de bois de soutènement. Nantes traite aussi les bois de chêne et de châtaignier pour la tannerie ; une seule usine en a 8 000 t. en réserve. Cette industrie grandirait si, pour l’alimenter, on avait d’autres bois que ceux de la Bretagne, péniblement amenés par le canal de Brest.

La culture se développerait à proportion. La Mayenne et la Sarthe produisent des orges de première qualité ; elles ne peuvent les exporter ni même les amener à bas prix à Nantes, où la brasserie se développe. Tous les départemens, de l’Allier à l’embouchure, donnent du blé, et l’on sait aujourd’hui l’importance d’une réduction des frais de transport sur le blé, ne fût-ce que de 0 fr.25 par hectolitre. Du coup la meunerie se relèverait, sur bien des points. Avec le blé, le vin. Chacun connaît les crus de la vallée de la Loire, ces vins blancs légers que Saumur champanise et champaniserait encore plus s’ils lui arrivaient à bon marché. Les fabricans de Reims, déjà consommateurs de vins de Loire, en feraient aussi une plus large demande.

Sans entrer dans l’énumération des cultures diverses et prospères de la vallée (lin, chanvre, etc.), rappelons que c’est un paradis pour les maraîchers. Le marché anglais leur est ouvert, d’un côté ; celui de Paris, de l’autre. Dans la Loire-Inférieure, un syndicat exporte déjà à Londres ; il attirerait à lui les produits des départemens voisins ; Paris ferait de même, par Orléans. Avec ce double appel, que ne deviendrait pas cette culture rémunératrice !

Les expéditions de l’agriculture ne sont pas seules en question. Elle fait venir des semences, des outils, des machines, et cela de plus en plus dans l’ouest, grâce à ses syndicats prospères. Elle consomme une énorme quantité d’amendemens et d’engrais. Sologne, Bretagne, Vendée, Maine ont des sols incomplets que le transport économique d’amendemens transformerait, et les nitrates du Chili, les phosphates d’Algérie donneraient une production intense. Méditons ceci : en réduisant nos achats de blé de 5 millions d’hectolitres, à 20 francs, nous retrouverions en un an le prix d’un canal latéral, et du canal latéral dépend l’accroissement de production d’une dizaine de départemens !

Enfin, presque tous les terrains primaires et primitifs de la région de la Loire se prêtent à l’élevage du bœuf, du cheval ; la Sologne, le Berry à celui du mouton ; nouvel élément de fret à la fois par les animaux et par leurs produits : fait, beurre, fromage, peaux, laines et crins, cornes et os.

La région de la Loire moyenne et inférieure est un pays d’agriculture et d’élevage ; mais Nantes est une ville industrielle ; Tours, Orléans et bien des villes situées sur les affluens le sont aussi. A part Nantes, qu’alimente la houille anglaise, presque toutes ces villes ont perdu leur activité ; le combustible à bas prix la leur rendrait. Ici, on ne peut donner de chiffres ; mais il est impossible qu’une région riche en minéraux, en bois, en cultures, en animaux, peuplée, jadis industrielle, ne le redevienne pas dès qu’on lui donnera la force et les transports à bon marché.


VI

L’intérêt de plusieurs millions de Français commande donc d’améliorer la Loire. Mais les actionnaires et les ingénieurs de chemins de fer protestent : une voie navigable, c’est la ruine des voies ferrées ! Cet argument, peu terrible, demande à être examiné, tant on l’emploie encore chez nous.

Cette concurrence est-elle si grave ? La seule compagnie qui ne fasse pas appel à l’État, le Nord, dessert la région sillonnée par les voies navigables les plus nombreuses et les plus fréquentées. Les 471 000 t. qui ont circulé sur le Rhône en 1895, n’ont pas empêché les deux voies ferrées parallèles d’en transporter plus de trois millions. La meilleure ligne de l’Ouest n’est-elle pas celle de la Seine, où se pressent plus de cent mille bateaux ? Sortons de France : en Belgique, en Angleterre, wagons et bateaux circulent partout ; on ne s’y plaint pas de la concurrence. De même en Allemagne : le mouvement des marchandises s’élève sur le Rhin de 9 800 000 t. à 13 800 000 entre 1886 et 1890, et sur les deux voies ferrées parallèles, de 47 millions à 59 millions. Le Mein a été canalisé en 1887 de Francfort à Mayence : deux ans après, la navigation transportait 600 000 t. au lieu de 152 000, le chemin de fer 1 400 000 au lieu de 900 000. On voit, en Allemagne, le ministre des chemins de fer soutenir au Reichstag des projets de canaux et faire créer des ports. En Autriche, les compagnies de chemins de fer en installent à leurs frais.

Partout éclate l’accord entre les deux modes de transport ; les quais des ports rhénans sont desservis par 313 kilomètres de chemins de fer, dont 90 à Mannheim seulement. On développe concurremment voies ferrées et voies navigables. On sait l’extension qu’ont prise les chemins de fer en Allemagne ; l’essor de la navigation est aussi remarquable. La Prusse a dépensé 356 millions de francs pour améliorer le Rhin, l’Elbe et l’Oder, dont 270 pour le Rhin seul. Aussi la navigation, sur le Rhin, est-elle quinze fois plus importante qu’il y a trente ans. Non contens de ces travaux, les Allemands veulent unir le Rhin à l’Ems, à la Weser, à l’Elbe, le Mein et l’Oder au Danube ; et les Russes vont ouvrir une voie navigable de 1 600 kilomètres entre la Baltique et la Mer-Noire. Les États-Unis ont dépensé plus d’un milliard pour leurs routes fluviales depuis 1880. Les grands lacs sont devenus un golfe de l’Atlantique, qui, dans quelques années, sera joint, par des canaux à grande section, à New-York et à la Nouvelle-Orléans par le Mississipi. Or chacun sait la prodigieuse activité des chemins de fer américains : la concurrence, si redoutée ici, ne paraît pas les atteindre.

Partout, en Europe, en Amérique, au Japon, on comprend que tout grand développement commercial et industriel profite en fin de compte aux chemins de fer ; qu’un départ se fait entre les denrées lourdes, encombrantes, peu fragiles, et les produits légers, fragiles ou livrables à date fixe et rapprochée ; que les wagons ne peuvent, comme les bateaux, servir de véritables entrepôts ; qu’ils n’en ont ni les dimensions ni la résistance ; que leur nombre ne suffit pas toujours, et que, dans les temps d’encombrement, les deux avantages de la voie ferrée, — rapidité et régularité des livraisons, — disparaissent pour ne laisser que l’inconvénient de la cherté. Ces vérités ne se discutent même plus à l’étranger, et lorsqu’on revient de ces congrès de navigation intérieure qui se succèdent depuis douze ans en Europe, il est douloureux d’entendre ses compatriotes agiter sans fin une question déjà résolue partout.

C’est chez nous, d’ailleurs, qu’elle se pose le moins. Les chemins de fer redouter la concurrence ? Mais leur matériel est si imparfait qu’ils ne peuvent suffire au commerce. Toute expédition hors de coutume les jette dans le désarroi. Faut-il rappeler la mémorable vendange de 1893 ? et cet affolement des chemins de fer, quand l’Allemagne a fait chez nous une rafle de pommes, en 1895 ? Le petit expéditeur attendit des jours et des jours les wagons nécessaires, et le consommateur ne recevait pas les produits commandés, entassés provisoirement sur les quais d’une gare. Même à l’ordinaire, notre matériel suffit si peu, que les Compagnies doivent en louer à l’étranger, à des taux peu avantageux ; qu’arriverait-il en temps de guerre, surtout si la nation ennemie était précisément celle dont on a loué les véhicules ? Parfois, si les wagons suffisent, leur qualité est défectueuse : lorsqu’on envoie des wagons non couverts aux fabricans de sucre, leurs produits, avariés par l’humidité, peuvent être repoussés par la commission d’arbitrage dans la proportion de 5 sur 8 (cela s’est vu), et, salis dans ces wagons à houille ou à betteraves, sont refusés en Angleterre.

Chose curieuse, à mesure que le trafic augmentait, les véhicules, loin de s’accroître proportionnellement, diminuaient. Pour cent millions d’unités de trafic, on avait, en 1886, 305 voitures à voyageurs ; en 1892, 258. Pour 2 600 wagons de marchandises en 1886, 2 174 en 1892 ; pour 573 locomotives en 1886, 456 en 1892. Cependant les compagnies ont fait des commandes : en un an, 222 locomotives, 190 voitures à voyageurs et 1 024 wagons. En Allemagne, en six mois seulement, près de 6 000 wagons et de 700 locomotives ont été donnés en adjudication. Aussi voyons-nous ce pays, dont le réseau dépasse le nôtre de peu (3 000 k. environ), posséder plus de 16 000 locomotives, quand nous n’en avons que 10 000, et plus de 380 000 wagons de marchandises, tandis que nous en avons 300 000. La différence effraie encore plus, quand on songe que le wagon allemand porte quinze tonnes, le nôtre dix : l’écart devient alors, pour la capacité, de 5 700 000 tonnes à 3 000 000, et comme les locomotives des deux pays sont dans le rapport de 5 à 8, la circulation de ces innombrables wagons de marchandises peut être de 3/8 plus considérable que chez nous. C’est dire assez quelles facilités le commerce allemand trouve dans son matériel de chemins de fer, qui lui permet de transporter à 12 p. 100 moins cher que chez nous.

Nos voies ferrées ne suffisant pas au commerce, il est nécessaire d’améliorer notre réseau navigable, d’autant plus que certains produits ne peuvent supporter les tarifs de chemins de fer. Chacun sait que, pour nombre de raisons, la voie d’eau est plus économique. La houille de Saint-Etienne paie 5 fr. 50 la tonne pour se rendre à Roanne (77 k.) par chemin de fer, et autant pour gagner Paris par eau (440 k.). Sur le Rhône, où la navigation est coûteuse (les grands vapeurs seuls triomphent du courant à la remonte), elle transporte au prix de 0 fr. 015 à 0 fr. 02 la tonne kilométrique, tandis que le chemin de fer parallèle exige 0 fr. 04 L’emploi récent du canal maritime de la basse Loire a permis d’économiser un franc par tonne entre Saint-Nazaire et Nantes.

Il est vrai que, dans quelques régions d’industrie intense (ce n’est pas le cas de la vallée de la Loire), où les commandes, les livraisons se pressent, on préfère souvent la voie ferrée. Mais les exemples que l’on prend toujours dans le nord et dans l’est n’auraient pas d’analogues ailleurs. La batellerie d’ailleurs n’en souffre guère : c’est la seule région où les voies navigables transportent de un à cinq millions de tonnes.

Ajoutons qu’une foule de circonstances, plus connues des commerçans que des économistes, augmentent les frais du transport par la voie ferrée. Un exemple entre mille : expédiez-vous des bois ? S’ils sont plus longs qu’un wagon (6m,50). on en attelle un « protecteur », et vous payez pour deux wagons pleins, bien qu’un seul porte votre bois.

Enfin, quant à la rapidité des transports par voie ferrée, n’exagérons pas ; à la lenteur de la batellerie, comparons celle de la petite vitesse : l’écart n’est pas si grand ; ne parler que de la grande vitesse dans ces rapprochemens, c’est peu respecter ses lecteurs.

Les chemins de fer ne sont donc pas en cause ici ; ne voyons pas en eux et dans la batellerie des rivaux dont l’un doive évincer l’autre. Ce sont deux auxiliaires ; unissons-les le plus possible. La chose est aisée d’ailleurs avec la compagnie d’Orléans : ses voies desservent déjà les ports de Montargis, de Montluçon, ceux du canal de Berry comme Pont-Vert, la Guerche, Vierzon[23]. Mais cette union serait encore insuffisante. Il en faut une autre plus importante, prévue par la loi de 1879, et qu’en 1873 M. Krantz avait indiquée dans son rapport à l’Assemblée nationale : la jonction de la Loire au reste de notre réseau navigable.

Outre les canaux votés en 1879, entre le Rhône et la Loire, la Loire et la Charente, il faudrait donner à la plaine du centre une voie d’eau qui unisse le canal de Saint-Amand, l’Indre, la Creuse, la Vienne, la Dives, le Thouet et le Layon, pour drainer les produits agricoles et industriels si importans de cette région et du Massif central. Le canal de la Vienne à la Charente se prolongerait jusqu’à la Dordogne par l’Isle ; au nord, celui de Nantes à Brest ne sera vraiment utile qu’au jour où un canal le joindra, ainsi que celui d’Ille-et-Rance, aux affluens de la Maine et par eux à l’Orne au nord, à la Loire navigable ou au canal du Loing à l’est. Alors seulement existera le réseau de la Loire ; alors seulement ses affluens[24] joueront leur rôle naturel ; alors seulement, les produits de ce pays, tous lourds et encombrans, pourront circuler à bas prix, et le commerce vivifiera une région, qu’on dit apathique en oubliant qu’on lui a refusé des voies d’eau et parfois donné des lignes ferrées à voie unique. La Bretagne alors, les vallées de la Seine, du Rhône, de la Garonne seront liées d’intérêt à celle de la Loire.

L’étranger même sera atteint. Par la Seine et le Rhône, la Loire communique avec la Belgique, l’Allemagne occidentale et la Suisse. Le premier de ces pays lui échappera toujours. Mais le Rhin moyen, l’Alsace, seraient accessibles à ses bateaux. De Bâle, il y a aussi loin au Havre qu’à Nantes ; l’ouverture d’une courte voie navigable entre Marcilly et Vitry-le-François donnerait une route presque directe de Nantes à Strasbourg. Quant à Lyon, Nantes est, pour lui, le port atlantique le plus rapproché. Il est donc très probable que l’amélioration de la Loire attirerait à nos ports le commerce d’une partie de la Suisse et de l’Allemagne. Or on sait que, non seulement ces pays leur échappent aujourd’hui, mais que le nord et l’est de la France sont tributaires des ports belges et hollandais. Renverser en partie la situation, donner à l’est un nouveau débouché vers l’Océan, faire revenir l’Alsace dans notre dépendance économique, quel souhait !

Beau rêve, dira-t-on : l’étranger ne saurait être atteint. Mais si la France y trouvait avantage, il vaudrait déjà la peine de tenter l’entreprise. Qu’on s’en réjouisse ou s’en chagrine, la protection est notre régime commercial ; nous devons, autant que possible, consommer nos produits ; il faut les faire circuler chez nous au plus bas prix possible. La logique du système l’exige. Si les libre-échangistes refusaient de s’associer à une pareille œuvre, c’est que leur vrai but ne serait pas de permettre au consommateur, à l’industriel d’acheter à bon marché, mais de faire fortune en important des produits étrangers, concurrens de ceux de France.

S’il est pécuniairement impossible d’achever dès à présent tout le réseau de la Loire, on ne peut renoncer à améliorer le fleuve lui-même. Au nom de la légalité, les populations riveraines réclament l’exécution de la loi du 5 août 1879 ; au nom de l’équité, qu’on fasse un peu pour elles de ce qu’on a si généreusement accordé au nord et à l’est. Leur objecte-t-on que ces réseaux enviés sont aussi stratégiques que commerciaux ; elles font valoir, et avec raison, la nécessité d’approvisionner nos ports de l’ouest de charbon français, de transporter à bas prix canons, plaques de blindage, chaudières, tous les produits métallurgiques en un mot, du Creusot, de Saint-Etienne, de Saint-Chamond, à Rochefort, à Saint-Nazaire, à Indret, à Lorient, à Brest, sans compter nos établissemens de Châtellerault, Bourges, Nevers, Guérigny ; de fournir, en temps de guerre, quand les wagons seront réquisitionnés pour la mobilisation, une excellente voie entre les ports océaniques ouverts à l’importation étrangère, les riches pays agricoles de l’ouest et la région menacée de l’est. La France entière gagnerait à rendre la Loire navigable.

Mais elles ne lui demandent pas toute la dépense. Les Marseillais offrent de payer la moitié de la construction du canal entre leur ville et le Rhône. On se résoudrait ici au même sacrifice, on irait même au delà. Quinze départemens supporteraient la dépense : ils contracteraient, en commun, un emprunt (comme ont fait ceux de Lorraine pour le canal de l’Est), et sans percevoir aucun droit de navigation, sage résolution, en verseraient les intérêts. S’ils devaient, réunis avec les chambres de commerce, les syndicats agricoles, industriels, verser même 80 millions, l’intérêt serait, au taux probable de 3,75 pour 100, de trois millions ; soit deux cent mille francs en moyenne par département ; or, plusieurs sont très riches, et la plus-value du trafic serait bien vite compensatrice[25].

Que la question financière n’épouvante donc pas les contribuables. Elle se posera prochainement à leurs représentans. La campagne est menée rondement par les intéressés. C’est en 1892, que le conseil général de la Loire-Inférieure émit un vœu en faveur du rétablissement de la navigation entre Nantes et Angers. Dans les deux villes, la presse le soutint et demanda l’amélioration de Nantes à Orléans. Le 9 décembre 1893, un groupe d’études se formait à Nantes ; en avril 1894, deux autres à Angers et Saumur. Le 5 janvier 1895 , les premiers souscripteurs élurent le comité définitif ; les conseils généraux de Loire-Inférieure, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher adhéraient, souscrivaient. Au début de 1896, Nantes, Angers, Saumur, Tours, Blois, Orléans, Gien, Poitiers, étaient ligués. Le 18 mai, un congrès réunissait des adhérens de tout le bassin de la Loire. Saint-Nazaire même se joint à la ligue. Les souscriptions affluaient, des conseils généraux et municipaux, des chambres de commerce, des particuliers même. Le comité d’initiative lançait des conférenciers dans tout le pays et y répandait son journal, la Loire navigable. Neuf comités régionaux recueillaient les vœux de plus de 200 corps élus, depuis les conseils généraux jusqu’aux syndicats agricoles et aux sociétés de prévoyance, et 200 000 signatures environ les appuyaient, données par les électeurs des villages aussi bien que des villes. Devant un tel accord de volontés, le ministre fit reprendre les études antérieures. Après le dépôt d’un premier rapport, il nommait une commission où figurent M. Fargue, dont on sait les beaux travaux sur la Garonne, et M. Girardon, qui a rendu le Rhône navigable. Elle étudie, dès à présent, le lit du fleuve, pendant qu’une enquête, demandée par elle, se fait auprès des intéressés sur l’utilité économique de l’œuvre qu’ils réclament.

Peut-être jugera-t-on oiseux les détails qui précèdent. Nous ne le croyons pas. L’entrain avec lequel cette campagne se poursuit doit réjouir même les philosophes les plus indifférens aux intérêts matériels. On a donné, sans compter, argent et peine. C’est par l’initiative privée et corporative que tous les résultats sont obtenus. Dans ces départemens à l’esprit souvent individualiste, alanguis par un doux climat, divisés par les luttes politiques et religieuses, on voit s’unir, pour une action commune, des hommes que séparaient traditions, croyances, intérêts, profession. Et l’on ne s’adresse à l’État qu’au jour précis où l’on ne peut plus se passer de sa permission et de ses ressources. C’est là, nous semble-t-il, un fait social très important. Alors même qu’on ne pourrait rendre la Loire navigable, le concours spontané des volontés consolerait presque d’un échec. Mais il n’est pas à craindre : nous avons vu que le fleuve avait été navigable ; qu’il pouvait le redevenir ; et qu’il fallait qu’il le redevînt, pour le bien de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, et de la défense nationale.


ÉMILE AUZOU.

  1. L’altitude de 100 mètres se trouve sur la Loire à 398 kilomètres de la mer ; sur le Rhône, à 215 ; sur la Garonne, à 360 ; sur la Weser, à 399 ; ce sont des fleuves à pente rapide. Qu’on leur compare les cours d’eau bien navigables : sur l’Oder cette altitude de 100 mètres est à 524 kilomètres de la mer ; sur la Seine, à 556 ; sur le Rhin, à 621 ; sur l’Elbe, à 662, et sur le Danube à 1725 !
  2. De même pour les affluens : l’écart entre l’étiage et les crues est, pour le Cher, de 16 mètres cubes à 1 690 ; pour l’Indre, de 5 300 litres à 340 mètres ; pour la Vienne, de 19 mètres à 2 600 ; pour la Maine, de 18 à 1 500.
  3. Tous les ans, le lit s’effondre en certains points ; l’eau s’y engouffre ; ailleurs, au contraire, elle revient par là. En 1841, 1 300 mètres cubes disparurent. En 1871, un gouffre de 3m,50 de diamètre et de 12 mètres de profondeur s’ouvrit à Orléans et resta béant quelques semaines. Dans l’hiver rigoureux de 1880, les eaux souterraines tièdes venaient bouillonner à la surface du fleuve, l’empêchaient de geler et produisaient des vapeurs. Les premières pertes ont lieu au hameau de Bouteille (41 kilomètres amont d’Orléans) ; les eaux reviennent à 9 kilomètres en aval d’Orléans par des rentrées de fond et par le Loiret, simple dérivation du fleuve. Les jaugeages le montrent bien : le 5 décembre 1859, la Loire débitait 42m,30 à Bouteille, 30m,80 en amont du Loiret, 45 en aval ; le 22 août 1864, les débits étaient de 40, de 32m,60 et de 47m,90 ; le 20 octobre 1865, de 48m,20 de 35m,90 et de 46m,50. Le point le plus mauvais est toujours Orléans : le débit y est souvent plus petit d’un tiers qu’en aval du Loiret. Sans cette ville il faudrait ouvrir un canal de Bouteille au Loiret, par la vallée de la Dhuis : la navigation serait plus sûre et plus courte.
  4. Les profondeurs minimum et moyenne sont de 0m,20 et 0m,50 entre Roanne et Briare ; de 0m,25 et 0m,70 entre Briare et la Vienne ; de 0m,45 et 1m,50 entre la Vienne et la Maine ; de 0m,70 et 1m,75 entre la Maine et Nantes ; de 2m,50 et 4m,50 en aval de Nantes. D’une manière générale, on calcule que la profondeur de 1m,50, minimum nécessaire à la navigation, manque 251 jours par an entre Briare et la Vienne, et 186 entre la Vienne et la Maine. Les crues arrêteraient la navigation vingt-cinq jours. Le chômage. du fait des eaux (indigence, glaces, crues), serait de 267 jours entre Briare et le Cher, 170 entre le Cher et la Vienne, 40 entre la Vienne et la Maine, 101 entre la Maine et Nantes. Qu’on ajoute à cela les brouillards Jusqu’à 35 jours à Blois, les vents contraires (de 130 à 188 jours) ou trop faibles (15 jours).
  5. On trouve de la lave des Dômes dans les argiles ferrugineuses du plateau des Yvelines, près de Cernay.
  6. Les années très humides et à grandes crues donneraient un déblai de 8 900 000 mètres cubes pour la Loire supérieure et l’Allier ; les années très sèches 1 400 000 mètres seulement ; les années moyennes 3 800 000 environ.
  7. Leur vitesse de marche est en moyenne de 2m,24 en été, 9 mètres en hiver. On cite des bancs qui n’ont avancé que de 500 mètres en trois ans, comme à Mauves.
  8. La surface du bassin supérieur de la Loire est de 80 000 hectares environ ; on n’a déclaré d’utilité publique pour le reboisement dans la Haute-Loire que 5 235h,28, et 4 100 seulement dans la Loire.
  9. Dans la crue de 1866, la retenue aurait été de 113 000 000 de mètres cubes et le maximum serait arrivé avec deux heures de retard à Roanne et une diminution de hauteur de 0m,60. Le débit était de 3 390 mètres cubes en amont du réservoir, de 2 520 en aval. Mais il faut faire la part du massif rocheux lui-même, qui retarde l’écoulement des eaux : peut-être 93 000 000 de mètres cubes.
  10. M. Gaymard a coupé dans une alpe un mètre carré de gazon épais de 0m,20, et y a fait tomber en pluie de l’eau jusqu’à saturation ; le gazon avait absorbé 50 litres d’eau (ce qui correspond à une pluie de 500 millim.) avant d’en laisser couler.
  11. Les détails historiques qui suivent ont été empruntés, pour la plupart, à la Loire d’autrefois, de M. C. Bloch.
  12. Parmi les bateaux-transports, les chalands étaient mâtés, les sentines ne l’étaient pas. Les cabanes ne servaient qu’aux voyageurs.
  13. La population aurait diminué dans les généralités de Tours et d’Orléans de 1/5 à ¼. Tours aurait été réduit de 2 000 métiers à soie à 1 200 ; de 700 moulins à dévider à 70 ; de 40 000 ouvriers à 4 000.
  14. Un fait montre bien la détérioration du fleuve : les ardoises d’Angers arrivaient jadis en un mois au plus à Saint-Aignan-du-Cher ; il leur en faut quatre maintenant. Aussi les envoie-t-on par chemin de fer à Saint-Aignan, où on les remet en bateau.
  15. Ajouter pour la navigation intérieure 374 237 tonnes pour le canal de Tancarville. La navigation maritime n’est comptée pour aucun des deux fleuves.
  16. Où appelle ainsi l’opération par laquelle, en poussant de larges planches dans le sable, on ouvrait un passage à travers les hauts-fonds mobiles.
  17. A la même époque, on proposait d’unir le Loir au canal du Loing.
  18. Il nuisit autant à Balzac. Il avait compté acheter à M. de Villevêque sa concession pour la revendre aussitôt à Rothschild « le double ou le triple ». Il espérait se faire prêter, grâce à Rossini, 20 000 ducats par Aguado. (Lettres à Mme Hanska.)
  19. Celui de Châtillon a coûté 3 millions.
  20. La même loi prévoit la construction d’un canal entre la Charente et la Loire et la jonction de la Loire au Rhône par Saint-Étienne, en prolongeant en amont le canal latéral.
  21. En 1893, tonnage des combustibles minéraux, entre Briare et la Vienne : 1 705 tonnes en descente uniquement. Entre la Vienne et la Maine, 2 116 tonnes à la remonte seulement.
  22. Cinq-Mars en exporte jusqu’en Amérique.
  23. Conduite très différente de celle d’autres compagnies qui refusent parfois un raccord de 50 mètres entre leurs voies et la gare d’eau d’une usine, et la forcent ainsi à de coûteux transbordemens.
  24. Nombre d’entre eux ne sont pas mauvais, mais inutilisés : la Vienne, très faible de pente en plaine, peut devenir une excellente voie. La Mayenne, assez rapide, demanderait des travaux sérieux ; elle sert cependant encore beaucoup. La Sarthe, le Loir, très lents, à débit régulier, seraient de très bonnes routes ; tout le réseau de la Maine peut être mis facilement en valeur. L’Allier, l’Indre, ne sont pas navigables, mais le Cher est canalisé, et nombre d’affluens secondaires pourraient rendre de grands services, surtout à l’agriculture.
  25. Il suffirait, pour cela, d’un abaissement de 0 fr. 015 par tonne kilométrique dans les prix de transport, et d’un mouvement de 200 000 000 tonnes kilométriques : le roseau navigable de la Loire ayant 1 000 kilomètres, il faudrait seulement une circulation moyenne de 200 000 tonnes par kilomètre.