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Poèmes (Vivien)/La Conque

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Pour les autres éditions de ce texte, voir La Conque.

PoèmesA. Lemerre. (p. 46-47).


LA CONQUE


Passant, je me souviens du crépuscule vert
Où glissent lentement les ombres sous-marines,
Où les algues, offrant leur calice entr’ouvert,
Étreignent de leurs bras fluides les ruines
Des vaisseaux autrefois pesants d’ivoire et d’or.
Je me souviens de l’ombre où la nacre s’irise,
Où dorment les anneaux, étincelants encor,
Que donnaient à la mer ses époux de Venise.
Passant, je me souviens du patient travail !
De ces vivants jardins aux plantes animales

Dont l’heure et le courant disposent les pétales,
Et, parmi tant de fleurs, du vivace corail,
Rose animale et rouge éclose dans la nuit.
Je me souviens d’avoir bu l’deur de la brume
Et d’avoir admiré le sillage qui fuit
En laissant sur les flots une neige d’écume.
Je voyais chaque soir, parmi l’azur changeant
Des vagues, refleurir les astres du phosphore,
Mon lit d’amour était le doux sable d’argent.
J’ai vu s’épanouir le nombreux madrépore
Qui bâtissait parmi de gris lambeaux empreints
De sel… Ce furent les bannières déployées.
J’ai pleuré les beaux yeux et les cheveux éteints
Et les membres meurtris des amantes noyées
Gardant encore au bras un bracelet de fer.
Dans mon cœur chante encor la musique illusoire
De l’Océan. Je garde en ma frêle mémoire
Le murmure et l’haleine et l’âme de la mer.