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Poèmes mobiles/Le Loup

La bibliothèque libre.
Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 33-37).


LE LOUP

À M. E. Larcher.


Dans mon village, un jour, le tocsin sonne.
Je crie : « Au feu ! » sur-le-champ, comme un fou.
« Oh ! ce n’est pas le feu, mais bien le loup !
Me dit quelqu’un. — Où ça ? — Chez la baronne,
Dans la forêt que vous voyez là-bas.
C’est un fléau, tant il fait de dégâts !
On ne sait plus le nombre de ses crimes.
Ce maudit loup dépeuple le canton :
Quatre dindons, deux poules, un mouton,
Ce matin même, ont été ses victimes.
Si le berger ne s’était pas sauvé,
Sans aucun doute il l’aurait enlevé.
Quels noirs forfaits ! ces loups n’en font pas d’autres
Nous le traquons… et vous êtes des nôtres ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous étions dix des plus déterminés,
Aux grands exploits tous dix prédestinés !
L’occasion était des plus propices,
Et nos grands cœurs, doublés d’un bon fusil,
Accoutumés à tous les sacrifices,
Ne demandaient qu’à braver le péril.

Suivis des vœux de la commune entière,
Enthousiasmés, nous partîmes au pas.

Chemin faisant, pris d’une ardeur guerrière.
Un grand gaillard me racontait tout bas
Qu’étant pompier, il avait dans les flammes
Pensé périr, en secourant deux femmes.
Un autre avait, au risque de sa peau,
Gagné la croix en sauvant son drapeau.


Pas un qui n’eût au moins vu trois batailles,
Qui n’eût au moins repêché cinq noyés ;
Le plus vaillant, tout couvert de médailles,
Nous raconta tant d’exploits variés,
Nous montra tant de nobles cicatrices,
Bref, étala tant d’états de services,
Qu’on lui promit la peau du louveteau.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Or, à cent pas à peine du hameau,
L’un de nous dix (c’était l’homme aux médailles)
Pâlit soudain, puis, s’arrêtant, se plaint
D’un mal subit qui trouble ses entrailles.
Du même mal un deuxième est atteint.
Il se trouva qu’un autre en sa demeure
Avait laissé cartouches, poudre et plomb.
« Allez toujours, ce ne sera pas long,
Nous vous joignons, disent-ils, tout à l’heure ! »
Bref, au moment de charger nos fusils,
Tout compte fait, nous n’étions plus que six.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Notre valeur n’en était pas moins grande !
Ce que voyant, le plus fort de la bande
Pensa tout haut que six, c’était beaucoup
Pour attaquer un misérable loup !
« Si nous n’allions que trois à sa tanière ?
Seul contre trois, il n’échappera guère.
Si le danger doit en être doublé.
Notre courage en sera décuplé,

Et nous aurons cent fois plus de mérite ! »
Puis, souhaitant bonne chance, il nous quitte.
Il ne fut pas le seul de son avis :
De tels conseils seront toujours suivis !
Mais, en partant, ils nous encouragèrent
À bien viser. — En outre, deux jugèrent
Fort peu prudent de s’embarquer à jeun.
Par quoi, bientôt, nous ne fûmes plus qu’un…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En arrivant au bois de la baronne,
Foi de Gascon, nous n’étions plus personne !…