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Poésies (Éphraïm Mikhaël)/La Reine de Saba

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Œuvres de Éphraïm Mikhaël Voir et modifier les données sur WikidataAlphonse Lemerre Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 49-51).

LA REINE DE SABA

Sur les monts du Seigneur blancs de clartés lustrales,
Loin des palais souillés de trésors et de vins,
Ivre de nuit et de tristesses sidérales
Le Roi songe et s’exile en des déserts divins.

Là-bas, parmi les blés, les palmes et les vignes,
La ville des guerriers dort son sommeil brutal ;
Et des vaisseaux vainqueurs, calmes comme des cygnes,
Font glisser sur les eaux de l’Océan natal


Leur carène gardant des princesses captives ;
Dans des plaines de fleurs vaguent de doux bergers
Et, sous le ciel troublé d’étoiles fugitives,
Des amants puérils veillent dans les vergers.

Le Roi, fuyant les beaux jardins des amoureuses
Et les riches pays où triomphe l’été,
Regarde au loin vers des planètes douloureuses
Qui pleurent dans la nuit leurs larmes de clarté.

« Autrefois, autrefois, à genoux dans ces herbes,
Ô mon Dieu ! j’ai levé les yeux vers les cieux froids ;
J’ai commis le péché des prières superbes,
Et depuis lors je suis le Sage entre les rois.

« De funèbres moissons s’entassent dans mes granges
Et j’ai cueilli les fruits amers des bois maudits,
Et j’ai livré bataille aux terribles archanges
Devant la porte d’or des profonds paradis.

« Et maintenant que du pays des aromates
Je l’entends accourir par delà l’horizon,
Celle qui lavera mes célestes stigmates,
J’ai honte du bonheur qui vient sur ma maison.

« La Reine du Midi marche dans la lumière
Et m’apporte la joie en d’impurs talismans ;
Je vais dormir dans la sérénité première
Parmi l’humble troupeau des rois et des amants.


« Frappez cette étrangère, ô mon Dieu ! qu’elle meure
Sans entrer dans la terre auguste des Hébreux ;
Qu’elle ne dise pas au seuil de ma demeure
Les paroles de nuit qui me rendraient heureux. »

Or sous un tiède vent la mer orientale
A roulé dans l’exil les astres submergés ;
Et tandis que l’aurore impérieuse étale
Son orgueil enfantin dans les cieux saccagés,

La Reine vient, portant vers la montagne sainte
Le talisman qui fait fuir le rêve royal,
Et ses hérauts vêtus d’argent et d’hyacinthe
Jettent dans la campagne un appel nuptial.