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Pour le prochain congrès des sociétés savantes

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POUR LE PROCHAIN CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES



Pourquoi le Comité des Travaux historiques n’a-t-il reçu, pour le Congrès de Toulouse, aucune communication relative aux théâtres de province ? Serait-il vrai qu’on ne s’intéresse plus comme autrefois à l’art dramatique ? Faudrait-il incriminer la concurrence du cinéma ? Cette explication nous a été proposée, mais elle ne paraît guère satisfaisante.

Il y a quelque trente ans, cette concurrence n’était pas encore redoutable ; déjà cependant le zèle des travailleurs se refroidissait ; une liste des travaux actuellement publiés le démontrerait. D’autre part, on pourrait aller moins volontiers au théâtre aujourd’hui et reconnaître que la vie théâtrale d’autrefois mérite d’être connue. Mais cette histoire d’un amusement ne serait-elle pas regardée comme un sujet trop mince et trop frivole, bon tout au plus à fournir des anecdotes, un peu scabreuses parfois, d’histoire locale ?

Nous ne saurions trop combattre cette erreur : les faits qu’il s’agit d’étudier sont les manifestations particulières d’un phénomène général de grande importance. Rappelons une fois de plus, et ce ne sera pas la dernière, que l’histoire théâtrale n’est pas exclusivement l’histoire de la littérature dramatique, ni celle des techniques de la scène, mais encore l’histoire des conditions économiques, sociales, politiques, dans lesquelles le théâtre a dû vivre, l’histoire des mouvements d’opinion qu’il a pu déterminer, ou manifester, ou amplifier par sa publicité. La matière, on le voit, ne manquera pas de sitôt.

Mais les documents ? Reconnaissons qu’il n’est pas toujours facile de les découvrir. Bien des villes ne mentionnent le passage des comédiens qu’au milieu des incidents multiples de la police quotidienne, tapage nocturne, vente à faux poids ou contraventions de voirie ; quand l’hospice ou quelque institution charitable perçoit un droit des pauvres, cette recette accidentelle risque de passer inaperçue au milieu d’autres plus importantes et plus régulières. Comment retrouver, dans la masse des minutes notariales, les baux et marchés passés par les directeurs ? Ou bien, dans les innombrables registres paroissiaux, le baptême des enfants de comédiens, les renonciations faites soit avant le mariage, soit à l’article de la mort ? Car ces comédiens de province tenaient bien plus qu’on ne croit d’ordinaire à ce que leur union fût bénie, ou que leur corps ne fût pas jeté à la fosse des suppliciés.

Voilà quelques-unes des sources qu’il faudrait essayer d’exploiter méthodiquement, malgré les difficultés indéniables. Tous les indices, quelle que soit leur apparente pauvreté, méritent qu’on les recueille et qu’on les fasse largement connaître. Rien de plus légitime que de vouloir réserver à ses compatriotes immédiats la primeur de ses trouvailles ; mais que cet amour, respectable, de la petite patrie, ne soit pas exclusif. Les comédiens ont toujours été fort mobiles : on ne peut arriver à bien les connaître qu’en les suivant à la piste à travers tout le pays.

Ces recherches d’histoire locale des théâtres sont donc par excellence matière de congrès : elles ne peuvent prendre tout leur sens, donner tous leurs résultats, prouver tout leur intérêt, que par la confrontation et l’échange des renseignements recueillis. Ce désir d’établir la liaison fut à l’origine même de notre société ; aussi ne peut-elle se contenter d’adresser aux chercheurs un appel, si pressant qu’il soit, pour que la question posée par le Comité des Travaux historiques ne reste pas sans réponse l’année prochaine. Nous voudrions essayer de provoquer dès maintenant les efforts nécessaires.

Dans ce but, nous donnons aujourd’hui quelques spécimens de documents utiles à connaître et d’enquêtes à faire dans des villes où la vie théâtrale n’a jamais été étudiée, à notre connaissance du moins. Puisse l’exemple de nos amis qui nous firent libéralement part des fruits de leurs recherches susciter par tout le pays de nouvelles bonnes volontés !