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Pour lire en bateau-mouche/27

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Nouvelles inventions américaines

Les bassinoires à la glace au Texas. — Les balles en anneau pour tirer sur les oiseaux-mouches sans les tuer. — Le dernier sport a cuba. — Détails amusants.

Les Américains du Nord bien entendu, les Yankees, sont les êtres les plus inventifs et les plus amusants de la création et je n’en veux pour preuves que les deux dernières inventions de la semaine dernière qui nous sont contées par les journaux de l’autre côté de l’Atlantique. Ce sont là, du reste, des inventions transatlantiques, comme un simple bateau — pas celui que l’on nous monte cependant !

L’on sait combien il fait chaud aux États-Unis en été ; New-York et Chicago sont les deux villes du monde où il y a le plus d’insolations et l’on rôtit même sur le rocher calcaire de Québec pendant la belle saison, en plein Canada. Cela pour une foule de raisons géologiques et météorologiques qu’il serait infiniment trop long d’énumérer ici.

Mais vraiment cette situation toute particulière ne pouvait rester longtemps indifférente devant l’esprit inventif des Américains du nord des provinces du Sud. Voyant combien le linge est vite abimé, malgré un empesage féroce et un amidon outré dans les Carolines, en Géorgie, à la Nouvelle-Orléans, à Baton-Rouge, au Texas, etc., et combien l’on souffrait de la chaleur nuit et jour, des industriels ingénieux et pratiques, comme qui dirait les tenanciers des bazars de l’Hôtel de Ville du nouveau Monde, viennent d’avoir une idée aussi lumineuse que glaciale qui a cependant immédiatement conquis tous les suffrages de la société snob de ces vastes et jeunes États.

Ils se sont dit, avec juste raison, ces braves gens, que l’on avait en hiver des bassinoires pour réchauffer les lits et qu’il n’y avait pas de raison pour ne pas avoir le contraire en été, ou plutôt, pendant les chaleurs qui durent plus ou moins toute l’année dans ces contrées fortunées.

Et voilà comment très sagement et très pratiquement ils se sont mis dare-dare à fabriquer et à lancer dans le commerce des bassinoires à la glace qui est comme l’opposé, l’antithèse, ou plus simplement l’antinomie de la vieille bassinoire remplie de braise des pays froids.

Immédiatement la chose eut un succès fou et toute la claincaillerie, comme disait Cherbuliez dans un de ses romans, fit fortune avec ce nouvel ustensile de ménage.

Mais ce n’est pas tout et voyant cet immense succès, les lanceurs perfectionnèrent leur invention, d’abord rudimentaire, et ils arrivèrent promptement à vous fournir le froid plus ou moins intense, à volonté.

— Voulez-vous un froid ordinaire, voici votre bassinoire à la glace ; voulez-vous un froid corsé et sérieux, pour vous changer en un bloc candi et cristallisé de froid dans votre lit, voici des bassinoires à la glace, avec acides et produits chimiques, acide sulfurique, etc. ; essayez-en, c’est épatant !

Pour moi, je déclare que j’en ai essayé et que, dans ce pays intertropical en été et humide pendant l’hivernage, cela procure la plus délicieuse des impressions.

Décidément ces Yankees sont des gens bien pratiques et vraiment si la chaleur ne semblait pas avoir déserté la France, je conseillerais à mes concitoyens d’user un peu pendant la canicule de ces bassinoires à la glace. Ils m’en donneraient des nouvelles !

Mais à Cuba ils viennent d’inventer un sport vraiment bien original et qui demande, il faut bien le reconnaître, une adresse, une sûreté de main et de coup d’œil tout à fait prodigieuses.

Ces Antilles sont remplies d’oiseaux-mouches, avec deux petites taches blanches de duvet, de ouate aux pattes, comme deux têtes d’épingles.

Le corps est gros comme un haricot. De la l’idée de les tirer avec des balles en anneau sans les tuer.

On les attache avec un fil imperceptible à la patte pour qu’ils ne s’envolent pas de l’endroit où ils sont, dans des salles-volières ad hoc du reste et avec un revolver-pistolet de salon chargé avec un atome de poudre, au lieu de tirer à balle sur eux, l’on tire avec des anneaux lancés par l’arme à feu et il faut pour gagner les prix et les paris, souvent considérables, que la bague, anneau passe, coupe le fil qui retient l’oiseau-mouche et que l’oiseau-mouche passe lui-même au milieu de la bague, sans éprouver la moindre écorchure, déchirure ou blessure !

Souvent il tombe étourdi ; mais si le tireur est adroit, le pauvre petit oiseau se remet bien vite et n’a rien du tout. Ce jeu du tir, à la balle-anneau, est vraiment prodigieux et il fallait à la fois toute l’adresse, toute l’audace et toute l’imagination des Américains pour oser l’inventer et surtout pour le mettre en pratique.

L’on peut dire, sans crainte de se tromper, que c’est là un genre de sport qui laisse bien loin derrière lui la fameuse expérience forcée et obligatoire de Guillaume Tell ! Du reste Guillaume Tell avait visé la pomme sur la tête de son fils avec une balle et non pas avec un anneau, car sans cela, j’aurais certainement entendu parler de la bague à Tell !

Maintenant ne croyez pas que l’on massacre tant que cela les oiseaux-mouches, car s’ils ne sont pas rares à Cuba, ils sont du moins difficiles à attraper, ils ont de la valeur et par humanité, — pardon, par animalité ! — il faut payer cher ce genre de sport et ne le permettre qu’aux gens qui sont vraiment des tireurs de tout premier ordre.

Je vous assure que c’est bien le genre de sport le plus profondément intéressant que je connaisse et c’est pourquoi j’ai tenu en ma qualité d’homme très au courant des choses d’Amérique, à être le premier à vous en informer.

Mais n’est-ce pas que ces bons Américains sont vraiment extraordinaires et que leurs inventions ne ressemblent pas à celles de tout le monde ?