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Pour lire en bateau-mouche/40

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Le diamant artificiel

Une fabrique bien inattendue. — Moyen encore inconnu de faire fortune. — Les mystères de la chimie organique.

Il y a, comme chacun sait, un mouvement littéraire et social très intéressant depuis plusieurs années en Belgique, auquel j’ai l’honneur d’être plus ou moins mêlé, en menant le bon combat dans leurs revues.

C’est dire que j’aime beaucoup ce pays et que j’ai souvent l’occasion d’aller y faire un tour, car, avec nos modernes moyens de transport, Bruxelles n’est plus qu’un faubourg de Paris. Dernièrement j’étais à Mons, chez des amis, à deux pas de la frontière, au milieu de toute une colonie de disciples ardents et convaincus, si j’ose m’exprimer ainsi, du grand philosophe-sociologue Colins et nous étions en train de deviser de tous les grands problèmes du jour avec cette liberté de langage et cette franchise d’opinion qui distinguent tous les rédacteurs de l’Idée Libre, cette jeune revue belge qui a déjà fait un assez joli chemin dans le monde, lorsque la conversation vint à tomber sur les dernières grandes découvertes du jour ou de la veille. Les uns parlèrent du radium, les autres de la télégraphie sans fil et enfin un dernier venu nous fit remarquer que, grâce aux récents travaux des fils Lumière — un nom prédestiné — l’on croyait enfin tenir la photographie en couleur.

Comme je tenais un journal de Paris à la main qui rendait un compte détaillé du Congrès des architectes français, mes yeux tombèrent sur ce passage parlant de leur visite à la Sorbonne :

« L’après-midi, les congressistes ont été reçus par le bureau de la Société centrale des architectes français, puis, sous la conduite de M. Nénot, ils ont visité la Sorbonne.

Mais ce ne fut pas la simple inspection d’un grand bâtiment par des hommes du bâtiment : leur guide, M. Nénot, architecte de notre palais universitaire, avait corsé le programme grâce à l’obligeance de plusieurs savants professeurs.

Dans l’amphithéâtre Richelieu, M. Lemonnier, professeur d’histoire de l’Art, a mis sous les yeux des congressistes de belles projections représentant l’ancienne Sorbonne.

À l’amphithéâtre de minéralogie, M. Gentil a projeté sur un écran les images éblouissantes de roches en lamelles mesurant un dixième de millimètre d’épaisseur ; les architectes ont pu voir ainsi la structure intime de roches de formation préhistorique, mais de toute actualité, puisqu’elles provenaient du lac Baïkal, du lac Tchad et des dernières laves de la Montagne Pelée.

Dans l’amphithéâtre de physique, M. Lippmann a révélé les mystères de la photographie des couleurs.

Enfin, à l’amphithéâtre de chimie, M. Moissan produisit, à l’aide de l’air liquide, des froids de 180 degrés au-dessous de zéro, et, sous l’action de l’arc électrique, des températures de 3 000 degrés.

Les congressistes sont sortis littéralement émerveillés de ce laboratoire : ils y avaient vu le mercure assez fortement congelé pour être cloué sur une planchette de bois, l’alcool solidifié et le fer volatilisé au cours d’un essai de fabrication de diamant artificiel. »

Après m’avoir écouté attentivement l’un de mes aimables compagnons, directeur d’une grande feuille libérale de Liège, s’écria vivement :

— Oh, le diamant artificiel, voilà bien la pierre philosophale de la chimie moderne ! Alexandre Dumas prétendait en porter monté en épingle à sa cravate et des chimistes illustres, tels que M. Moissan, en ont trouvé plus d’une fois au fond de leur creuset.

Tout cela est vrai, tout cela est connu, archiconnu, mais ce qui est vraiment exaspérant, c’est que ces résultats sont toujours obtenus avec une part de hasard et d’imprévu tellement grande qu’il est impossible, en somme, d’obtenir des diamants artificiels d’une manière systématique et scientifique, régulièrement, méthodiquement, à volonté.

Et, dans l’espèce, toute question de prix de revient à part, l’on peut même ajouter que la méthode empirique elle-même fait défaut, puisque les résultats de l’expérience sont tout ce qu’il y a de plus incertains et de plus aléatoires.

— Voilà un résumé très fidèle de l’état de la question, lui dis-je.

— Parfaitement. Cependant je veux vous conter une aventure extraordinaire dont je viens d’être témoin, il y a quelques mois à Liège et qui va vous montrer combien nous sommes encore ignorants des secrets de la nature en général et des mystères de la chimie organique en particulier, surtout lorsqu’elle touche à la physiologie humaine.

C’est ainsi, pour ne vous en citer qu’un exemple, que dès la plus haute antiquité, les anciens connaissaient à fond les bézoards, calculs ou pierres des animaux ; les chèvres, les gazelles, les chamois ou isards, les porcs-épics et même jusqu’aux caïmans fournissaient des bézoards très recherchés comme amulettes, ce que nous appelons aujourd’hui des porte-bonheur. Mais des calculs ou pierres de l’homme qu’est-ce que nous en savons ? Presque rien ; nous savons qu’il y a des calculs arthritiques, biliaires, formes de cholestérines, intestinaux, urinaires ou vésicaux. Nous savons qu’en général ils sont formés de phosphate de chaux, d’ammoniaque, de magnésie, d’urate de soude, d’acide urique, etc… un point, c’est tout et ce n’est pas assez et il me semble que cet etc… en dit long et laisse le champ ouvert à toutes les suppositions, à toutes les investigations.

Car enfin comme l’avaient si bien deviné les alchimistes au Moyen-âge, tout est dans tout et ce sont simplement les méthodes rigoureuses qui nous manquent pour retrouver, par exemple, tous les corps simples, métaux et métalloïdes dans le corps de l’homme…

Ces constatations préliminaires étaient nécessaires pour bien vous faire saisir le double côté tout à la fois étrange et naturel, logique et surnaturel, en apparence du moins, de l’histoire véridique que je vais vous narrer et dont je viens d’être le témoin dans ma bonne ville de Liège.

J’ai chez moi une femme de ménage dont le mari est mineur depuis plus de vingt ans dans les fosses ou les mines de Sainte-Marguerite.

C’est vous dire qu’il descend tous les matins dans la benne, pour ne remonter que le soir à la surface du sol et c’est vous dire qu’il était, comme tous ses camarades, absolument saturé de carbone et de ses composés sous toutes les formes et jusqu’aux moelles, c’est bien le cas de le dire. Comme tous ces camarades également, il était maigre, mais pas plus que les autres, lorsqu’un beau jour il tomba tout à coup gravement malade, atteint de coliques néphrétiques absolument insupportables.

Après un examen attentif, son médecin reconnut bien vite qu’il était atteint de la pierre, c’est-à-dire de calculs dans la vessie. Les douleurs devenant plus graves, il fallut bien en arriver à l’opération courante de la lithotritie qui consiste à broyer la pierre dans la vessie. Mais, chose étrange, les pierres — on en sentait trois sous l’instrument — résistèrent et l’on dût se résoudre à l’opération infiniment plus dangereuse de la lithotomie ou cystotomie, pour arriver à tailler ou extraire les calculs, après avoir incisé la vessie.

Le médecin ne put tailler les trois pierres mais il put les extraire intactes et huit jours plus tard notre homme était recousu, sur pied et parfaitement guéri.

Dans leur gangue terne ces pierres inattaquables ne disaient rien, le médecin intrigué les porta lui-même à un grand marchand de pierres de Paris qui après les avoir taillées et polies, lui rendait trois admirables diamants ! Notre pauvre mineur avait simplement dans sa vessie, saturée de carbone, élaboré, fabriqué trois gros et splendides diamants !

Un Américain qui passait précisément à Liège les lui acheta trois cent mille francs comptant et mon homme aujourd’hui vit de ses rentes tranquillement avec sa femme qui, naturellement, a quitté mon service.

Et comme nous restions tous sous le coup de la surprise et de la stupéfaction que nous causait le récit d’une pareille aventure, notre ami, jouissant à bon droit de notre étonnement, reprit, en manière de conclusion :

— Oui, Messieurs, je persiste à croire que le corps humain est encore le plus merveilleux et le plus inconnu des alambics et c’est à nous à l’étudier avec soin, pour arriver à en pénétrer toute la mystérieuse chimie !