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Pour lire en bateau-mouche/66

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Fabriques d’antiquités

Les fausses antiquités égyptiennes.
En Normandie. — Exploitation des anglais et des touristes.
Curieuse industrie.

Aujourd’hui je ne dis pas que tout soit faux, mais tout est imité avec un art prodigieux et sans affirmer, comme ces braves Américains, qu’il y a des industriels peu scrupuleux qui passent leur vie à lancer dans le commerce des imitations de grains de café, de poivre, avec des noyaux d’olives râpés, de poudre de riz avec du talc — ce précieux silicate de magnésium — et même des œufs artificiels ! Il est bien certain que l’imitation et la contrefaçon règnent en maîtresses à travers le monde, et pas seulement en Allemagne, quoique l’on en puisse dire.

Ainsi je ne connais pas pour ma part de commerce où il y ait plus de faux, d’imitations, de tromperie, de truquage et de maquillage que dans ce curieux commerce de la curiosité. Et vous savez que l’on appelle ainsi les marchands d’antiquités et les marchands de bric à brac ; les premiers sont les huppés et les seconds sont les modestes. Souvent les premiers sont juifs et les seconds auvergnats.

Allez chez les uns ou les autres — surtout chez les premiers qui sont plus malins — et il faudra que vous le soyez joliment malin vous-même pour savoir si ce buffet, cette jolie crédence en vieux chêne sculpté, ne sont pas faits de panneaux disparates, de pièces et de morceaux, ramenés habilement dans la tonalité voulue, si ces céramiques sont authentiques et si tous ces jolis bibelots en vieil argent n’arrivent pas en droite ligne depuis un mois d’une usine allemande qui a cette spécialité.

En effet, l’Allemagne s’est fait depuis quelques années une spécialité d’imiter à miracle tous les bibelots, jouets, etc., en ivoire, argent ciselé, etc., de Louis XIV à aujourd’hui et je ne pourrais pas m’empêcher d’admirer l’ingéniosité, la patte et l’adresse de ces aimables et avisés industriels — je dis aimables, car on l’est toujours quand on gagne beaucoup d’argent en roulant ses semblables — si, au moins, ils avaient l’honnêteté de ne pas nous vendre du faux pour du vrai. Oui, certainement, mais tout est là et alors si l’on faisait le métier avec conscience, il est évident que les bénéfices diminuraient, ipso facto, des trois quarts.

Mais pour me confiner dans le monde de la curiosité et surtout des marchands d’antiquités, je voudrais en citer quelques exemples célèbres entre tous, que tout le monde connaît évidemment, mais auxquels on ne pense pas assez, pour en tirer les conclusions qu’ils comportent.

— Quelles sont donc, mon Dieu, ces conclusions ?

— Très simples ; à savoir que ces sortes de commerce ont donné lieu, derrière eux, à d’énormes industries ou, si vous aimez mieux, tout au moins à des industries très prospères que la plupart des simples mortels — trop superficiels, par paresse d’esprit, ignorance ou bêtise — ne soupçonnent même pas.

C’est ainsi que la Grèce et voire même toutes les grandes capitales de l’Europe sont toujours à même de vendre dans les meilleures conditions du monde — pour le vendeur bien entendu — toutes les statuettes et toutes les terres cuites de Tanagra que l’on voudra, quoiqu’il y ait belle lurette que le dernier morceau authentique ait trouvé sa place dans un musée connu.

C’est ainsi que voilà pas mal d’années que les derniers os des derniers grenadiers de la Garde ou du dernier invalide belge ont été réduits en poussière et cependant jusqu’à la consommation des siècles on vendra à Waterloo des boutons de guêtre, des sabres et tous les fourniments de toutes les grandes armées qui se sont fi…chu là une historique tripotée. C’est à croire que l’on sème des boutons militaires dans cette plaine immense et qu’ils y poussent avec la même conviction que des haricots ou des pommes de terre !

C’est ainsi qu’en Égypte on a beau ne plus éventrer de sépultures, on vend toujours les fameux Scarabées gravés et tous les bimbelots du temps de Sésostris et toutes les monnaies de la Thèbes aux cent portes et toutes les momies les plus authentiques des Pharaons et de leurs augustes familles !

J’ai même connu un arabe passé maître dans cet art des reconstitutions, qui, en roulant fort galamment les Anglais, pourtant méfiants, s’est constitué, de la sorte, et rapidement, une fortune de plusieurs millions.

— Tout cela est archi connu, me direz-vous ?

— Je le sais, mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que par derrière toutes ces curiosités aussi fallacieuses que peu artistiques, il y a des usines, des fabriques véritables d’antiquités qui ne le sont pas et c’est ce que l’on oublie et ce qui est amusant.

En Normandie, il y a des usines de céramiques qui approvisionnent toujours les paysans de vieux Rouen, à la corne, ou sans corne, polychromes ou monochromes, sonores ou non. Et comme les gens qui se disent malins, savent que depuis longues années tous les vieux Rouen ont été raflés par les musées et les grands seigneurs du pays, les fabricants qui déposent les fausses céramiques dans les chaumières pour partager le bénéfice avec les paysans, envoient circuler chez les dits herbagers, dans leurs masures, de faux chineurs qui vont simplement régler les comptes, mais font semblant de rechercher les pièces rares !

Ça c’est le comble de l’art, c’est fait pour inspirer confiance aux Anglais et aux touristes. Le chineur achète ostensiblement fort cher un objet qui sort de l’usine de son patron et le lendemain il le rapporte au paysan !

Oui il n’y a plus de vrais chineurs et pour cause, mais il y a de ces faux chineurs qui sont de véritables allumeurs et je dis que lorsque l’on pousse si loin la mise en scène et l’art de rouler ses contemporains, la filouterie confine au génie et je ne puis m’empêcher de saluer avec admiration cette petite combinazione, comme diraient les italiens.

Oui, tout cela est génial, admirable et pas très moral et voilà pourquoi il y a de véritables fabriques d’antiquités à travers le monde que le public, en général, ne soupçonne que vaguement.

Et si j’ai tenu, dans ce bouquet des jolis métiers, à en dire un mot, ce n’est pas par esprit de philanthropie et pour crier casse-cou à mes concitoyens. Non, je serai plus franc, c’est dans un sentiment d’orgueil, car je suis vraiment fier d’appartenir à une humanité où il y a encore tant de gens roublards et malins.

Malheureusement des préjugés incoercibles m’empêchent de suivre leur exemple !

Comme c’est gênant la conscience !