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Premiers poèmes/Chansons d’amant/La Belle au château rêvant

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 157-173).

LA BELLE AU CHÂTEAU RÊVANT

À l’extrême terre près de la grève, le château dans la brume : de la plane terrasse teintée de lune et comme vide de présence, vers qui pourrait entendre, le veilleur des tours clame.

Les pleurs de ta passion
parent les collines
des péristyles des nouvelles Sions
et des nuages plaquent leurs adhésions.

Teintée de fleurs et d’aube et du sang des victimes
la paroi du désert écartèle les trophées opimes
des lunes de tes rêves et des soleils de tes sommeils.

Les tentes dépliées au pied des caravanes
les étriers coruscants jetés dans la poussière
et le bruit du galop exhilarant dans la savane
s’apaisent vers les deuils des poussières premières.


L’ancre languit au promontoire,
les démiurges des histoires
planent au miroir de la mer plane
c’est ici le songe éternel du silence
le repos du sommeil éternel sans semblances

Les prodromes et les hypostases meurent au pied du roc crénelé
la mer des blondes ténèbres éploie ses hydres annelés
la mémoire est en deuil de la Nixe et de la Sirène
la mémoire est en souffrance du quelconque qui pleure au seuil,
ici c’est le palais des repos de la reine

Belligère d’émoi loyal
Jeune page aux lèvres loyales
Jongleur à la chanson joviale
piéton des chemins d’idéal
venez à la cité qui meurt ses agonies d’insomnie ensevelie
venez aux demi-morts, aux retranchés, aux proscrits,
aux proscrits scellés aux gîtes irréalisables, venez

Passant, Roi de fortune. Éphémère, Thyrse des douleurs
Cavalier des ardeurs, Reître des baisers, Jongleur somnambule
à la voix morte du veilleur
à la voix fantôme de la corne qui ulule
accourez, accourez
venez, venez


Toutes roses du Farsistan
et les bassins qui chantent la joie continuelle
et les mosaïques aux lucioles perpétuelles
et le vin de la chimère et le vin de mai et le jubilé des printemps
attendent la lassitude de tes pas

Dans le repos des parfums, dans le trépas renouvelé
tu goûteras la fête résurgente et vivace
tu trouveras la trace éparse des derniers élans de ta race
l’illusion te dira les dominations

Les langueurs des harmoniques meurent au pied du roc crénelé
viens aux réduits, viens aux baisers, viens aux morts partagées.



Une voix saille de l’horizon

Ah, des sources inconnues pour y tremper mes mains malades !
je suis le frère aigri des crépuscules similaires
le frère
des spectres inconsolés ainsi les Danaïdes
et le marin d’Ithaque qui souffrit aux plages arides
ou le dompteur des taureaux enragés du rouge de ses lèvres


J’ai perdu ma force à sa faiblesse.
Sirène, la dernière à la voix de la première
j’erre aux mirages des paysages répercuteurs de ta lumière,
ô toi qui luminas ma vie et ma détresse
de ton port irradié des flottes des désirs pavoisés
j’ai cargué la voile de la tartane aventurière
et par les flots de nos douleurs abandonnées, je vais.

Brèves sont les douces terres
lentes sont les mers
l’amer passé délétère
gît à mon diaphragme amer.

Brève est la colline
si lente est la plaine
brève est la clairière
si lente la lande.

Par delà la colline et par delà la plaine
pas sur pas, coupe sur coupe, dans l’infini de ton haleine
je vais ma marche prisonnière

Mon bon cheval des luttes est mort le long des grèves
ma compagne mémoire s’est assoupie de rêve sans trêve
mon glaive s’est brisé contre l’écu du chevalier-frère

mon bouclier je l’ai laissé aux chanteuses de la taverne
ah ! des sources inconnues pour en onder mon front malade
et des seins portraits des siens que ma lèvre hiverne

Vers des cloches argentines
Vers des lèvres matutines…
Porche inconnu, peut-être asyle de celle qu’on destine
au misérable fils inéluctable des héros
peut-être ayant vaincu la menace de tes créneaux
verrai-je un sourire épanouir la fête de mourir
au pèlerin des morts d’aimer, opposez vos haches et vos carreaux

Qui que tu sois, gardien du fort
qui que tu sois, marin du promontoire
descends tes pas armés le long des forteresses
le maître des douleurs transgressera ton territoire



La voix du veilleur des tours s’élève

Que la herse se lève pour l’accueil,
Passant qui lamentez votre âme sur le seuil
laissez-vous guider par la main consolatrice
allez vers les parvis des voix évocatrices



Et dès le vestibule, aux pas fiévreux du pèlerin, se dressent voilées de noir des dames ; l’une dit

Ah que bégaiera ta parole
si l’indicible vient à toi ?

Des chars se meuvent sous tes paupières
des chariots de guerre et des tours de pierre
et les pleurs lents de la blessure rouge
saignent aux bouges fréquents de toi —
mais la désirable fièvre qui se meut aux incertains émois !

J’ai su tes soirs vrillés de timbres impersonnels
aux voix d’on ne sait où, tes rébellions
et quand tu pantèles aux griffes insatiables du lion perennel
tes adieux monochordes aux soirs soudains des Sions
aux soirs immédiats des répercutables Sions.

La cité qui flotte à tes heures seules
la cité qui pleure ses pauvres, sous ton front
et le dédale des palais seuls
et les âmes résonnant aux marteaux des forgerons
invisibles
les âmes, cœurs et cribles et cibles
aux flèches des tueurs de monstres de ton front.

En quel oubli profond
la désirable fièvre qui vient naître à tes crépuscules profonds.

Dans la nuit aromale des zones perceptible
Ah ! cœur dormant au fond de ton cœur perceptible

Toi qui trembles aux pas légers le long des Babels de ton rêve
chercheur de passés qui s’oripent en avenir
regresse, et dans toi-même cherche le devenir
éveille la lancinante dormeuse hantante de ton rêve

Frère, la liqueur d’or
qui pavoise, dore et décore
l’absence incertaine de qui s’est tapie là
et la perpétuelle et fausse présence du me voilà
cherche-la dans les mines profondes
que l’inscience de tes moments scella —
regresse, au plus profond porte tes pas


Vers le pèlerin, une autre dame s’avance et dit

Dans les jardins de la chimère
mille plaintes aux térébinthes
mille plaintes amères
à la seule douleur de la chimère


Dans les jardins de la chimère
mille morts aux sycomores
à la seule mort
des désirs gerbés au jardin de la chimère

Griffes en colliers
larmes en perles
agonies des roses !
j’ai su que la chimère lacessée
la chimère étranglée des colliers
éperle aux passants ses perles
et dédie les roses aux pays de mort

Dans des pays d’été charnel
des pays éclatants que voilent des branchages
va chercher le renouveau des âges
et les cœurs des roses au parfum perennel
le parfum des fleurs au toujours présent rituel

Les caravanes tympannonent.
Les filles mates, qui dansent et donnent
rejoins-les aux détours sinueux de la route ;
ici c’est la prison,
et le lierre primordial des erreurs que les chèvres broutent

entends dans l’horizon l’appel des tympanons
À la cendre éteinte des regards pourquoi chercher tes survivances
la tête en larmes de tes nuits
la fleur écarlate de tes songes
le dôme de soir du cher mensonge
dévalent au fleuve de vie

Regarde fuir et vois gésir

Le Pèlerin passe, mais dans la salle obscure où sous le dôme aux contours imperceptibles seul s’aperçoit dressé comme un catafalque le lit de la Belle, le mage l’arrête

Soleil, morne soleil, horaire défaillance

Astre de la nuit, tremblotantes lumières, astres de désastres

Face décapitée de la lune, une et spectrale

Ténèbre astrale, ah corps blessé, heure sans vaillance

Colonnade de pilastres où s’émeut le vent des désastres
Gîte de l’accueil et de l’emblème, tour centrale


Les passés voilent vos images
aux yeux intérieurs du mage

Qu’est devenu le doigt qui montrait l’aurore
la torche des soirs vacillant sur le livre
la danse, spirale des regards et qui enivre
les corps se sont perdus et l’âme meurt encore

Frère des lointains
tes pas incertains
sur les sables du lendemain,
la méprise de ton caprice
vers la louange impératrice
d’un corps acquiesçant sa lumière et ses divans blancs
vers la douleur vocératrice
ce serait dans les soirs des mondes jeunes de vivre
le simple et pur élan
mais le mensonge ici panse ses cicatrices

Les vagues des souffrances
se sont amoncelées
des stalactites ont filtré
du dôme en joie, du dôme en pleurs, vers le silence
les pleurs sont la langue où se sont rencontrés
les retours muets d’étranges contrées


Couche tes pas arides dans la nuit sans ride
vers la nuit sereine étends tes paumes suppliantes
vers la nuit sans demain, lourde de rêve d’étoiles reines
apaise tes genoux et tes oreilles oubliantes


Vers lui hors du fantômal monde hanteur de la salle, s’avance un guerrier

Les chars des capitaines sont passés — c’est la mort
effondrées les tours qui ceinturèrent les palais des idylles
et la lagune lamente à l’île
les mousses du passé se sont amoncelées — c’est la mort

Frères de rythmes éperdus
les sèves et les vigueurs armées de fer
ils descendaient dans l’arène et furent perdus

Des courroux inconnus sur le feu des cavales
galopèrent la lisière des fêtes aux coupes pleines
et les cités se sont inclinées vers la plaine
une main vint terrasser le front des capitales

De ceux qui s’enlaçaient pour pencher vers la mort
de ceux qui s’isolèrent aux genoux de la mort

le souvenir s’est clos dans les brumes de la mort
les chars qui s’effondraient traînaient les capitaines
vers les portes souillées d’on ne sait d’où — c’est la mort



Vers le catafalque où les yeux de la Belle restent clos, le pélerin supplie

Dès l’heure des graciles enfances
aux indistinctes et pâles songeries

Lors de la nuit qui s’apâlit
dans les soleils aux agonies en pierreries

À l’appel de la courbe du fleuve
et des lueurs des incendies sur les forêts en navrance

Dans les chevauchées vers lumières neuves

Tombé débile aux mares d’ennui

J’ai rêvé la route à ton gîte où l’étoile luit
et que mes avenirs s’étoileraient de tes féeries



Un chœur invisible bruit

Nous avons cherché le mensonge et nous avons trouvé la loi ;
les hyperboles et les paraboles éclairaient les routes des aïeux
la coupe de l’oubli resplendit aux festins dans les cieux
et sous l’arbre qui donne l’asyle des baisers ombreux
les amants venaient écouter les madones

Déçus d’avoir glissé sur les mers sans rivages
trop longtemps devins de bruits sonores et vains
nous inclinâmes vers la fleur de songe nos veuvages,
las de nos regards lustrateurs des vieux âges
nous nous dérobâmes aux prunelles d’avenir

Aux battants de notre porte c’est l’éternelle poussière
le chemin traversé s’engouffre dans l’éternel passé
les âmes comme des ailes battent aux plafonds d’ombre
les douleurs d’anciens cœurs seules se lamentent en poussière
les discrépances de jadis sont emmurées dans le passé
nous nous sommes voilés du plus lourd manteau d’ombre
puisqu’il n’est rien de plus que renaître et mourir



le pélerin

Je mènerai nos baisers vers les cités
veux-tu les madrigaux, les folies ou les fées
sur la mer, les nefs aux proues dorées
ou les concerts des peuples à ta voix acclamée.

De toutes cendres des errances
des baisers de ta parole émergeront les renaissances
laisse-moi dans tes mains refleurir
vers le sourire de ta joie jeter l’ancre des avenirs.

Sois la rade, la fête en fleurs et la magnificence
sur la tour immobile nous enliserons le verbe mobile
ce sera dans notre calme un unique désir
et des palmes invisibles berceront ta clémence à ma vie.


chœur invisible

Transmuter l’éclair en chair indestructible
figer la seconde en éternel monde
folie du passant qui s’arrête et s’écrie
« érigez sur cette vague l’éternel palais du réel »


Demain tintera comme aux jours disparus
autour du palais grondera la rue
tu ne sais, ami, que ta sœur la douleur
et la traîtresse caresse des théorbes sirènes aux doigts trompés des reines

Ton manteau d’alchimie trompée, ton oreiller
la tiare aux nutations invisibles
et les frontières d’hypothèse familière —
ni plus tard, ni jamais — ni la grotte, ni le trépied


le pélerin

Des arabesques des voix d’anges je tapisserai ton réveil
au profond des causes nos pas erreront
dès ton réveil non pareil, les oiseaux des rêves vivront et chanteront,
sur la terre déserte, un réveil bruira des soleils

Descends le long des marches tremblotantes de mon être
à tes pas adulés les parvis reconstruits
dans une efflorescence des gemmes, des voix, du bonheur d’être
salueront le jour éternel renvoyant d’un baiser la nuit

Viens vers les horizons, les parcs d’amour, viens vers mon âme
vers ta vie nécessaire ; renais à l’inéluctable destin de ton âme



la belle

Reviens à moi, sommeil, scelle-toi sur ma bouche
des mirages de leurs visag-es garde le lac de mes yeux
reprends-moi dans le val aux mousses quiétantes
où toujours l’amoureux soulève un pan de tente
et se retire peureux

Entre mes seins reviens, dans ton cortège d’ombres
les ombres de jadis qui passèrent et moururent
les ombres de silence qui glissent aux nuits planes —
mes épaules lésées dans tes bras las, et la nuit plane

Les meurtres de ma vie enclos-les dans tes deuils,
le méfait de ma beauté couvre-le d’un pan de ta nuit,
donne le fleuve d’oubli qui berce et s’abolit
ah ! reprends-moi, sommeil, scelle-toi sur ma bouche


Et tandis que sort le pèlerin, que le château retombe dans le mutisme séculaire le veilleur des tours chante

Delà les bois silents, et les fleuves, et la lande
mes désirs cinglent vers tes yeux,
énamourées, énamourées
les trombes de mon cœur tournent à ton silence
par delà les soleils des soirs et les bois silents


Vers les vérandahs où s’apaissent
les troupeaux des filles aux seins mûrs
je chercherai l’électuaire
l’élue des jours ternis, lui dire le syllabaire
des grands mots d’amour des soirs

Voici le lys flétri et la cargaison morte
et puis voici les yeux d’Hélène ou de Judith
allez les voix des mages à ses pieds blancs et dites
les profondes syllabes des crépuscules aux villes mortes

Aux tons passés des robes de brocart des frivoles années
se réfugie le rêve et le site et l’Orient
Fleur dévastée sous les piétons errants
et qui rit comme folle aux pas du chevalier

Cependant que le jour se rigide dans les arbres
que la ville illumine ses sens aux artifices
que rigide tu vas aux lèvres de molles complices.