Aller au contenu

Premiers poèmes/Chansons d’amant/Reyam

La bibliothèque libre.
Mercure de France (Premiers poèmesp. 273-286).

REYAM

une voix de femme d’un temple lointain :

Vers le plafond
en semis d’ombre et d’or des crépuscules,
dans les joies minérales des yeux d’étoiles
sous la surveillance bonne des cosmogonies qui se reculent
et les pâles divans de lait divin sous les blancs voiles
Sous le crépuscule profond

Je fais un pas et j’apparais sur les balcons.
Aux balcons de la terre
Issue du luxe noir et or des lambris
J’apparais
Et s’apaise la douleur des âmes en débris.

L’auréole éclôt des floraisons et des ramures
mûres pour la joie.

Cortégées de tiares d’éphémères et des inflexions des sceptres des rois
de longues caravanes palmées d’aurores, drapées de soies
sous un printemps nouveau des ramures.

Des murs écroulés sous le deuil des lierres
sont comme jardins ascensionnels aux cieux mystiques
et tendent à mes reflets
au miroir de l’entrelac de mes ballets
des fleurs comme des paumes humaines et soyeuses.

Quelque humain qui rit aux bayadères
pressent l’obscur délice d’une mort fondante
des frissons doux volètent aux cimes centenaires
Quelque parfum se meurt aux fleurs
et des sanglots d’épithalame chantent aux plantes.

Nuit d’été mon œuvre, astres laurés, rêves essorés
trêve des courages, largesses des baisers
frémissement qui se comprend et se perçoit,
et ne veut plus mourir
mers d’arôme, chants en splendeur, naissance des fiancées
regards des pâtres
éclosions des pylônes de rêve, autour des sphinx d’albâtre
certitudes en triomphes, issues des conques

de la mer radieuse et lactée
de mes yeux votre miroir,
cortège et coryphées

Voici l’éternelle fiancée et le fleuve
le fleuve et la mer, la source et le silence
et les moires et les fêtes
et les trophées
Le secret de la mer qui se baisse et se lève
et le secret des secrets de la nuit
Moi l’Ève.

Musiques éparses et gnoses
roses astrales, opium des fleurs
Sésame aux portes d’or
aux gonds des portes des palais de marmorose
halètement des peuples
qui le long des fleuves et des rivières
mènent, leurs armes et leurs chevaux et leurs gazelles,
espoir des tribus enfantes
raison des terrasses du mage
cause des douleurs et des joies qui enfantent
c’est moi l’Ève.


reyam

La voici, notre ville en fête, notre cité ;
Vois-tu, la nuit violette ici plus pure incline
plus de parfums partis des divines ravines
où nous vivrons nos pas heureux

Par la folie incandescente des étés
J’y sais aussi fraîchir les plus jeunes fontaines
près des halliers peuplés de faons peureux

Vois-tu notre cité de fête
Les lampes des palais nous y sont bienveillantes
leurs flammes dorées plus qu’en d autres terres

Ô ma cité, cité citrine vers la mer pâle
tes blancs minarets
de la haute montagne proche m’appelaient
comme voix maternelle.
La course de mes pieds dépassait mes sandales
et mes yeux avaient des ailes
pour mirer sa splendeur en tes yeux diamantés

Voici notre cité de fête
Vois-tu notre palais illuminé des lampes
des lampes de l’attente et de l’accueil
Voici le pays d’or et de songes, et notre palais sur ces rampes.


voix d’un minaret

Debout dans l’extase le seigneur attend
Quelque réponse à ses prunelles
Devant le vide éternel
Debout et présent le seigneur attend

Il attend dans la nuit déserte
un regard d’humain vers son ciel
devant le vide éternel
Debout et présent le seigneur attend.

Au bas des escaliers que doit franchir Reyam, un vieux derviche harassé s’est assis et murmure.

Comparaître, ah demain s’il me faut comparaître
devant moi-même mon prêtre et mon roi
Quand mon âme au seuil du disparaître
de l’éternel et taciturne disparaître
me demandera
Vieillard qu’as-tu fait de ton âme et de ton être
Vieillard qu’as-tu fait
de ce frère, qui dans une cabane de ton âme dormait
sous les balancements de palmes en rêve
attendant l’heure de naître à ta voix
te conter les chroniques d’un grand rêve ?


Pourrai-je répondre : les passants
passaient si nombreux devant mes prunelles
battements d’ailes sur la nuit
que j’ai laissé mourir l’heure à voir passer
des turbans et des robes et des bâtons brisés

Les paroles des chansons sourdies des rues lointaines étaient si tendres
Que j’ai laissé mourir mon frère à les entendre,
Les paroles des chansons lointaines si indistinctes
que j’ai tari le fleuve de vivre à les attendre
plus proches et plus prêtes pour comprendre
leur charme lent, leur charme doux, leur charme triste
et pour savoir
de quelle Ève astrale et surnaturelle
de quels anges aux paroles en albes ailes
ces chansons furent le miroir

Ô ponts du ciel, je sais vos arches bâties d’attentes brisées
mais mon âme à l’heure où ses serviteurs
trop longtemps debout pour la garde et le combat
en un soir rêveront le dernier rêve
« c’était trop bref, ce fut trop long »
l’âme dira : qu’as-tu fait de tes serviteurs
où est ta droite, et l’épée de ta droite

où est ta gauche et le bouclier de ta gauche
où est ton front et le casque de ton front
et la terrasse de tes yeux qu’y passe-t-il maintenant.

L’agile citadelle de ta force et le coffre de ton cœur
en quelles landes stériles les entouras-tu de tes gardes
sur quelles frêles tentes, aux mirages de landes tes étendards,
Les sabots de tes chevaux sonnaient à des terroirs
où les citernes sont taries.
Ton pardon tombait au front de tes serviteurs ;
ce pardon pour toi-même ton frère l’avait en garde
et ton frère de toi-même est mort.

Du plus haut minaret j’appelais
Quand la nuit à nouveau fiance les amours des hommes
Du plus haut minaret j’appelais
des échos en prière bourdonnaient à ma parole
sur les terrasses j’entendais à ma parole
éclater en gerbe les fiançailles des baisers,
mais où suis-je, vieil aveugle, parmi les hommes

Dans mon âpre solitude
les souvenirs entaillent comme cognées en forêts ;
dans ma coupe d’amertume

les souvenirs filtrent comme poisons dans les artères
comme des aiglons seuls dans l’aire
mes désirs clament vers ma mémoire en désuétude

voix d’un autre minaret

Ô solitaire quêtant l’albe robe de la recherche, ô solitaire
solitaire attendri des arabesques stellaires
ô solitaire inclus dans ta muette litanie, ô solitaire
à ta droite, marche le désert parmi les foules.

Ô solitaire qui des patries
par les plages vient aux sanctuaires
vivre plus vivement l’heure de toute ta vie
ô solitaire, au divan, près de la coupe, qui t’étends
solitaire qui cherche, solitaire qui attend
par la bigarrure des foules

Le rêve d’illusion, comme fleurs d’autres patries, des mains l’apportent
Inviolées, par l’or dense des portes, elles l’apportent
dans l’éclair sidéral et bref de leur présence
Solitaire, ce rêve porte-le vers tes lèvres
sans questionner l’étoile messagère
car l’apparence et les pétales de l’extase sont mensongères.

En haut de l’escalier du palais préparé pour recevoir ceux qui reviennent un vieux serviteur accueille Reyam.

Maître, les choses ont neigé
depuis vos départs vers les phares d’exil
des doigts d’ombre ont abrégé
des floraisons de vies fertiles
sous les dômes de votre palais

Voici les clefs antiques des salles claires et des jardins
et voici vieillis vos serviteurs de vos enfances ;
à vos prochains appels aux éveils des matins
combien nombrerez-vous de défaillances

Maîtres, salut à vous tous deux
dans l’ample vestibule où des fresques de dieux
attendaient dans l’immobile essor de leur présence
les pas du maître, captif si loin, dans les absences

Reyam et Djemail sont passés, sur la terrasse ils écoutent et regardent la ville, la mer et la lande.

reyam

Vois, la fête de la ville est continue
par la chanson de ses fontaines et le pas de ses aimées
la joie, sans cause et sans trêve s’annue
par les cours en lumière au pied d’amères mosquées


La mer supporte les chalands
alourdis de blés et d’ors et de passants
venus rire la fête de la cité
venus pour repartir vers d’autres cités.

Voici la plaine noire et lointaine devant nous ;
ne semble-t-il pas que des ombres
gravissent, pénibles, mornes et décombres
et noires, se lèvent vers nous.

Que distants et muets, sans se voir, ni savoir
où les mènent leurs pas
tous d’un effort même s’efforcent en la nuit noire
vers un éternel repas

Bonheurs en léthargies, fêtes en oubli, joies omises
caprices, en habit de forêts en folies
Sur ces cœurs de la lande désolée descendez
un instant dans un mirage épanoui
par les caresses
des lunes solitaires en traînes de reflets.

Détournons nos yeux de la lande larvée
regardons plus sereine que la fête de la cité
notre fête en nos cœurs et nos jours arrivés
au décor immobile et natal, à ma cité.


djemail parle à mi-voix, djemail parle

 « Ô Pâleurs
Délices lactées des nuits mes sœurs
Vêtues de chevelures noires piquées d’astres
Pâleurs violettes comme mes yeux émus
nuit au rêve doux comme somme d’enfants
nuit qui bénissez l’heure du bonheur parmi les désastres
nuit tiède, nuit temple aux lits de la terre
nuit pèlerine des parfums
nuit évocatrice des faces des défunts
que tu pares des beautés florales du lointain
tu m’apparais
Ta face diamantée sur le palanquin d’or
Que balancent les pas des éléphants géants
et tu renvoies la souffrance
du jour bruyant, du jour opaque
fête quotidienne des cymbales
des jeux et des combats d’ours
fête des montreurs de cynocéphales.

djemail parle à mi-voix, djemail parle

« Le centaure encore fief de la terre humaine
chevauche l’immensité de la nuit

Pan se couche aux lits humides des cours d’eaux
pour chanter la peine éternelle
Des lacs étroitement gardés de terre en roseaux.
Mutins parmi les fleurs qui parlent
Les elfes s’éveillent aux baisers de la nuit
pour enchanter les tristes âmes en repos
et diaprer d’un coup d’aile leurs rêves falots ;
La nixe de la mer froide et pâle parle
les consolations à ceux-là qui dorment
le songe statique de la mer énorme

djemail rit

Des files de cavaliers vont héler aux portes du manoir.
par la plaine, hâtée de leurs pas, dans le soir
Des chétifs en pèlerinage vont à la flamme du miroir
Qui s’allume en incendie sur la tourelle
De frêles fillettes s’empressent vers le miroir
seule incandescence dans la féerie du pays noir
et leurs chansons brillent comme ruisselis d’eaux vives
sur le fond sombre des pas des pèlerins sous le ciel noir

djemail murmure

De la plaine, des vagues, des palais
des voix montent à moi

des voix, résultantes de musiques en émoi,
aux jardins nocturnes du palais
des pages rêvent pour moi

Des nefs, d’âmes pleines
transmigrent aux mers océanes
des nefs d’âmes pleines de moi ;
le pécheur sinistre des mers océanes
Les mène à la dérive, épris d’un sourire de moi
qui vient de se passer sous les étoiles

Dans une bourgade
désolée des vents de mer
et sifflante sous le vent des forêts
Des femmes tissent leurs toiles
heureuses et gaies ;
Dans les âtres de la bourgade
dans les flammèches en étoiles
mon sourire a passé se jouer.

Un khéroub de douceur
Qui chante à Torgue au paradis
s’interrompt pour entendre aux voix de la terre
Un khéroub de rigueur
qui s’élançait du paradis
s’arrête écouter les chansons de la terre


ma voix parle aux piliers des vieux temples
ma voix sait l’accent de dialectes inconnus
ma voix broche ses chants aux manteaux amples
aux manteaux d’or des songes inconnus.

djemail chante

C’est l’heure attendue,
Mon ami de mes rêves et de ma vie s’en revient
vers notre chambre de nos baisers
La nuit se fait plus claire aux vitraux de la chambre
l’argent lunaire rit aux fleurs d’or des divans
voici le silence de la nuit
l’heure en fête de la nuit
Un seul bruit passera sur la terrasse du palais
celui de son pas vers mes baisers.

Ô Nuit vêtue de noire chevelure piquée d’astres
d’astres d’or mat, d’astres en diamants
Nous voici qui partons notre sommeil d’amants
vers toi, notre sœur éternelle et solitaire
Et tu nous ris de toutes tes étoiles
Nuit abondante qui nous enveloppe de son voile.