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Premiers poèmes/Domaine de fée/Chansons 2

La bibliothèque libre.
Mercure de France (Premiers poèmesp. 329-335).

CHANSONS

XIX

Celle qui t’aime a dit aux vents :
Passez par le front des futaies,
écoutez les ténèbres des cités,
murmurez des appels à l’Orient et l’Occident
et sa voix vous répondra… Moi.

Celle qui t’aime dit à la mer :
Vos flux et vos reflux et vos marées,
ce long déroulement de vos baisers sur le rivage,
les bourrasques de vos colères sur le rivage,
comme son âme sur ma bouche — ô mer.

Celle qui t’aime dit à son âme :
Mes fiertés, mes marches hautaines,
nos fuites dans la forêt, les baisers
perdus pour lui, perdus pour moi,
mon âme, un jour tu les lui rendras.

XX

Vous mes extases, vous ma voix,
vous ma part de fête et le musée de ma mémoire,
vous savez où les fées cachèrent notre coffret
avec toute mon âme et toute votre gloire.

Les sacerdotes et les soldats de mon rêve
ont vainement vécu la quête en la forêt.
Les exorcismes et les lances sont piètres armes
contre les yeux de fées qui rient sans bruit dans la forêt.
Mes soldats et mes sacerdotes, vous les fatiguâtes sans trêve,
et j’implore la paix de la lisière de la forêt.

Je vous donnerai pour rançon mes chansons
et les clefs de ma patrie, votre terroir. —
Que puis-je vous donner que vos lèvres ne prirent
sans parole et d’un baiser, au premier soir
où j’appris que mon rêve et vivait et m’aimait.

XXI

La fée, la fée, votre corselet,
votre corselet d’acier bruni,
vos ailes parfumées des coloris,
vos gentils menuets sur des pointes de fleurs,
et vos menus baisers aux oiselets des nids,
la fée, les aimez-vous, comme je les aime.

Les aimez-vous, comme je les aime,
nos arrivées lentes en notre palais,
parmi les chansons des oiseaux familiers,
et l’accueil ami des dogues familiers
vous aimez-vous, vous-même, comme je vous aime.

La fée, la fée,
les bracelets et les colliers
des rapides pèlerinages
vers nous-mêmes, ailleurs, en d’autres cités,
les aimez-vous si tant que je les aime en vous.

XXII

Je suis la synagogue, on y dit, pardonnez-nous
car nous avons pâti, gravement, contre nous
et avons nui au pauvre Dieu qu’avons construit
de nos mains, de nos nerfs et puis de notre ennui.

Je suis la basilique, on y dit, pardonnez-nous
car nous avons bâti, sur le sang et le sable ;
les os d’autres martyrs pavent le sol où nos genoux
implorent quelque chose, comme un Dieu de clémence
et peut-être de démence.

Et je suis la mosquée ; les offrandes des pâtres
parent mes murs sans images ; ce sont les pauvres fruits
de la terre marâtre où leur vie se détruit,
et je suis la Mosquée ; du plus haut minaret
j’ai su chanter ma peine et mon bonheur aussi.

XXIII

Toutes chansons au bois résonneront ;
tous les printemps vert pâle fleuriront ;
toute banquette au bois s’enchantera de liserons —
le rire par le bois tarira.

Croyez en la voix des pauvres bûcherons ; —
toutes chansons au bois se flétriront,
dans les baisers froids du printemps vert pâle,
tout le bois frilera.

Oubliez les chansons des pauvres bûcherons —
octobre vert pâle passera sur les bois,
toute banquette au bois s’enchantera de liserons, —
le rire par le bois trillera.


Toutes chansons au bois résonneront ;
tous les automnes pâles y béniront
les idylles des pauvres bûcherons ;
par les lamentos des automnes vert-pâle
tout le bois, tout le bois rira.

XXIV

Je te vis, je t’aimais,
je te revis, je t’aimais,
je t’ai revue, je t’aime encore.

Des valses passaient en dialogues d’oublis,
toi, je t’avais vue, je t’ai reconnue,
des valses partaient pour les plaines d’oublis,
toi je t’adorais et t’adore encore.

Je t’ai reconnue à ton air d’oubli,
tu croyais la vie plus morose,
j’avais apporté un bouquet de roses,
tu l’a respiré et puis tu as ri.

Je t’ai revue et je t’aimais,
je t’ai revue, je t’aime encore.