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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Chanson de la brève démence

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 100-106).

CHANSON DE LA BRÈVE DÉMENCE

Le bref accord, sous les claires ramures, s’est défait de lente tristesse.

La lassitude éparse, qui des heures lointaines s’ensevelit en l’esprit, adapte un hivernal manteau aux chairs pas assez neuves.

Rien ne survit au bref instant, l’accord s’évapore en regrets, l’acte dissonne puis se résout, rien ne revit ni ne refleurit.

Bientôt vers les heures lointaines ensevelies, encore cette minute. Aux nécessaires lassitudes rentrons.

I

Quel que fût l’inconnu que tes mains apportèrent
Violette et grave enfant, à la voix brève, à l’œil sans pleurs
Pour tes cieux et tes yeux et ta bouche et tes fleurs
Merci d’être venue t’assoupir à mes terres.

Car je me suis éclos de toutes tes morsures
Plus intime aux frissons intimes des douleurs
Et du lourd chagrin des mains souveraines
Et des saines strideurs des bouches en blessures.

Enfant qui t’en vas seule aux berges si lointaines,
Par le regret cruel des places longtemps vides…
Passez sa voix incertaine
Aux voix des soirs plus livides.

II

Je suis rentré dans la demeure
Avec la taciturne ivresse qui pardonne
Les cloches de mémoires qui meurent
Grondaient l'instant qui s'abandonne.

Les cloches de mémoire redisaient les yeux morts.
Les chevelures redénouées
Et les langueurs tant douées
D'un mirage furtif et frêle de bonne mort.

Et dans la brève demeure où meurent
Cuirasses des seins vaincus, des fleurs
L'ombre s'est apaisée de l'âme qui pardonne
Aux bras tordus, qui vers d'autres pôles, s'abandonnent.

III

Tes hérauts qui sonnaient aux horizons,
Tes étendards qui flottaient aux horizons,
Et ton debout dans l’ère obscure
Et tes fanaux dans ma nuit obscure.

Les cors de tes désirs aux gammes de conscience
Les assoupis, les étouffés appels de cors,
Les micas des longueurs languides de ton corps
Le point noir immobile aux yeux de ta conscience

Et toutes mes minutes en foule
Et toutes mes pensées en houle,
Et les chevaux cabrés de mes vouloirs
Éperonnés des folies de ta gloire
Au lit pierreux du fleuve mort voulaient boire.

IV

Les voix redisaient : la chanson qui brise
En son cœur, son cœur enseveli
C’est le son des flûtes aux accords des brises
Et la marche nuptiale des pâles lys.

Et que des perrons d’idéal porphyre
Elle descendrait lente et front baissé
En lacis perlé d’idéales Ophirs
Et les mains soumises et lèvres blessées

Qu’il faudra bercer la candeur surprise
À l’éveil si brusque au matin d’aimer —
Ô si court mirage des bonnes méprises
Et réveil si brusque et fini d’aimer.

V

Je me mémore en ton fantôme d’ombre recluse
Et puis en tes parlers sillés de nuls falots —
Le décor se mobile aux mouvantes écluses
Du fleuve aux rouges et mordorés et verdâtres flots.

Au fleuve dont les flots sont mordorés et rouges
Mes yeux se sont penchés inquiets de tes climats
Façonnés de parlers tièdes dont le sillage bouge
D’arcs argentés, de sourires blancs, de lys en amas.

Le décor se mobile et fond en minceurs
Les falots au lointain sont perdus — et que dire ?
Les falots sont éteints. Rêveuse la noirceur
Accoude ses plis lourds aux berges mourantes du dire.

Aux berges s’est traîné démantelé le fleuve
Le décor assombri s’immerge en la logique
De l’Ève au parler sourd sillé de névralgiques
Regrets d’avoir été palais, décor, et fleuve, et veuve.

VI

Par delà la mer, la mer, entendras-tu mon souvenir —
Je sculpterai ta face à l'avant du navire
Et tes yeux berceront au gouffre le navire.

Par delà les sables, les sables, chercheras-tu mon souvenir
Toujours plus loin, rythmée d'un rêve intérieur
Lente, la caravane ira les yeux ailleurs
Sans chercher l'oasis ni les kiefs d'avenir.

Par delà les rêves, les rêves oublieras-tu mon souvenir —
Oublieux du banal dont te parent tes fautes,
Du dormant palais dont parfois je fus l'hôte,
Je garderai le nostalgique amour sans revenir.