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Prière (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 16-17).
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PRIÈRE



Ô vous, femme adorable entre toutes les femmes,
Épouse des cœurs morts et sœur des jeunes âmes,
Reine des jours anciens, Reine des jours nouveaux,
Vous qui penchez un front empourpré de pavots,
Maîtresse du Sommeil, Souveraine des Veilles,
Ô vous qui dans Saba régniez sur les merveilles ;
Vous qui fûtes au temps d’Assuérus, Esther,
Baignant votre enfantine et précieuse chair
Six mois d’huile de myrrhe et six mois d’aromates ;
Vous qui domptiez le Nil sous vos galères plates,
Mangeuse de héros, buveuse de bijoux,
Cléopâtre ! — ô princesse aux puissants cheveux roux,
Qui traîniez vos amants tout meurtris de luxure
Des villas de Baïe aux bouges de Suburre,
Farouche Messaline, — ô large et sombre cœur,
Qui des taureaux crétois eût lassé la vigueur ;
Vous, l’éternel amour, Vous, la femme éternelle,
Dévoratrice absurde, ignoble et solennelle,
Qui sucez notre vie et videz nos cerveaux,
Rallumez, rallumez, sous vos longs cils dévots,
Dans leurs globes laiteux comme un fluide ivoire,
Vos yeux de cendre où couve une âpre flamme noire ;
Et pour mieux m’enlacer du désir de vos bras,
Tressez, tressez vos doigts parfumés d’ananas,
Comme l’osier vivant d’une ardente corbeille,
Que ma chair baignera de sa liqueur vermeille ;

Et de vos dents de lys, ivres de cruauté,
Où la lune affligée a figé sa clarté,
Et de vos ongles fous, fleuris de jeunes roses,
Déchirez savamment, avec d’exquises pauses
Pleines de doux regrets, pleines de chers baisers,
Mes muscles et mes nerfs toujours inapaisés,
Jusqu’au jour, ô Madone, où vos lèvres trop gaies
Presseront vainement les lèvres de mes plaies.