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Prime Jeunesse/42

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Calmann-Lévy (p. 202-204).
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XLII

Le Paris de ce temps-là n’était pas encore tout à fait l’asile d’aliénés qu’il est devenu de nos jours ; la fièvre de vitesse et de bruit y sévissait moins intolérablement et, pour arriver à se faire écraser dans les rues par les débonnaires voitures à chevaux, il fallait y mettre vraiment de la bonne volonté. Mais c’est égal, cela m’oppressait de sentir nuit et jour autour de moi une si compacte agglomération humaine, tant de milliers de souffles haletants, un tel amas de convoitises et de souffrances. Et puis tout me paraissait factice dans ce monde trépidant. D’ailleurs l’esprit qu’avaient les Parisiens en général m’était antipathique, surtout celui des garçons de mon âge, bourrés de lectures et de jugements superficiels tout faits : ils tranchaient de haut les questions, avec une aisance qui à première vue me démontait et qui à la réflexion me faisait sourire ; presque tous me semblaient des petits vieillards, nous parlions rarement la même langue, et je ne me liais guère avec eux. Non, plutôt je m’isolais dans le rêve de ma province natale, dans la nostalgie de mes plages de l’île et de mes bois de chênes-verts. Pour moi le seul incident notable de la semaine était l’arrivée du courrier qui m’apportait les lettres de mon père, de ma mère et de ma sœur. Lettres de plusieurs pages, comme on prenait le temps d’en écrire alors, elles me racontaient — et souvent avec l’esprit le plus fin, la grâce la plus touchante — mille choses de chez nous et répandaient dans ma triste chambre un peu de l’air de la maison. Celles de mon père, — écrites toujours de son impeccable écriture droite qui était courante sous sa plume mais qui semblait une soigneuse calligraphie, — contenaient de précieux conseils sur différents sujets, conseils qui paraîtraient, hélas ! un peu surannés de nos jours, mais qui seraient encore agréables à lire, tant ils étaient spirituellement donnés. Toutes ces lettres, alors si pleines de vie, on pense bien que j’ai eu le tort de les conserver… Et après moi, où iront-elles ?