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Prime Jeunesse/49

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Calmann-Lévy (p. 236-239).
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XLIX

D’après des renseignements pris en haut lieu par nos cousins de Paris, il était de plus en plus certain que je serais reçu à l’École Navale. Donc, aucune inquiétude de ce côté-là, et mon avenir semblait assuré. Notre pauvreté actuelle, encore acceptable et d’ailleurs très courageusement acceptée, avait eu surtout pour résultat de resserrer davantage les liens de la famille, dans un commun effort vers un minimum de privations ; on s’était décidé à vendre un peu d’argenterie, une miniature de Fragonard, etc. Du fond des vieux coffres jadis rapportés de l’île, on avait exhumé des cachemires qui, teints en noir, avaient fourni des robes presque jolies. Un peu de gaieté reparaissait sur les visages des chères vieilles dames en papillotes et en crinoline, un peu de cette foncière gaieté qui témoigne d’une conscience nette et d’un caractère aimable, et que les épreuves n’ont que momentanément le pouvoir d’abattre.

Quant à la fille de ma sœur, ce bébé pour qui, l’année dernière, on implorait, par une vieille chanson, le passage de la bienfaisante Dormette, elle était devenue cette année une petite personnalité qui courait partout dans le jardin et qui avait déjà des boucles blondes ; elle représentait parmi nous un joyeux petit élément nouveau, une sorte de rajeunissement pour les aïeules et les grand’tantes.

Maintenant que je faisais couramment à pied, par le raccourci des communaux, les vingt et quelques kilomètres entre notre maison et celle de ma sœur, j’allais de l’une à l’autre à tout propos. Ces vacances en somme me paraissaient devoir être courtes ; dès que j’étais à Fontbruant, je m’inquiétais de perdre des journées de mon séjour à Rochefort, et vice versa.

La forêt des chênes-verts et le ravin ombreux de la Gitane me charmaient encore plus intimement, aujourd’hui que les moindres rochers, les moindres arbres, les moindres roseaux m’étaient familiers, et dans mes promenades je continuais d’emporter, par tradition, mon revolver d’autrefois, bien que cela me parût un peu puéril de l’avoir ainsi toujours à ma ceinture.

Enfin un jour de septembre, à Fontbruant, comme je revenais d’une de mes longues explorations habituelles dans le marais aux grottes et aux libellules, mon beau-frère, du plus loin qu’il m’aperçut, agita gaiement en signe d’appel un journal déplié qu’il tenait à la main : c’était le Moniteur qui donnait la liste des candidats reçus à l’École Navale, et j’y figurais avec le numéro 40 sur quatre-vingts et quelques. Je ne me souviens pas d’en avoir eu beaucoup d’émotion, tant je m’y attendais avec certitude, mais quand même, c’était mon sort définitivement fixé, c’était l’avenir de voyages et d’aventures qui s’ouvrait devant mes dix-sept ans avides d’inconnu !…