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Principes d’économie politique/III-II-I-III

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III

LES LOIS DU SALAIRE.

Rechercher les lois du salaire, c’est chercher à découvrir les causes générales qui en déterminent le taux et le font monter ou descendre, et à exprimer par une formule leur action. C’est un des gros problèmes de l’économie politique et qui a fait surgir beaucoup de théories fameuses.

On pourrait être tenté d’abord de se demander s’il existe vraiment des lois naturelles qui régissent le taux des salaires ? N’est-ce pas là une recherche vaine puisque le taux des salaires varie d’un métier à un autre, d’un lieu à un autre, et que dans chaque cas particulier il est déterminé à la suite d’un libre débat entre le patron et l’ouvrier ? Ce serait mal raisonner, car le prix des choses aussi varie suivant la nature de la marchandise, suivant le lieu, suivant le temps ; on peut dire aussi qu’il résulte d’un libre débat entre le vendeur et l’acheteur, et pourtant cela n’empêche pas de rechercher les fois qui régissent les prix. Il n’y a là aucune contradiction. Les prix et les salaires sont réglés certainement par les conventions des hommes, mais ces conventions elles-mêmes sont déterminées par des causes générales qu’il s’agit de découvrir. Croire à l’existence de lois naturelles en économie politique, c’est croire précisément que les hommes dans leurs conventions sont déterminés par certains mobiles psychologiques ou par certaines circonstances extérieures qui ont un caractère général et qui peuvent être dégagés de la masse confuse des cas particuliers[1].

Or, puisque, dans notre organisation économique actuelle, le travail n’est qu’une marchandise comme une autre qui, sous le nom de main-d’œuvre, se vend et s’achète sur le marché (on dit plutôt se loue, mais cette dénomination qui a une grande importance au point de vue juridique, n’en a aucune au point de vue économique), il paraît évident que le prix de la main-d’œuvre doit être déterminé par les mêmes lois que celles qui régissent le prix de n’importe quelle marchandise, lois que nous avons étudiées à propos de la valeur et qui se résument dans la formule vulgaire de l’offre et de la demande ou dans la traduction vive et pittoresque qu’en a donné Cobden : « Les salaires haussent toutes les fois que deux patrons courent après un ouvrier ils baissent toutes les fois que deux ouvriers courent après un patron ».

Cependant de même que cette formule de l’offre et de la demande a été jugée trop vague et trop incorrecte comme loi des valeurs, de même aussi les économistes l’ont jugée insuffisante comme loi des salaires et se sont évertués à chercher quelque formule plus précise.

On en a proposé trois dont chacune a été célèbre à son tour et dont chacune, à ce jour encore, compte des partisans. Exposons-les successivement.


§ 1. — Théorie du fonds des salaires.


Cette théorie a été longtemps classique en Angleterre, ce qui fait qu’on la désigne généralement par le terme anglais de wage-fund qui est précisément ce que nous traduisons par « le fonds du salaire ». Elle a tenu une place considérable dans l’histoire des doctrines économiques.

C’est celle qui se rapproche le plus de la formule de l’offre et de la demande et elle s’applique seulement à la préciser.

L’offre, dit-elle, ce sont les ouvriers, les prolétaires, qui cherchent de l’ouvrage pour gagner leur vie et qui offrent leurs bras. La demande, ce sont les capitaux qui cherchent un placement ; nous savons en effet qu’il n’existe pas d’autre moyen de donner un emploi productif à un capital que de le consacrer à faire travailler des ouvriers. C’est le rapport entre ces deux éléments qui déterminera le taux des salaires.

Prenez le capital circulant d’un pays (que les économistes anglais appelaient le wage-fund, parce que dans leur pensée il avait pour fonction d’entretenir les travailleurs au cours de leur travail). Prenez ensuite le nombre de travailleurs. Divisez le premier chiffre par le second, et le quotient vous donnera tout de suite le montant du salaire. Soit 10 milliards le capital circulant, 10 millions le nombre des travailleurs et vous, aurez tout juste 1.000 fr. pour le salaire annuel moyen.

Il est clair que, d’après cette théorie, le salaire ne peut varier qu’autant que l’un des deux facteurs variera. Une hausse de salaire n’est donc possible que dans les deux cas suivants :

1° Si le wage-fund, c’est-à-dire la masse à partager, le dividende, vient à augmenter : — et il ne peut augmenter que par l’épargne ;

2° Si la population ouvrière, c’est-à-dire le diviseur, diminue : — et il ne peut diminuer qu’autant que les ouvriers mettent en application les principes de Malthus, soit en s’abstenant de se marier, soit en n’ayant que peu d’enfants[2].

Cette théorie est assurément fort décourageante pour la classe ouvrière. Elle implique en effet que le diviseur (c’est-à-dire le chiffre de la population ouvrière) tend à s’accroître beaucoup plus rapidement que le dividende (c’est-à-dire le capital disponible), d’où il résulte nécessairement que le quotient (c’est-à-dire le salaire) doit tendre à diminuer jusqu’à ce qu’il se soit abaissé à ce minimum au-dessous duquel il ne peut plus descendre. Et la raison en est évidente, c’est que la production des enfants est beaucoup plus aisée que celle des capitaux, car celle-ci suppose l’abstinence, et celle-là précisément le contraire ! La population se multiplie d’elle-même, mais non pas le capital.

Cette théorie, quoique encore défendue par certains économistes, est aujourd’hui assez discréditée et à juste titre, pensons nous.

D’abord le fait sur lequel elle s’appuie, à savoir qu’il faut une certaine quantité de capital circulant pour pouvoir faire travailler des ouvriers, n’a d’intérêt qu’au point de vue de la production et nullement de la répartition. Autre chose est la question de savoir si un entrepreneur aura de quoi faire travailler des ouvriers autre chose est de savoir quelle est la part qu’il pourra leur donner. La réponse à la première question dépend de ce qu’if possède la réponse à la seconde dépend de ce qu’il produira. La demande des bras dépend de l’activité industrielle et cette activité dépend à son tour des espérances des entrepreneurs plutôt que de la somme de leurs capitaux.

De plus la prétendue précision de cette théorie n’est qu’un leurre. En fin de compte quand on la serre de près, elle se réduit à ceci : que le taux des salaires s’obtient en divisant le total des sommes distribuées en salaires par le nombre des salariés, ce qui est une simple tautologie… Ou, si on veut lui donner le sens le plus raisonnable, elle signifie que les salaires sont d’autant plus élevés que la richesse d’un pays est plus grande, proposition assez banale pour se passer de toute démonstration.


§ 2. — Théorie de la loi d’airain.


Cette théorie prend également pour point de départ ce fait que la main-d’œuvre, la puissance de travail, dans l’organisation actuelle de nos sociétés, n’est qu’une marchandise qui se vend et s’achète sur le marché. Ce sont les ouvriers qui sont vendeurs, ce sont les patrons qui sont acheteurs. Or, partout où la concurrence peut librement s’exercer, n’est-ce pas une loi commune à toutes les marchandises que leur valeur se règle sur leur coût de production ? C’est là ce que les économistes appellent le prix naturel ou la valeur normale. Donc il doit en être de même de cette marchandise qu’on appelle la main-d’œuvre. Pour elle aussi le prix, c’est-à-dire le salaire, est déterminé par le coût de production[3].

Reste à savoir ce qu’il faut entendre par ces mots de coût de production appliqués à la personne du travailleur.

Prenons pour exemple une machine. Les frais de production sont représentés : 1° par la valeur de la houille qu’elle consomme ; 2° par la prime qu’il faut mettre de coté annuellement pour l’amortir, c’est-à-dire pour la remplacer par une autre quand elle sera hors de service. De même aussi le coût de production du travail sera représenté : 1° par la valeur des subsistances que doit consommer l’ouvrier pour se maintenir en état de produire ; 2° par la prime d’amortissement nécessaire pour remplacer ce travailleur quand il sera hors de service, c’est-à-dire pour élever un enfant d’ouvrier jusqu’à l’âge adulte.

Voilà comment le salaire doit nécessairement se réduire au minimum strictement nécessaire pour permettre à un travailleur de vivre, lui et sa famille, ou, d’une façon plus générale, pour permettre à la population ouvrière de s’entretenir et de se perpétuer.

Telle est la théorie généralement connue sous le nom de Loi d’airain. Ce nom sonore, trouvé par Lassalle, a longtemps fait fortune ; pendant trente ans il a retenti comme le refrain d’une Marseillaise socialiste et a servi à attiser les haines sociales en démontrant aux ouvriers que l’organisation économique ne leur laissait aucune chance d’amélioration de leur sort. Mais bien que ce soit l’école collectiviste qui ait baptisé cette théorie et qui lui ait donné un grand retentissement, c’est l’école classique qui l’a formulée tout d’abord. C’est Turgot qui, le premier, a déclaré « qu’en tout genre de travail le salaire de l’ouvrier devait s’abaisser à un niveau déterminé uniquement par les nécessités de l’existence ». Et J.-B. Say et Ricardo se sont exprimés dans des termes à peu près identiques on le leur a assez reproché depuis !

Cette théorie est abandonnée aujourd’hui. Non seulement l’école libérale, du jour où elle s’est aperçue des conséquences qu’on en tirait, l’a énergiquement désavouée, mais les collectivistes eux-mêmes, notamment Liebknecht au congrès de Halle en 1890, l’ont formellement reniée[4].

En effet, si on prend la formule au pied de la lettre, en entendant par là que le salaire ne peut jamais s’élever au-dessus de ce qui est matériellement indispensable à l’ouvrier pour vivre en ce cas elle est beaucoup trop pessimiste et manifestement contraire aux faits. Les besoins de la vie purement animale sont peu de chose pour l’homme le paysan irlandais et même le paysan français loin des villes, vivent de rien. Si donc ce minimum indispensable pour entretenir l’existence physique constituait la règle de fer des salaires, que de faits qui seraient inexplicables !

Pourquoi le taux des salaires n’est-il pas le même dans tous les métiers ? Est-ce qu’un ouvrier graveur ou mécanicien aurait besoin de consommer un plus grand nombre de grammes d’azote ou de carbone qu’un simple manœuvre ?

Pourquoi les salaires sont-ils plus élevés en France qu’en Allemagne ou aux États-Unis qu’en Angleterre ? Y a-t-il quelque raison physiologique pour qu’un Français soit obligé de manger plus qu’un Allemand, ou un Américain plus qu’un Anglais, ceux-ci surtout étant de même race ?

Pourquoi les salaires sont-ils plus élevés aujourd’hui qu’il y a un siècle, ce qui est pourtant un fait indéniable. Avons-nous un plus fort appétit que nos pères ?

Pourquoi les salaires des ouvriers de campagne sont-ils moindres en hiver, alors qu’ils sont obligés de dépenser davantage pour se chauffer et se vêtir, et plus élevés en été justement dans la saison qui, par les facilités de vivre qu’elle offre aux pauvres gens, mérite d’être appelée, comme a dit Victor Hugo, « la saison du pauvre » ?

Si au contraire on prend la formule dans un sens large, s’il ne s’agit plus de compter le nombre de grammes de carbone ou d’azote indispensables pour entretenir la vie purement animale, mais simplement du minimum nécessaire pour satisfaire aux besoins complexes de l’homme vivant dans un milieu civilisé, minimum variable d’ailleurs suivant le degré de civilisation de ce milieu, si on veut dire que le salaire de l’ouvrier se règle sur les habitudes et le genre de vie de la classe ouvrière, sur l’ensemble des besoins physiques ou sociaux, naturels ou artificiels, qui caractérisent le milieu dans lequel il est appelé à vivre et que les Anglais appellent standard of life, si on accorde que ce niveau, au lieu d’être « de fer », est en réalité élastique, mobile, variable suivant la race, le climat, l’époque, qu’il tend à s’élever sans cesse et nécessairement au fur et à mesure que se multiplient les besoins, les désirs, les exigences des hommes civilisés, — en ce cas la formule devient beaucoup plus accommodante, mais aussi presque trop optimiste et promet plus qu’il n’est permis d’espérer il ne faut plus l’appeler la loi d’airain, mais comme on l’a dit avec esprit, la « loi d’or » des salaires[5].

§ 3. — Théorie de la productivité du travail.

Une troisième théorie, tout en appliquant comme la précédente les lois de la valeur au salaire, arrive pourtant à des conclusions tout à fait opposées et aussi optimistes que les précédentes sont pessimistes[6].

Et voici comment-elle raisonne :

La valeur du travail, dit-elle, ne peut être assimilée à la valeur d’une marchandise soumise uniquement à la loi de l’offre et de la demande sous l’action de la concurrence. Le travailleur n’est pas une marchandise quelconque : il est un instrument de production. Or la valeur d’un instrument de production dépend de la productivité de cet instrument. Quand un entrepreneur loue une terre, le taux du fermage qu’il paie n’est-il pas calculé uniquement d’après la productivité de cette terre ? pourquoi, quand il loue le travail, le taux du salaire ne serait-il pas en raison de la productivité de ce travail ?

Elle ne prétend pas sans doute que le salaire est égal à la valeur intégrale produite par l’entreprise — ce serait impossible, puisqu’en ce cas le patron ne gagnant rien ne ferait plus travailler — mais elle prétend que l’ouvrier touche sous forme de salaire tout ce qui reste sur le produit total, déduction faite des parts afférentes aux autres collaborateurs (intérêt, profit, rente) et qui seraient strictement définies tandis que la sienne aurait l’avantage d’être indéfinie[7]. Le salarié serait en quelque sorte, vis-à-vis de ses copartageants, dans la même situation que le légataire universel vis-à-vis des légataires à titre particulier.

Si cette théorie était fondée, elle serait aussi encourageante que les précédentes étaient désespérantes. Si en effet le taux des salaires dépend seulement de la productivité du travail de l’ouvrier, le sort de celui-ci est entre ses mains. Plus il produira, plus il gagnera tout ce qui est de nature à accroître et à perfectionner son activité productrice, développement physique, vertus morales, instruction professionnelle, inventions et machines, doit accroître infailliblement son salaire.

Il faut remarquer même que, dans cette théorie, le contrat de salaire serait plus avantageux pour le salarié que le contrat d’association ou la participation aux bénéfices, car c’est l’ouvrier qui profiterait seul de tout l’accroissement dans la productivité du travail ! Les autres collaborateurs ne toucheraient qu’une part fixe et plutôt décroissante.

Malheureusement il suffit d’énumérer ces conséquences pour démontrer à quel point une semblable théorie paraît peu justifiée par les faits. Que la productivité du travail exerce une influence sur le taux des salaires en ce sens qu’en accroissant la richesse générale du pays, elle accroît la masse à partager et par là finit nécessairement par accroître aussi la part de tous les copartageants, y compris cette des ouvriers, — qu’elle exerce aussi une influence différentielle sur le taux des salaires en ce sens que toutes les fois qu’un certain travail est plus productif, il doit être plus payé, c’est ce qu’on peut admettre sans peine ; mais cette théorie laisse dans l’ombre un des éléments les plus essentiels, l’abondance ou la rareté de la main-d’œuvre, dont l’effet est le plus souvent prépondérant. Voyez les États-Unis : la productivité du travail s’est énormément accrue depuis vingt ans : pourtant le taux du salaire y a plutôt baissé. Pourquoi ? parce que le nombre des prolétaires a considérablement augmenté tant par suite de l’immigration des travailleurs étrangers que par suite de l’appropriation des terres disponibles, et de là viennent justement les mesures législatives réclamées et obtenues non seulement contre l’immigration chinoise, mais contre l’immigration européenne.


Aujourd’hui les économistes renoncent généralement à découvrir cette fameuse formule qui résumerait la loi du salaire. Les causes qui agissent sur le taux des salaires sont trop complexes pour se laisser emprisonner dans une formule unique[8]. Et d’ailleurs aux causes purement économiques viennent s’ajouter aujourd’hui nombre d’autres causes — les unes morales, telles que l’opinion publique, la menace des grèves, surtout le sentiment grandissant qu’acquiert l’ouvrier de ses droits et de son importance sociale ; — les autres légales, par l’intervention du gouvernement ou du législateur[9].


    que d’une façon insignifiante — de même aussi il existe un taux général des salaires pour tout genre de travail et qui s’impose aussi bien aux patrons qu’aux ouvriers.
    Toutefois, il semble bien qu’il y ait non point un, mais autant de taux de salaires différents qu’il y a de métiers différents. Ce fait de l’inégalité des salaires est en effet très certain et a fait l’objet de pages intéressantes d’Adam Smith. Cependant ces inégalités de salaire peuvent généralement s’expliquer par une inégalité dans les risques et les désagréments spéciaux à certains métiers, ou par l’inégale durée de l’apprentissage, ou par l’inégale productivité du travail, ou par son degré d’intermittence ou de continuité, etc., en sorte que si l’on pouvait calculer exactement et éliminer tous ces éléments perturbateurs, on verrait que le taux du salaire est théoriquement le même dans tous les métiers. Et en effet sous un régime hypothétique de libre concurrence tous les métiers se valent, car sinon les individus s’empresseraient d’abandonner le méfier qui vaudrait moins pour embrasser celui qui vaudrait plus et cette désertion d’un côté, cette affluence de l’autre, rétabliraient l’égalité. En fait, comme cette libre concurrence n’existe point du tout, il y a de très grandes inégalités. Mais alors par « le taux courant du salaire », il faut entendre le salaire du travail le plus ordinaire, ce que les Anglais appellent unskilled labor.

  1. Et du reste il n’est pas exact de dire pour les salaires, pas plus que pour les prix, qu’ils sont fixés par des conventions particulières ; chacun sait au contraire que de même qu’il existe un cours général pour les marchandises — que le marchandage des parties ne saurait influencer
  2. C’est ce que déclare expressément Stuart Mill, l’économiste qui a le plus fortement développé cette doctrine (que d’ailleurs il a plus tard abandonnée) : « Les salaires dépendent du rapport qui existe entre le chiffre de la population laborieuse et le capital… et sous l’empire de la concurrence ils ne peuvent être affectés par aucune autre cause ».
    Et naturellement sa conclusion est celle-ci « Il n’y a pas d’autre sauvegarde pour les salariés que la restriction des progrès de la population ».
  3. « Comme le prix de toutes les autres marchandises, le prix du travail est déterminé par les rapports de l’offre et de la demande. Mais qu’est-ce qui détermine le prix du marché de chaque marchandise ou la moyenne du rapport de l’offre et de la demande d’un article quelconque ? — Les frais nécessaires à sa production ». (Lassalle, Bastiat-Schulze-Delitzsch, ch. IV).
  4. Néanmoins les collectivistes persistent à affirmer que les salaires sont réduits à un minimum, mais la raison qu’ils en donnent maintenant est différente et plus forte. C’est, disent-ils, l’existence permanente d’un contingent d’ouvriers sans travail, prêts à se vendre pour n’importe quel prix, qui pèse sur le marché du travail et empêche toute hausse durable des salaires. Ceci nous ramène donc à la loi de l’offre et de la demande.
  5. Si nous avions demandé, par exemple, aux disciples de Lassalle pourquoi les salaires des journaliers de nos campagnes qui, autrefois, ne leur permettaient que de manger du pain noir et de porter des sabots, se sont assez élevés de nos jours pour leur permettre de manger du pain blanc et de porter des souliers ? ils nous auraient répondu « C’est précisément parce qu’ils ont pris de nouveaux besoins et de nouvelles habitudes que leurs salaires se sont accrus ». Très bien, mais en ce cas, du jour où ils prendront l’habitude de manger de la viande avec leur pain et de porter des gilets de flanelle sous leur veste, vous devez tenir pour certain que leur salaire s’élèvera assez pour leur permettre de satisfaire à ces nouveaux besoins. Or que peut-on désirer de mieux ? Ce n’est plus le salaire de l’ouvrier qui réglera son ordinaire c’est au contraire, son ordinaire qui réglera son salaire. Radieuse perspective ! C’est sous ce jour optimiste que la loi d’airain a été présentée notamment par l’américain Gunton dans Wealth and progress.
  6. Celle-ci est de date plus récente. Elle a été enseignée d’abord par l’américain Fr. Walker dans son livre The Wages Question. Elle a été adoptée par l’économiste anglais Stanley Jevons. Trois de nos collègues, MM. Beauregard, Chevallier et Villey, dans trois ouvrages qu’ils ont publiés simultanément sur les salaires, et qui ont été couronnés tous les trois par l’Institut, s’y sont ralliés également avec quelques variantes.
  7. C’est ce que dit en propres termes Stanley Jevons « Le salaire du travailleur finit toujours par coïncider avec le produit de son travail, déduction faite de la rente, des impôts et de l’intérêt ».
  8. M. Levasseur énumère cinq causes dans l’établissement du salaire : 1° La productivité du travail ; 2° Le degré de richesse du pays ; 3° Le rapport existant entre le nombre des ouvriers et celui des emplois ; 4° Le coût de la vie ; 5° La coutume, les mœurs, les institutions (La théorie du salaire. — Journal des Économistes, janvier 1888). Les quatre premières causes correspondent évidemment à celles déjà exprimées dans les formules que nous venons d’analyser mais que l’auteur admet simultanément. Quant à la dernière, elle pourrait se traduire par un et cætera.
  9. On demande aujourd’hui au législateur d’agir sur le taux des salaires en fixant un minimum. Il paraît pratiquement absurde de forcer les patrons à donner un minimum de salaire à un ouvrier alors qu’on ne peut les forcer à prendre cet ouvrier mais le minimum de salaire a été essayé sur une assez grande échelle par des municipalités (en Belgique et en Angleterre) pour les travaux qu’elles mettent à l’adjudication : elles l’imposent alors à l’entrepreneur par le cahier des charges. Il est très justifiable en ce cas, et ce minimum une fois établi ne laisse pas que d’avoir une grande influence sur le taux des salaires entre particuliers.