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Principes de la science sociale/53

La bibliothèque libre.
Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (Tome 3p. 451-460).


CHAPITRE LIII.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.


Du commerce du monde.

§ 1. — Commerce du monde. Dans les sociétés, comme chez l’homme individuel, le pouvoir d’entretenir commerce est en raison de leur développement. — Il se complète à mesure que le pouvoir de coordination est exercé avec plus de prudence.

L’homme dont les facultés restent sans développement ne peut entretenir aucun commerce ; il n’a que peu d’idées et il a peu à communiquer par la parole ou la correspondance. Son pouvoir sur la nature est faible, et il a peu d’utilités à offrir en échange de celles dont il a besoin. L’homme de haut développement, — l’homme véritable, au contraire, peut avoir commerce avec la nature sous toutes ses formes, animées ou inanimées. Riche en idées, il est pleinement pourvu des moyens d’entretenir commerce avec ses semblables, — émettant les idées, à tel moment, au moyen de l’écriture ou de la parole ; les percevant, à un autre moment, par le sens de l’ouïe ou celui de la vue. Partout où il va, il trouve occasion d’augmenter son magasin de connaissances, — le pouvoir d’accumulation étant en ceci, comme dans tout, en raison directe de la vitesse de circulation.

Il en est de même pour les sociétés, — et leur faculté d’entretenir commerce avec le monde dépend à la fois du développement des diverses individualités de leurs membres et du développement qui s’ensuit des pouvoirs latents de la terre. Les communautés purement agricoles sont comme le pauvre : elles entretiennent des relations où la nécessité les y force, — celles qui ont atteint un haut degré de développement, au contraire, où elles veulent. Partout vous rencontrez la preuve de la vérité du grand principe général : que le pouvoir d’entretenir commerce est en raison directe de la perfection d’organisation, — laquelle acquiert son complément selon que le pouvoir de la coordination est exercé avec plus de discernement.

§ 2. — Les corps organiques s’accroissent à l’intérieur. La matière brute ne s’accroît que par aggrégation. Plus se perfectionne le développement des facultés humaines, plus s’élève le caractère de l’organisation sociétaire et plus se complète la self— dépendance, la faculté de compter sur soi-même. C’est le contraire qui se voit dans toutes les sociétés exclusivement agricoles.

Les corps organisés s’accroissent à l’intérieur ; et plus ils s’accroissent, plus augmente leur pouvoir d’absorber et digérer les éléments qui sont autour d’eux, — de les appliquer à leur entretien et ensuite de les rejeter sous la forme la plus apte à la circulation générale. Il en est ainsi pour les hommes, — l’homme de haut développement saisissant et digérant chaque idée nouvelle, et se préparant par là à plus de commerce avec ceux avec qui il est lié. Il en est ainsi pour les sociétés, — celles dans lesquelles le négoce, l’industrie et l’agriculture sont combinés en dues proportions, sont toujours prêtes à prendre dans les productions intellectuelles ou matérielles d’autres climats, — de quoi combiner avec les leurs propres, et donner ainsi une valeur nouvelle aux travaux de tous, soit au près, soit au loin.

La matière brute, au contraire, s’accroît à l’extérieur, — et ne le peut faire que par agrégation. Le cas se trouve aussi chez les hommes ; — ceux dont les facultés d’intellect sont dans la torpeur ne disposent que de leurs pouvoirs physiques d’appropriation, et n’ont pour instrument que leur force musculaire. Le cas est analogue aussi pour les communautés purement agricoles : — l’épuisement continu du sol produit une nécessité d’approprier d’autres terres pour être épuisées à leur tour.

S’accroissant à l’intérieur, les communautés de haute organisation trouvent en elles-mêmes tous les moyens nécessaires pour augmenter et développer leur commerce domestique. — Voyez la France et tous les pays qui marchent dans sa voie, construire leurs routes eux-mêmes, créer leurs propres centres locaux, et se préparer ainsi pour une existence prospère, alors même qu’ils viendraient à être sevrés de relations avec le monde extérieur. — Les communautés purement agricoles, au contraire, telles que l’Irlande, l’Inde, le Portugal, la Turquie, le Brésil et le Mexique sont dans la nécessité d’aller chercher au dehors qui leur construira des routes ; — elles tombent de plus en plus, chaque année, dans la dépendance du commerce étranger et des trafiquants étrangers qui l’exercent.

C’est aussi la situation des États-Unis. Autrefois leur politique avait visé au développement domestique ; ils avaient fait des routes, et créé des centres locaux, sans qu’il fût besoin de recourir à l’emprunt étranger. Ils ont adopté cependant une politique contraire et défavorable à l’accroissement intérieur ; ils en recueillent une nécessité de plus en plus urgente de s’adresser à l’étranger pour les moyens de faire leurs routes domestiques, — une dépendance plus grande du commerce étranger et des gens de trafic, — une soif continue pour l’annexion des terres éloignées.

§ 3. — Le pouvoir d’entretenir commerce à l’extérieur augmente à mesure que la communauté peut de plus en plus compter sur elle-même. Rapide accroissement de commerce dans les pays qui se protègent. Sa décadence dans ceux où n’existe pas la protection.

À mesure que se développe chez l’homme individuellement le pouvoir d’entretenir commerce extérieur, la nécessité de ce commerce diminue, — l’amour du logis se développe à mesure qu’augmentent les liens de famille et l’amour de la science et des livres. Il en est de même pour les sociétés : — la nécessité de relations extérieures devient moins urgente pour elles, à mesure que la faculté d’en entretenir tient à augmenter au moyen de la diversité des emplois et du développement des pouvoirs latents de leurs populations et de leurs différents sols. Partout, autour de nous nous trouvons l’évidence que les pouvoirs de l’homme sont en raison inverse de ses besoins, — les premiers augmentant à chaque pas vers l’accroissement de combinaison, les autres augmentant à chaque pas vers l’état d’isolement.

Cherchons des preuves à l’appui chez les communautés en progrès dans le passé ou dans le présent. La puissance d’Athènes augmente avec le développement de relations intérieures. Elle décline à mesure que le commerce domestique s’alanguit et que l’État tombe dans une dépendance plus complète de relations extérieures. — Le grand développement du commerce extérieur de l’Angleterre suit immédiatement le développement du commerce domestique — et ce dernier a dû son existence à un système protecteur du caractère le plus restrictif.—Le commerce extérieur de la France a presque quadruplé dans les trente années dernières, — il s’est élevé du chiffre de 1 milliard de francs, qui est le chiffre moyen d’une période de dix années finissant en 1835, au chiffre de 5 milliards en 1857[1].

Le commerce de la Russie, dans la période de libre échange qui finit en 1824, montait, nous l’avons vu, à 32 millions de dollars. Prenant un développement gradué par suite de mesures favorables au commerce domestique, il s’élevait, au début de la guerre de Grimée, à 75 millions de dollars.

Les exportations nationales de Belgique, en 1828, ne s’élevaient qu’à 156 millions de francs. En 1850, elles étaient de 263 millions, et en 1856, elles avaient atteint 375 millions ; — l’exportation de subsistances de ce petit pays, avec ses quatre millions et demi d’habitants, avait ainsi dépassé la moyenne de l’exportation américaine dans la décade qui finit en 1855, — qui comprend les famines en Irlande et les années de très-mauvaise récolte d’Allemagne et de France. La Belgique cependant suit le conseil d’Adam Smith, elle combine ses subsistances et sa laine sous forme de drap, qui peut voyager à meilleur marché le plus loin possible.

L’Espagne, toute pauvre que l’aient faite « la guerre » avec les contrebandiers de Gibraltar et des révolutions répétées, a élevé ses exportations du chiffre de 71 millions de réaux, en 1827, à celui de 166 millions en 1852. L’Allemagne, comme nous l’avons vu, a élevé sa demande de coton de moins de 400.000 quintaux qu’elle était en 1836, après de 1.400.000 en 1851, — Le total de ses importations dans la même période s’est élevé de 105 millions de dollars à 185 millions. — La Suède aussi a suivi la même direction, elle a exporté pour plus de 34 millions de dollars en 1853, au lieu de moins de 14 millions, chiffre de l’an 1831.

Ces pays nous fournissent la preuve que le développement de la faculté d’entretenir commerce avec le monde, suit le développement du commerce domestique, — le pouvoir de digestion et d’assimilation étant en raison directe de l’organisation.

Passant à l’Irlande, le Portugal, la Turquie, l’Inde et la Jamaïque, nous allons trouver l’inverse ; — la faculté d’entretenir commerce à l’extérieur s’éteint peu à peu à mesure que s’éteint le commerce domestique. Voyons le Mexique, le Pérou, Buenos-Ayres et les autres parties du continent oriental, que M. Canning se vantait d’avoir « appelés à la vie, » leur importance a diminué. — Il est probable qu’ils offrent au monde extérieur un débouché moindre que lorsqu’ils étaient de simples colonies de l’Espagne.

§ 4. — Limitation du commerce intérieur des États de l’Union américaine. Leur accroissement du pouvoir d’entretenir commerce étranger.

Rentrons chez nous et demandons-nous comment s’est développée, pour plus d’une trentaine d’États la faculté d’entretenir un commerce intérieur quelconque ? N’est-ce pas là une conséquence de la diversité dans les modes d’emplois, un résultat de ce fait qu’une partie du pays est propre à la culture du coton ou du sucre, et que d’autres le sont davantage à celle du blé, du riz, de l’orge ou des fourrages ; que sous tel sol se trouve la houille, et que d’autres recèlent le plomb ou le cuivre, la marne ou la chaux ? Qui en doute ? Sans diversité point de commerce, nous le voyons par le planteur de coton de la Caroline, qui ne fait point d’échanges avec les gens de Géorgie, planteurs comme lui ; par le fermier de l’Illinois qui a peu de relations avec les gens de l’Indiana, fermiers comme lui.

Cependant où en est le commerce entre les États ? Combien Kentucky échange-t-il avec Missouri ? à combien monte le commerce d’Ohio avec Indiana, — ou de Virginie avec Kentucky ? Il est probable que cela ne représente guère plus qu’une journée de travail de leurs populations respectives, peut-être même moitié moins. Pourquoi ? N’est-ce pas une conséquence nécessaire de l’absence de cette diversité d’emplois, au sein des États, qui, nous l’avons vu, par tout pays, est si nécessaire à l’entretien de commerce ? Certainement oui. Ohio et Indiana sont occupés tous les deux à gratter leur sol et à l’exporter sous forme de subsistances. Virginie et Kentucky se livrent à une occupation analogue, — ils vendent leur sol sons forme de tabac et de blé. C’est de même presque partout dans l’union : — des millions de bras s’emploient dans une partie à dérober à la terre les éléments constituants du coton ; tandis que, dans les autres parties, d’autres millions de bras s’emploient à dépouiller le grand trésor de la nature des constituants du blé, du riz et du tabac. Tous détruisent ainsi pour eux et pour les générations suivantes la faculté d’entretenir un commerce quelconque, — étranger ou domestique.

Le commerce d’État à État n’est donc que peu de chose, — par la raison que dans les États, en général, le commerce de l’homme avec ses semblables est excessivement borné. Supposez la population de l’Union devenue apte à développer ses ressources presque illimitées de houille et de minerai de fer, et ainsi à appeler à son aide le merveilleux pouvoir de la vapeur, aussitôt le commerce intérieur de l’État prend un accroissement rapide, — il forme un marché domestique pour la subsistance produite, et le producteur devient un fort consommateur de tissus de coton. Les fabriques de cotonnades se fondent. Les balles de coton voyagent au Mississippi, pour s’échanger contre le fer nécessaire pour les chemins d’Arkansas et d’Alabama, et pour les machines que demandera la construction d’usines à coton dans Texas et Louisiane.

L’effet de ceci se manifeste dans le lent accroissement des relations américaines, comparé à ce qui a lieu chez d’autres nations. — L’accroissement a simplement marché du même pas que celui de la population ; tandis qu’en France, en Belgique, en Suède, il a marché trois fois plus vite que celui de la population[2]. Partout vous trouvez l’évidence de la grande vérité : que la faculté d’entretenir commerce avec le monde, soit pour les individus ou pour les sociétés, croît en raison du développement de leur individualité propre, et de l’indépendance du monde extérieur qui en est la suite.

§ 5. — L’obstacle au développement du commerce avec une population lointaine se trouve dans la taxe du transport. Le centre et le nord de l’Europe s’affranchissent par degrés de la nécessité de l’acquitter. Il s’ensuit un accroissement rapide des relations avec les pays éloignés. Augmentation de cette taxe dans tous les pays qui se guident sur l’Angleterre. La véritable liberté du commerce consiste à entretenir relation directe avec la monde extérieur. A cela s’oppose la centralisation, et de là vient la résistance qu’elle rencontre chez toutes les sociétés en progrès de l’Europe. La protection a pour objet d’établir la parfaite liberté de commerce sur tout le globe.

Ce sont là autant de faits qu’on ne peut révoquer en doute, À quelle cause les attribuer ? Cherchons. L’obstacle à l’entretien de commerce, étranger ou domestique, se trouve dans la taxe de transport — dont l’acquittement retombe presque en entier sur la communauté qui exporte les utilités les plus encombrantes[3]. La France expédie à l’étranger pour des centaines de millions de dollars de subsistances tellement condensées en soie, en rubans, en dentelles, en cotonnades, qu’il faut peu de navires pour le transport. L’Inde n’envoie que des denrées premières — qui exigent des douzaines de vaisseaux du dehors pour exportation, dont il faut payer le fret pour une simple cargaison d’importation. — L’Europe centrale et du Nord suivent la trace de la France. — Elles s’affranchissent d’elles-mêmes par degrés du payement de cette taxe épuisante, ce qui les met en état de devenir de forts consommateurs des produits des autres pays. L’Irlande, la Jamaïque, la Turquie et nos États-Unis — suivant la trace de l’Angleterre, — éprouvent au contraire que la taxe de transport va toujours en augmentant, d’où résulte affaiblissement de leur faculté de produire, suivi de l’affaiblissement de la faculté de devenir des acheteurs pour les autres pays[4].

Dans tous les pays qui suivent la trace de Colbert et celle d’Adam Smith, l’agriculture devient une science, la terre donne des récoltes plus considérables d’année en année, et il y a augmentation de richesse et de pouvoir[5]. Dans ceux qui suivent la trace de l’Angleterre et de ses économistes, c’est l’inverse : — l’agriculture cesse d’être une science, la population devient de plus en plus pauvre et plus esclave. Les premiers importent les métaux précieux, les autres les exportent. Les premiers trouvent de jour en jour fatalité accrue de maintenir une circulation en espèces comme la base de la circulation supérieure et meilleure que fournissent les banques. Les autres perdent graduellement le pouvoir de maintenir une circulation d’aucune sorte. — Ils tendent à ce barbare système de commerce qui consiste à échanger du travail contre des aliments, à troquer de la laine ou du blé contre du drap.

Plus le travail de l’individu a de valeur, et plus il a la faculté de devenir un acheteur pour ses voisins. C’est de même pour les nations, — leur pouvoir d’être utile aux autres étant en raison directe de leur aptitude à se protéger elles-mêmes. — Là nous avons harmonie, — toutes les communautés profitent de l’adoption, dans chacune d’elles, de ces mesures de coordination qui tendent à développer le commerce intérieur. C’est cependant le contraire qu’on enseigne dans l’école anglaise, où l’on regarde comme objet à désirer l’avilissement du prix du travail et des denrées premières, qui apporte avec lui la discorde universelle.

La liberté réelle du commerce consiste dans le pouvoir d’entretenir commerce direct avec toute partie du monde extérieur. On ne l’acquiert que par la diversité dans les emplois, — qui met le pays exportant en mesure d’envoyer ses utilités au dehors sous une forme achevée. La centralisation telle que l’a établie le système anglais y met opposition, et c’est ce qui le fait repousser par toutes les communautés qui sont en progrès. Comme la protection est la forme que revêt cette résistance, on peut définir son objet : établir la liberté parfaite de commerce parmi les nations du monde,

§ 6. — La fin dernière de toute production est l’homme véritable. Plus progresse son développement, plus il y a tendance à ce que le commerce de goût et d’intelligence se substitue à celui qui ne demande pour son maintien que la force brutale. Les centres locaux se multiplient et l’attraction locale augmente dans tous les pays qui se règlent sur l’enseignement de Colbert. Déclin de l’attraction locale dans ceux qui adoptent les doctrines de l’école anglaise. La paix et l’harmonie viennent avec l’exercice convenable du pouvoir de coordination. La subordination de toutes les parties devient plus complète à mesure que l’organisation sociétaire se perfectionne.

Plus une communauté donne la forme achevée à ses denrées premières, — en combinant ses subsistances, sa laine, son combustible et son minerai en drap et en fer, — plus augmente sa faculté de les échanger dans le monde entier. Est-ce là cependant le plus haut point où puisse être porté le commerce ? Non. — L’objet final de tout effort humain étant de produire l'être que l'on appelle homme, capable des aspirations les plus élevées.

Plus se perfectionne son développement, plus s'accroît son désir de connaître, — plus s'accroît son amour de littérature et d'art, plus il a désir d'être initié aux mouvements du monde et d'apprendre de ceux qui sont capables d'enseigner. Chaque pas fait vers la diversité d'emplois tend au développement des facultés humaines, tend à approprier l'homme pour les jouissances supérieures de la vie ; à élever le caractère de ses demandes pour d'autres utilités, — les produits de l'intelligence, du goût, de la science succèdent à ceux qui avaient exigé quelque peu au-delà de la simple force musculaire.

Jetons les yeux sur l'Europe du nord et du centre. — Ces pays, qui suivent la trace de Colbert, nous les voyons tous occupés à augmenter les attractions de leurs centres locaux respectifs. — Prusse et Bavière, France et Belgique, Suède et Danemark rivalisent dans leurs efforts pour rendre leurs diverses capitales, tant grandes que petites, un séjour qui attire le goût, l'intellect et la richesse du monde entier.

Regardons maintenant ceux qui suivent la trace de l'Angleterre, c'est l'inverse. — Édimbourg et Dublin, Lima et Delhi, Lisbonne et Constantinople perdent de leurs attractions d'année en année. — C'est de même aux États-Unis, — les attractions des centres locaux vont diminuant constamment ; il y a augmentation correspondante de l'absentéisme et de la croyance dans l'origine divine de l'esclavage et dans la nécessité qu'il continue.

Examinons n'importe où, nous trouverons partout l'évidence de l'harmonie parfaite de tous les intérêts internationaux réels et permanents, — paix et commerce marchant d'un pas constant avec cet exercice du pouvoir de coordination qui vise à écarter les obstacles à la combinaison, et à la création de centres locaux d'action où négoce, industrie et agriculture sont combinés en de justes proportions. En marchant dans cette direction, l'organisation sociétaire du monde entier se met de plus en plus en harmonie avec les arrangements du monde physique et avec l'organisation de l'homme lui-même, — la subordination de toutes les parties devenant plus complète et l'organisation plus parfaite. Guerre et discorde, en compagnie de l'insubordination et de la ruine du commerce viennent sur la trace de la centralisation. — C’est la direction dans laquelle nous devons chercher les faits qu’on apporterait en preuve de la maladie d’excès de population[6].

  1. L’augmentation du total des exportations et importations de la France a été en dollars :
    1825 à 1833.   163.953.000 dollars.
    1844 à 1846. 350.000.000
    1852 et 1853. 477.000.000
    1857. 1.065.000.000

    Depuis qu’on a complété les relations par chemins de fer avec la Belgique, la Prusse, l’Allemagne et la Suisse, la France a attiré une grande partie du commerce de l’Océan avec l’intérieur de l’Europe, le détournant de ses anciens canaux, l’Angleterre et la Hollande. Ainsi le système qui vise au développement intérieur tend à l’emporter sur celui des deux pays de l’Europe qui ne visent qu’au négoce exclusivement.
      Pour montrer comment le commerce domestique et le commerce étranger s’aident réciproquement, et quel développement extraordinaire prend le pouvoir qui résulte de leur action rendue plus efficace par la combinaison, nous citerons le passage d’un mémoire lu à une réunion de la société anglaise pour les progrès de la science, qui s’est tenue dernièrement à Leeds.
      « On peut calculer que, pendant ces six années, pour les chemins de fer seulement, il s’est dépensé en France près de trente millions de livres sterling par année, — c’est à peu près autant qu’il en a fallu pour nos difficultés de chemins de fer. Puis est venue la guerre de Russie, la récolte de soie a manqué, et il y a eu deux récoltes insuffisantes de céréales. Comment alors a-t-on fait face à toute cette dépense ?… l’explication réelle, la voici : les rapports officiels ont montré que depuis 1845, 1a balance du commerce a été de beaucoup plus que cent millions sterling en faveur de la France, — la demande pour articles de France étant venue des États Unis, de l’Australie, par suite des découvertes de l’or. »

  2. Les exportations domestiques des États-Unis
    pour 1836 montaient à
    107.000.000 dollars.
    Celles de 1856 (en dehors des métaux précieux,
    montaient à
    265.000.000.

      — La population, en même temps, avait complètement doublé. Quoique voisins de l’Amérique espagnole et portugaise, les exportations pour ces vastes pays ne montent qu’à 13 millions de dollars, — la cause en est dans le fait que la population des États-Unis se refuse à regarder le commerce domestique comme la véritable base d’un commerce international étendu.

  3. Voy. précéd., p. 429.
  4. Le poids de la taxe ainsi imposée augmente à mesure que s’abaissent les prix des denrées premières. Nous avons tu dans un précédent chapitre (ch. XXV), que ceux des utilités américaines s’abaissent. Voici ce qui en résulte pour les fermiers et planteurs. En 1834-5, lorsqu’on exportait en denrées premières pour 92 millions de dollars, le tonnage des navires nationaux et étrangers qui chargeaient pour les ports étrangers était de 2.030.000 tonneaux. Six ans après, en 1840-1, l’exportation était de 98.000.000 dollars, et le tonnage des vaisseaux chargés pour l’étranger était de 2.353.000 tonneaux. En 1856, la valeur totale d’exportations était 230.000.000 dollars, le tonnage pour l’étranger montait à un peu moins de 7.000.000 tonneaux, — l’augmentation de valeur en vingt ans n’avait été que de 150 %, tandis que l’augmentation du tonnage avait été très-peu au-dessous de 350 %.
  5. Pour qui a lu les écrits d’Adam Smith, sa préférence pour le commerce domestique sur le commerce étranger est bien connue. Chaque acte de commerce se composant de deux demandes de service humain, il a vu clairement que plus les parties seront voisines l’une de l’autre, plus se multiplieront les demandes de services, et plus considérable sera la production. Aussi affirme-t-il « que le capital employé dans le négoce domestique donne vingt-quatre fois plus d’encouragement et de soutien à l’industrie du pays » que n’en donnerait la même somme dans le commerce étranger. — Wealth of Nations, Book II, ch. v.
  6. Qu’il y a avantage à poursuivre une honnête politique internationale, et désavantage à en poursuivre une déshonnête, c’est ce que prouve le commerce avec la Chine pendant les trente dernières années. La guerre de l’opium s’est terminée par un traité qui, a ouvert certains ports de la Chine. Voici queue a été depuis Ion la marche du commerce, avec ce qu’elle était auparavant.
    Exportations anglaises avant la guerre.
    _________ Liv. st.
    1834 842.852
    1835 1.074.708
    1836 1.326.388
    1838 1.204.356

      La période qui a suivi l’ouverture du marché en 1842, et l’acquisition de Hong-Kong donne les chiffres suivants :

    _________ Liv. st.
    1845 2.359.000
    1846 1.200.000
    1848 1.445.950
    1852 2.508.599
    1853 1.749.597
    1854 1.000.716
    1855 1.122.241

      Les journalistes anglais cherchent à expliquer le caractère stationnaire du négoce, en prouvant la difficulté de soutenir la concurrence avec l’Amérique pour les cotonnades, et avec l’Allemagne et la Russie pour les lainages. On ne pourrait fournir un argument plus fort en faveur de la protection, — puisque les manufactures de ces deux pays ont dû leur existence à des mesures protectrices du caractère le plus énergique, et que le pouvoir de faire concurrence pour la vente d’étoffes dans d’autres pays fournit une preuve concluante du bon marché auquel les hommes qui produisent le coton et la laine les ont obtenus chez eux.