Aller au contenu

Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/5

La bibliothèque libre.

Séance du 23 Janvier 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


MM. le sous-préfet et le président du tribunal de première instance assistent à la séance.

M. Auguste Guibal, ancien sous-préfet, lit un mémoire sur la formation des langues méridionales de l’Europe.


Le latin est-il entré dans la constitution du Français, de l’Italien et de l’Espagnol, ou bien, ces langues doivent-elles leur première origine à un idiome contemporain parlé par les classes inférieures ? Cette question a été longtemps controversée. En Italie, Leonardo Bruni d’Arezzo, le cardinal Bembo et Maffei ont soutenu par de nombreuses preuves et de savantes inductions, l’opinion qui attribue aux Romains deux langues. Muratori au contraire, démontre, par de nombreuses citations, qu’après l’invasion, les barbares apprirent la langue des vaincus à laquelle ils mêlèrent les formes de leurs idiômes, et que de cette fusion s’est formé peu à peu l’Italien. Le savant Tiraboski a donné par ses travaux une nouvelle force à ces démonstrations.

Si le latin avait eu à ses côtés, en Italie, une langue vulgaire, on en trouverait des traces dans des inscriptions ou des écrits. Or, si l’on peut citer des formes particulières appartenant à la province, ces formes sont des corruptions qui résultent naturellement de l’ignorance, ou de l’éloignement de Rome. Elles ne constituent nullement une langue à part. Herculanum et Pompéie, dans les inscriptions diverses retrouvées de nos jours, n’ont pas offert un seul mot qui n’appartienne à la langue de Cicéron.

L’origine de l’Italien est plus moderne. Au xiiie siècle, lorsque les troubadours et les trouvères sont en France dans tout leur éclat, Dante, avant d’écrire son immortel poème, hésite entre le toscan et le latin. Les monuments littéraires qui le précèdent, portent l’empreinte très-marquée, mais de plus en plus affaiblie, de la vieille langue de Rome, que l’Église conservait dans tout son éclat et parlait dans toute sa pureté.

Dans les limites de notre France d’aujourd’hui habitaient deux peuples : les Ibères et les Gaulois. Il résulte des travaux du savant Bullet et de Guillaume Humbolt, qui ont cherché à reconstituer la carte de la Gaule, au moyen des descriptions étymologiques des villes, rivières et montagnes, que des mots celtes et ibériens, en grand nombre, terminent, encore aujourd’hui bien des désignations géographiques.

Il existait donc en Gaule une langue différente de celle que parlaient les conquérants. Rome imposa le latin pour les affaires publiques, pour les rapports judiciaires. L’intérêt d’abord, la nécessité ensuite établirent une domination qui était dans la politique de Rome. Un peuple qui perd sa langue voit disparaître un des derniers caractères de sa nationalité. L’Église, plus tard, se servit de ce moyen pour apporter la lumière et la civilisation à la Gaule. Saint-Pothin, Saint-Irénée, Saint-Paulin, Saint-Martin, Sulpice Sévère, Saint-Hilaire de Poitiers ont écrit en latin. S’il avait existé alors une langue vulgaire généralement répandue, ils l’auraient certainement employée. Sidoine Apollinaire, pour mettre fin à des divisions, élevées dans l’Église de Bourges, harangua le peuple en latin. Nous avons son discours. La langue des vainqueurs s’était, donc superposée à celle des vaincus. Celle-ci n’avait pas disparu entièrement. Elle manifestait son existence en se mêlant au latin par des mots et des tournures, et en préparant cette confusion que devait rendre plus profonde l’accession des dialectes germaniques.

Dès les premières invasions, l’influence est sensible. Les monuments du ve au viiie siècle offrent un mélange informe d’où l’unité ne devait se dégager que péniblement et à la longue. Au ixe siècle, la langue vulgaire n’est plus le latin ; elle n’est pas encore le roman. Le latin devient la langue savante. Elle est parlée dans les cloîtres qui conservent pieusement et multiplient les chefs-d’œuvre de son génie. Elle est ignorée ailleurs. L’historien Richer constate qu’en 981, le duc Hugues-Capet n’entendait pas le latin.

C’est entre le ixe et le xiiie siècle que la langue vulgaire se développe, s’épure, reçoit l’article et les verbes auxiliaires, obéit à une syntaxe, à des règles sûres, et s’élève jusqu’à la poésie. C’est l’époque des troubadours et des trouvères. Le Nord et le Midi sont en présence. La royauté était depuis longtemps constituée. Elle résidait à Paris ; la cour parlait la langue des trouvères. La France entière la subit ou l’accepta. François Ier brisa les dernières résistances par l’édit qui proscrivit le latin dans les actes publics et les jugements.

De grands génies ont depuis consacré cette langue. Ils s’en sont servis comme d’un instrument docile : ils lui ont donné tous les tons, tous les caractères : ils l’ont rendue la première des langues par les chefs-d’œuvre dont ils l’ont dotée. L’ont-ils fixée d’une manière définitive ? C’est aux bons et utiles écrits, dit Montaigne en parlant du langage, à le clouer à eux. Notre littérature est, sous ce rapport, assez riche pour que nous puissions considérer la question comme jugée.


M. Maurice de Barrau communique une note sur les deux plus anciennes grammaires françaises connues.

Les études sur les langues, et en particulier sur les origines de notre langue nationale, ont pris dans ces dernières années une grande importance. On est remonté jusqu’aux écrivains des premiers temps. On les a consultés, non pas sans doute par rapport à leur valeur littéraire, mais comme des témoignages de l’état et des ressources de la langue au moment où paraissaient leurs ouvrages. Par des rapprochements habilement faits, on est parvenu à établir des théories et à constater l’existence de règles non encore formulées peut-être, mais reconnues et acceptées. La grammaire n’est venue que plus tard. Il en est du reste ainsi pour toutes les productions de l’esprit, quelle que soit leur nature. La pratique précède la théorie ; les modèles paraissent avant les règles dont ils sont l’application.

Ainsi, la première grammaire française formant un corps de doctrine est de 1531. À cette époque déjà, notre poésie avait produit plusieurs de ces pièces de peu d’étendue qui reçoivent aujourd’hui de leur antiquité, comme une nouvelle saveur et une plus vive délicatesse. Nos chroniqueurs avaient publié des ouvrages importants que les historiens de nos jours apprécient pour leur mérite intrinsèque, et que les amis de notre vieil idiome admirent pour leur inépuisable richesse, et leur énergique naïveté. Il n’y avait pourtant pas encore de grammaire ; car il n’est pas possible de donner ce nom à des observations isolées, à des études superficielles, à des rapprochements puérils. Une grammaire, d’ailleurs, ne peut être composée d’une manière solide et durable, que si elle repose sur des travaux comparés, et si elle demande son autorité à des exemples déjà consacrés par une admiration générale et un long usage.

C’est à un anglais, natif de Londres, gradué à Paris, que nous devons la première grammaire française. Il s’appelait maistre Jehan Palsgrave. Son livre est intitulé : l’Esclaircissement de la langue Françoyse. Il a paru en 1531, et a été fait pour la princesse Marie sœur de Henri VIII. Richard Puison en avait commencé l’impression, qui fut achevée par Jean Haussuis. L’édition en était devenue très-rare. M. Génin en a fait une publication nouvelle en 1851, d’après un exemplaire trouvé à la bibliothèque Mazarine.

La seconde grammaire a été découverte à Oxford, dans la bibliothèque Bodléienne. Écrite en 1527, pour la princesse Marie, fille de Henri VIII, plus tard reine d’Angleterre, elle fut publiée dans les années 1532 et 1533.

Ces deux grammaires, quoique fort imparfaites, ont un double mérite. Aux yeux des antiquaires, l’édition originale, fort rare, a un grand prix. Aux yeux des hommes studieux qui s’appliquent à remonter aux origines, afin de se rendre un compte exact des progrès, et de les suivre pas à pas, elles sont les deux premiers anneaux d’une chaîne qui arrive sans interruption jusqu’à nos jours, et que côtoient des modèles de toute sorte.


M. Tillol, professeur au collége, lit une note sur l’importance de la météorologie.

Cette science a été regardée trop longtemps comme uniquement spéculative. On s’en occupait pour se rendre compte des causes des phénomènes, sans songer à réunir en faisceau les divers renseignements recueillis. Il en est résulté un corps de doctrines appuyées de preuves, la découverte de plusieurs lois, une série d’observations rapprochées et comparées. On croit aujourd’hui qu’il pourrait être utile de faire à des heures déterminées, et sur plusieurs points à la fois, des études sur l’état de l’atmosphère et sur les météores qui s’y produisent. C’est dans ce but que des rapports sont transmis tous les jours à Paris, où ils sont concentrés et publiés. Il résultera incontestablement de cet ensemble d’observations, une détermination à peu près exacte, — car les accidents sont nombreux, — des conditions atmosphériques sous lesquelles se trouvent placés les différents points du territoire. Quoique la prévoyance humaine se brise impuissante contre les phénomènes de la nature, qu’elle ne peut ni provoquer, ni arrêter, il est pourtant des cas dans lesquels des indications peuvent être utilement communiquées.

M. Tillol croit qu’il ne serait pas difficile d’établir à Castres un observatoire où des études pourraient être faites en commun. Sans doute, quelques personnes relèvent depuis plusieurs années avec un soin scrupuleux et une attention patiente, les indications du baromètre et du thermomètre. C’est quelque chose : mais ce n’est pas assez. En concentrant les efforts vers un même but, en partageant le travail, on arriverait certainement à compléter les indications de la science, pour ce qui regarde l’état ou les phénomènes atmosphériques de notre contrée. Il suffirait de peu d’instruments ; et, dans le cas où les dépenses ne pourraient pas être supportées par ceux qui mettraient leur temps à la disposition de la science, M. Tillol ne doute pas du concours et de l’aide du gouvernement pour un établissement qui répondrait si complètement à ses vues.


M. A. Combes donne lecture de la première partie d’une Étude agronomique et littéraire sur le P. Vanière, auteur du Prœdium rusticum.

Ce poème, en 16 livres, est à la fois une œuvre descriptive où la poésie conserve toute la franchise de son allure, et un traité où les méthodes d’agriculture sont indiquées, développées et jugées, de manière à offrir un double intérêt et une grande utilité. L’agriculture est une longue et quelquefois trop fidèle tradition. C’est pour ce motif, et, aussi parce que les traits de ressemblance, c’est-à-dire d’imitation, sont nombreux entre le Prœdium rusticum de Vanière, et les Georgiques de Virgile, que M. Combes remonte, dans un rapide résumé, jusqu’aux Romains.

Il commence par établir le caractère social de leur agriculture. Il l’étudie d’une manière particulière chez les auteurs qui, dans un but spécial, ou accidentellement, peuvent fournir des renseignements et donner des indications précises. Caton, Varron, Columelle, Virgile, Palladius, sont tour-à-tour l’objet d’une appréciation détaillée d’où résultent des faits incontestables, ou des inductions dont la science peut tirer parti. L’organisation romaine, sous le rapport de la culture des champs, était incomplète. Elle avait passé, d’ailleurs, par des vicissitudes qu’explique suffisamment leur histoire politique. Si les premiers Romains descendaient sans peine du Capitole, pour aller habiter les champs, s’ils déposaient, la dictature pour reprendre la charrue, ils obéissaient aux habitudes d’une laborieuse simplicité. Ils donnaient un grand exemple d’abnégation. Mais cette noble conduite, ces mœurs austères n’avaient donné naissance à aucune institution. Il n’y avait pas de lien possible entre ceux qui concouraient, comme maîtres et esclaves, à la culture de la terre. Le christianisme seul pouvait rattacher utilement à la production territoriale les populations des champs, jusque là sans bonheur et sans avenir, parce qu’elles obéissaient à la nécessité, au lieu d’être conduites par l’intérêt qui soutient les forces, ou le dévouement qui les multiplie.

M. Combes indique par quelques traits rapides l’état des campagnes, et la condition de ceux qui les habitaient pendant le moyen-âge. Ces considérations se rattachent à une question historique de la plus grande importance. La religion a eu toujours une influence directe et puissante sur l’état des personnes dans la société et sur leurs rapports entre elles. Les changements graduellement accomplis dans l’intérêt de ceux qui sont voués au travail le plus dur, constatent pendant tout le moyen-âge une sollicitude qui ne s’est pas un instant démentie.

M. Combes s’applique ensuite à définir l’état des choses et la position des habitants des campagnes, pendant le xvie siècle, époque de bouleversements politiques et de luttes religieuses. Cependant les procédés de culture se modifièrent alors pour s’améliorer. On demanda, au sol des produits nouveaux, meilleurs et plus abondants. Les résultats ne manquèrent pas, parce que les efforts furent soutenus, et que la bienveillance du gouvernement ne manqua pas un instant, à ce qu’un grand ministre appelait une des mamelles de la France. Les progrès les plus rapides et les plus importants furent accomplis sous Henri IV. Un homme savant et modeste, un écrivain plein de charme, Olivier de Serres, les constata dans un livre plein de raison et de génie.

Le succès d’Olivier de Serres fut complet. Son livre répondait trop aux préoccupations de tous, il secondait trop efficacement les tendances générales, pour n’être pas accueilli avec faveur. Trente éditions furent rapidement épuisées. La faveur de Henri IV qui avait appelé à Paris l’auteur du Théâtre d’agriculture et ménage des champs, assurait des témoignages d’estime à sa personne et des lecteurs à son livre. M. Combes cite les jugements des hommes les plus compétents. Il met en relief la valeur de ces observations pratiques qui, malgré les progrès accomplis particulièrement de nos jours, n’ont rien perdu de leur justesse. Pourquoi ce grand bréviaire de l’art agronomique tomba-t-il tout-à-coup dans l’oubli, et resta-t-il à peu près inconnu pendant cent cinquante ans ? On a invoqué des raisons nombreuses à l’appui de ce fait. Elles ont sans doute une valeur ; mais elle est secondaire. Une seule semble suffire. C’est la nature anti-rurale du siècle de Louis XIV. La passion des grandes choses éblouissait les esprits les plus sûrs, et entraînait les natures les plus calmes. On ne dédaignait pas certainement ce qui était utile. Les mesures prises, les ordonnances publiées en faveur de l’industrie et du commerce sont nombreuses, et leur influence se fait sentir à travers de grandes distances. Mais on oubliait l’agriculture. Un homme seul, un religieux, un versificateur de talent, rendit à Olivier de Serres, sans le nommer, à l’agriculture, en l’exaltant, l’hommage dû à tout ce qui est grand et utile. Cet homme fut le Jésuite Jacques Vanière.