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Promenade autour de la Grande Bretagne/L’Angleterre. Bristol

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L’ANGLETERRE.


LE quinze de May donc, après avoir mis un leger pacquet au coche de Bristol, je partis. F..., qui avait fait la campagne, et le voyage de Hollande avec moi, consentit a m’accompagner jusqu’a Windsor.

Je dois remarquer que pendant mon séjour a Londres, a force de soin j’étais parvenu a lire tout seul, la partie des gazettes qui est traduite du Français, mais ne pouvant dire un seul mot d’Anglais, je pris la précaution de mettre par écrit toutes les choses nécéssaires dans les auberges, comme bread, meat, dinner, supper, bed, fire ; puis me plaçant dans la tête le verbe Give me ; je me crus fort, parce qu’en l’ajoutant a tout autre mot, c’en est assez pour etre entendu, cette maniéré d’apprendre paraîtra bizarre ; mais je puis assurer que cela a été mon commencement dans l’Italien, l’Allemand, aussi bien que dans l’Anglais. Pour ne pas oublier le mot principal on peut le joindre avec un autre qui présente une idée agréable ; comme en Italien, par exemple, un bacio, en Anglais a kiss. Cela ma semblé un moyen certain de le retenir pour jamais et en le changeant a propos de ne jamais manquer de rien.

Nous dirigeâmes notre course sur Richemond par le parc de Kew. Le pays depuis Londres est plat, et n’est réélement pas aussi bon que je l’imaginais avant. Le pont de Kew est très élégant et n’a de vilain que l’argent que l’on fait payer au voyageur même a pied. Nous eûmes tout lieu d’etre satisfait de la beauté et grande nétteté de ce jardin que le roy parait préférer a tout autre, on y voit entr'autres une tour Chinoise de dix a douze étages, différentes éspéces d’animaux étrangers, des arbustes rares ; mais ce qui frappe le plus, c’est la charmante promenade, le long de la Tamise, qui quoique a six milles seulement de Londres, n’est plus une grand riviere, et semble un canal fait a dessein au bas des jardins, pour en augmenter l’agrément ; des deux cotés les bords sont unis, et l’herbe déscend jusques dans l’eau ; les jolis villages, et les belles maisons, qu’on apperçoit sur les rives, produisent un effet des plus agréables ; en vérité il y a certain point de vue de Kew a Richemond, qui pour la douceur et le charme qu’ils font éprouver n’ont pas je crois d’egal. La vue étonnante de Richemond, la beauté du pays, (que le printemps augmentait encore,) et que l’on découvre d’une hauteur sur le bord de la riviere, excite la plus vive admiration.

Richemond est une jolie petite ville, c’est la, ou les gens tranquilles et aisés, qui preferent la paix au fracas de la ville, viennent se retirer ; aussi les logemens y sont ils beaucoup plus chers qu’a Londres ; Deux heures après, nous arrivâmes a Hampton-court ; c’est la seule des maisons royalles, que j’aye vu dans la Grande Bretagne, avoir cet air de grandeur qui annonce la dignité du maitre. Les jardins sont bien tenus, et ornés de quelques beaux vases en marbre blanc. Un jardinier nous appercevant étranger nous conduisit au labyrinthe, et après en avoir fait le tour nous mena a la porte du grand jardin, ou il nous demanda pour sa peine ; quoiqu’il n’y eut pas cinq minutes qu’il fut avec nous, il ne nous parut pas très satisfait du shilling, que nous lui donames ; ce qui nous parut provenir des riches étrangers qui visitent ce palais, et a qui cependant nous ne ressemblions gueres. La grande terrasse le long de la riviere est une des plus belles de ce genre. Il y a dit on de fort belles choses a voir dans les appartemens d’Hampton-court, mais nous avions déjà vu tant d’appartemens royaux, que nous ne crumes pas que ce fut la peine de déranger le concierge.

Nous primes la route de Windsor, a travers une vaste lande couverte d’ajoncs, comme en Basse Bretagne ; ce qui surtout surprit mon camarade, qui enthousiaste de l’Anglomanie, s’imaginait qu’aucune terre n’était inculte, et que les plus mauvaises, étaient rendues fertiles par le génie des Anglais ; depuis, j’ai apris qu’il y avait un grand nombre de ces communs aux environs de Londres, comme dans la Bretagne appartenants aux paysans, qui y envoyent leur bestiaux, et que l’on ne peut cultiver par cette raision.

Ce qui nous étonna le plus, fut de voir que du plus loin, que les hommes s’appercevaient, ils paraissaient craindre de s’approcher, et ne le faisaient qu’avec quelques précautions. Comme nous réfléchissions sur cette crainte peu naturelle a ce qu’il nous semblait, si près de Londres et en plein jour, nous vimes un homme dans un cabriolet s’arrêter, et délibérer s’il viendrait a nous ; il nous joignit pourtant, en même tems que de l’autre coté venait une voiture a quatre roues ; une personne dedans, dit a mon camarade, qui entendait quelques mots d’Anglais, que quatre hommes a cheval, et masqués, s’étaient approchés de la voiture, et voyant qu’il n’y avait que le domestique, s’étaient retirés. La dessus l’homme du cabriolet commença a trembler, nous lui offrimes notre secours dont il ne parut pas se soucier, et tourna bride sur le champ ; La personne dans la voiture nous exhortait fort, a retourner aussi sur nos pas, mais le cocher dit avec cmphafe, “G—d d—m ; they are strangers, and where are Englishmen on horseback to be found, attacking strangers on foot, upon the high way ? Quoiqu’il en soit, je fus enchanté de l’occasion, et après avoir pris quelque précaution pour ma montre et mon petit trésor, je persuadai mon camarade, qui a dire vrai, n’en avait grande envie de poursuivre notre chemin.

La malice entrait bien pour quelque chose dans cette détermination. Il me paraissait si extraordinaire d’être volé en plein jour, entre la capitale et la résidence du roy, que je crois en vérité que le plaisir de le raconter a toute la terre, m’eut empêché d’en être fâché. Mais les voleurs nous regarderent dedaigneusement, et sans nous dire un mot. Des émigrés voyageant a pied ne sont pas le gibier qu’il leur faut.

A travers un pays assez bien cultivé et très varié, nous atteignimes Windsor. Malgré la fatigue de notre longue marche, notre curiosité nous en traîna sur la terrasse. Nous primes tant de plaisir a considérer l’immense vue qui s’offrait a nous, que la nuit nous surprit, il fallut bien nous retirer ; car la nuit, quand on est bien fatigué, la plus belle vue, est celle d’un bon lit.

Le lendemain de grand matin nous retournames sur la terrasse, et après avoir admiré quelques temps la beauté et l’étendue de la vue, le vieux chateau réparé, le donjeon, et la mauvaise statue qui est dans le milieu de la cour, aussi bien que la chapelle Gothique nous fimes une longue promenade dans le parc, en caressames les chevreuils, qui sont privés comme des chiens, et viennent manger le pain dans la main. Nous retournames a la ville, et après nous être embrassé le plus cordialement du monde, en bons Français au milieu de la rue, ce qui nous attira les regards de bien des gens, qui j’imagine, s’étonnaient fort de notre façon de faire ; car dans ce pays ce n’est pas l’usage d’embrasser, on se contente de serrer vigoureusement les doigts a son ami, quand on le revoit, ou quand on le quitte, en raison de l’interet qu’on lui porte, car si on lui est peu attaché on ne fait que lui toucher tres légérement dans la main.

L’ayant donc embrassé, le cœur plein de regret, je le plaçai sur le coche de Londres, et je pris a pied, et tout seul, le chemin d’Oxford.

Apres avoir marché a peu près huit a neuf miles, je rencontrai le coche de Londres, me trouvant fatigué, je fis signe avec mon pouce, suivant l’usage ; le cocher arrêta, et je me plaçai plus haut que personne sur la place impériale, ou le temps étant très beau je fus visité par ceux du dedans. Le pays entre Windsor et Oxford a quelques morceaux près, ne répondit pas a l’idée brillante que j’avais de l’agriculture Anglaise.

La ville d’Oxford est assez bien bâtie, et ne manque pas de promenades, que le grand nombre de corbeaux, empêche d’être aussi agréable qu’elles pourraient l’être ; il est inoui comme les corbeaux qui sont des oiseaux de passage en France, et qu’on n’y voit qu’en hiver, pullulent dans la Grande Bretagne, ils s’assemblent sur quelques arbres a leur convenance, y batissent leur nids, et quand une fois ils s’y sont établis, rien dans le monde ne peut les en chasser. Un d'eux se trouve toujours en sentinelle, qui a la vue d’un homme avec un fusil, avertit les autres en croassant a différentes reprises, sur quoi tous se dispersent, et ne retournent a leur nids qu’après avoir plané plusieurs fois a une hauteur prodigeuse au dessus de leurs habitations ; aussi n’est ce qu’avec la plus grande peine, qu’on peut les tirer, car quant a prétendre les dénicher cela est presque absolument impossible, leur nids étant communément a la pointe de branches, qui seraient incapables de porter l’enfant le plus leger. Il y a des personnes fantastiques, pour qui leur croassements est une musique delicieuse, et qui seraient au déséspoir qu’on les tourmenta. Bans le fait, leur jeux, leur polices, leur batailles, sont dignes de remarque. On ma plusieurs fois assuré que quand l’un d’eux s’avisait de voler un morceau de bois du nids des autres ; tous, après de longs croassements fondent sur le sien, et chacun emportant un morceau de bois, il est détruit dans un moment : C’est en vain que le voleur entreprend de le defendre, pendant qu’il fait tête d’un coté ; la justice travaille de l’autre. J’ai souvent vu, moi-même, la déstruction complette de plusieurs de leurs nids, mais je ne suis pas capable de dire la vraie raison, de la fureur qui les acharnaient contre le patient.

Il y a beaucoup de personnes qui attendent avec impatience, le moment ou les petits s’essayent a voler de branches en branches ; ils les tirent alors a leur aile, et les mangent ; on assure que quoique la chair en soit noire, elle n’est pas de mauvais gout, on en fait souvent des patés fort bons, a ce qu’on m’a dit, je suis fâché de n’avoir pas été a même d’en goûter, j’aurais été charmé d’avoir une occasion de faire la guerre aux prejugés qui nous empêchent de faire usage des bonnes choses que nous avons sous la main ; je suis convaincu, qu’une nation qui réunirait les dégoûts, que les hommes ont pour différentes viandes, ou nourriture quelconque, serait réduite a vivre de racines ou de fruits.

Il n’est peutêtre pas de ville en Europe, ou les établissemens des différentes universités soient si considerables et si nombreux. C’est la, que la jeunésse Anglaise vient etudier, soit pour le bareau, la médecine, ou l’eglise. Les jeunes gens sont vêtus d’une grande robe noire, avec des manches pointues, et portent un bonnet avec une forme plate et quarrée. Quelque part qu’on aille on est sur de les trouver, comme partout ou les jeunes gens afluent ; ce qui fait que je ne pense pas que le sejour d’Oxford soit très agréable. La cathédrale est un immense bâtiment Gothique, auprès duquel il y a un baptistere, ou un bâtiment séparé pour donner le baptême ; Oxford, Rome, Florence, Pise, et Elgin au nord de l’Ecosse, sont les seuls villes ou j’en aye vu. En parcourrant les disterens édifices j’ai été assez surpris, de voir au dessus d’une porte, la statue du Cardinal de Wolsey en habits pontificaux, avec une inscription flatteuse sous le pied d’éstal.

La Tamise est navigable pour les bateaux jusqu’a Oxford, mais la navigation est prolongée beaucoup plus loin par la moyen des canaux.

Le sur lendemain, a travers sept mille d’un pays, peu cultivé, je me rendis a la superbe et orgueilleuse maison de Bleinheim ; chacun sait pourquoi, et pourquoi elle fut bâtie. Le parc est immense, on a pratiqué dans le fonds de la vallée un lac d’une étendue considerable, et de tous cotés on apperçoit quelques nouveaux accidents. Le corps de logis est vraiment royal et réspire la grandeur, on apperçoit en face, de l’autre coté du lac, une colonne magnifique, sur la quelle est placée la statue du Duc de Marlborough : cette colonne que l’orgueil national, autant, que la reconnaissance éleva, est aussi couverte des traces du motif qui la fit construire, le pied d’éstal haut de plus de vingt pieds est couvert sur les quatre faces, de marbre blancs de la même hauteur, ou de longues inscriptions en caractere assez fins, annoncent aux races futures les victoires des Anglais, et les defaites des François, lors de la ligue universelle, contre Louis XIV. Il m’a fallu une grande heure pour les lire toutes, et en les finissant, je ne pus m’empecher de dire, que quand les Anglais parlent de leur exploits, ils n’employent pas le laconisme lapidaire.

J’admirais a quelque distance, la noble fierté du vainqueur de Bleinheim, la prodigeuse hauteur ou on la place, comme pour indiquer l’élévation de son génie, et de son courage ; son habillement Romain éxcitait aussi mon attention, quand regardant attentivement dessous les plis de son manteau guerrier, formés par la poignée de son épée, j’apperçus sortir un gros corbeau qui bientôt retourna porter a manger a ses petits qu’il avait laissé sous la protection du héros — Jupiter avait son aigle.

Puis en quelque sorte retournant sur mes pas, quoique plus a l’ouest, je fus coucher avec une pluie continuélle, a quatorze mille d’Oxford, après en avoir fait près du double. Il faudrait bien peu connaitre les aubergistes Anglais, pour imaginer qu’un piéton mouillé et crotté fut reçu sans difficulté ; il n’y a dans ce bon pays que des riches, ou des pauvres ; vous étes traités comme un seigneur ou comme un faquin. Les plus pauvres gens ont une telle horreur pour les voyages a pied, que quand la misere les y contraint absolument, ils voyagent la nuit, crainte d’être vu. Si, près des villes a manufactures, on rencontre quelques ouvriers, c’est avec un petit paquet a la main, dans un mouchoir de soye, mais jamais rien sur leurs épaulles, ainsi q’en Allemagne et en France, ou quelques fois des gens riches ne dédaignent pas de se rapeller qu’ils ont des jambes. — Quoiqu’il en soit, après une assez froide réception, que j’eusse fait sécher mes habits de mon mieux, et que je me fus un peu délassé, je fus sur le pas de la porte prendre l’air. Un homme qui avait paru fort s’appitoyer sur mon sort quand j’étais auprès du feu, après quelque questions, (moitié Anglais, moitié Français ; car quoique ce ne fut que mon quatrieme jour d’exercise, je commençais deja a entendre), sur l’endroit ou je voulais aller, auxquelles pourtant je ne répondis que Bristol ; pensant que la misere seule pouvait engager a faire une telle route a pied, avec beaucoup de bonhommie m’offrit un shelling ! Quoique je sentis la bonté du procedé, comme dans l’abyme ou nous sommes tombé quelques petits brins d’orgueil ne nous ont point abandonné, je tirai quelques guinées de ma poche, et les lui presentai, en le remerciant. — Ce petit trait de vanité, ne servit qu’a me faire payer double le lendemain.

M’armant de courage, je me remis en route, mais bientôt appercevant, que le chemin faisait un détour considérable, beaucoup plus au nord que la place ou je voulais aller, ne se trouvait marquée sur la carte et appercevant un petit sentier qui semblait se diriger du coté ou je désirais d’aller, je le pris sans balancer. Apres avoir fait deux ou trois miles, j’arrivai sur le bord d’une riviere, que je crois la Tamise, tres profonde, quoique peu large. Je ne savais trop comment faire, et ne pouvais pas me résoudre a retourner sur mes pas ; cependant il aurait bien fallu m’y déterminer, lorsqu’appercevant sur la rive, un gros bateau de charbon, et personne dessus pour le garder, je m’avisai de le pousser a l’autre bord ; ce a quoi je reussis avec une peine incroyable. Au moment ou je débarquais, voila les gens du batteau qui arrivent, et qui voyant ou je l’avais conduit, entrerent dans une rage incroyable ; je laisse le lécteur inventif imaginer quels furent les complimens que ces pauvres diables me firent ; quoique je n’en entendis pas la moitié, j’avoue qu’ils me semblerent expressifs au dernier degré. Cependant, pour ne pas les laisser trop dans l’embarras, comme il y avait un petit bateau sur le coté ou j’étais, je le mis a flot, et le leur poussai ; pendant que le courant le leur envoyait, je m’éloignai prudemment, et j’étais déjà bien loin lorsqu’ils purent en faire usage.

M’écartant encore de la grande route, en deux jours de marche, par le milieu des terres, j’arrivai a Bath, par Burton et Wolton Basset. Cette derniere est une petite ville presqu’entierément séparée du resté du pays par les mauvais chemins qui y conduisent. Son aspect n’annonce pas qu’aucune espece de manufacture y soit établie, et vraisemblablement, elle n’est habitée que par les cultivateurs. J’ai pourtant remarqué qu’on travaillait a faire des chemins, et que dans certains endroits ils étaient deja faits. Je me rappelle avoir vu, une inscription dans un mauvais pas, ou un certain homme y donne avis au public, qu’il lui est redevable d’un sentier large de deux pieds, qu’il a fait paver a ses frais, depuis le village jusqu’a l’église.

Plus près dé Chippenham le pays s’embéllit et devient même pittorésque. Une petite montagne de deux cent pieds de haut environ, se trouve entourée de deux vallées tres fertiles ; la largeur de son sommet n’est gueres que de deux cent pas, et est allez bien cultivé.

Chippenham est situé dans une riche vallée, ou la culture des terres, est egalle a la bonté du terroir, et quoique ce ne soit qu’une petite ville, l’aspect riant de sa situation lui donne une assez bonne apparence. Bientôt, du sommet de la montagne qui domine Batb, j’apperçus la belle vallée de l’Avon, et la ville superbe qui l’embellit encore, et dont l’agréable situation beaucoup plus que les eaux minérales attirent cette foule de riches oisifs, qui y répandent l’abondance et les plaisirs. Quoique a plus de quatre mille, j’arrivai dans un moment, et oubliant la fatigue de ma longue marche, je commençai a parcourir la ville ; a chaque pas, je voyais des gens qui m’examinaient des pieds a la tête, ricannaient, et se parlaient a l’oreille et ce fut bien pis ; lorsque je voulus chercher a me loger, quoique j’employasse les termes les plus honnêtes, les auberges étaient toujours pleines ; on ne pouvait pas me recevoir, me disait on, en regardant mes bottes et mes cheveux — Apres bien des reflexions, j’avisai qu’il était Dimanche, qu’il y avait de la pousiere sur mes bottes, et qu’il n’y avait pas de poudre sur mes cheveux : comme il n’y avait pas de remede a cela étant assez tard, j’entrai dans la première maison, et en priai le maitre de me faire conduire a une auberge ; ce qu’il fit de très bonne grâce.

J’employai le lendemain et surlendemain a parcourir les environs, qui sont charmans, et a visiter la ville dont j’admirai les beaux batimens ; le croissant surtout excita mon attention, aussi bien que le quartier ou sont les parades du nord et du sud. La ville forme un amphithéâtre assez vaste, garantie des vents du nord par la montagne dont elle occupe le pied et le centre. Les eaux minérales sont chaudes ; j’y ai pris un bain par curiosité. Il m’a paru assez extraordinaire de me trouver dans la même eau qu’une douzaine de femmes, car il n’y a point de places separées pour elles, chacun est enveloppé dans sa robe de chambre de flannélle, qui a cela de dégoutant, qu’elle est publique et sert a tout venant ; on ne distingue les femmes que par leur coiffes, tandisque les hommes, ont communément un bonnet de cotton.

Je me rendis a Bristol, qui beaucoup plus considerable, n’est pas a beaucoup près si agréable que Bath, cependant ne manque pas de beauté, mais d’un genre très different. Le commerce qui pendant longtemps avait fait de Bristol la seconde place d’Angleterre, semble s’être transporté depuis quelques années a Liverpool. La ville n’a qu’un bassin ; l’eau y est retenue a la marée basse par des écluses, qui a la marée haute s’ouvrent, et y laissent entrer et sortir les vaisseaux.

Elle a peu de beaux batimens. L’ancienne cathedrale est une vieille eglise Gothique sans beauté, il y a une assez belle place, au milieu de laquelle on voit une assez mauvaise statue. Les bords de l’Avon sont charmans et tres pittoresque a l’ouest particulièrement : on arrive par une pente aisée sur un terrein qui semble peu différent du niveau de la ville : après un mille de marche apeupres, tout à coup le terrein cesse, un vaste et profond precipice s’ouvre, au milieu duquel on voit couler l’Avon, et ou les vaisseaux vont et viennent, sous les pieds du spectateur, a une profondeur de plus de trois cents pieds. Cette vallée de l’Avon est charmante ; j’ai retrouvé des espéces de montagne, et cela m’a fait un plaisir inexprimable après la platitude de Londres et de la Hollande.

La lettre que j’avais pour cette ville ne m’y a fait avoir aucun agreement ; la personne a qui elle était addréssée, était a Londres, croyant qu’a l’argent près dont je n’avais pas encore besoin, sa femme pourrait m’etre de quel que utilité, je l’ai demandé — elle était morte — et le commis, il avait congé ; de sorte que comme les Anglais ne sont pas grands parleurs, je n’ai pas ouvert la bouche pendant les trois jours que j’ai passé ici, excepté quelques questions sur le pays.

Un jour je fus visiter les eaux mineralles presque tiédes de Bristol, elles sont situées au pied d’un roc, qui forme le précipice dont j’ai deja parlé, et ou les médecins envoyent leur malades, lorsqu’ils ne savent plus qu’en faire. On m’a assuré que c’était un spéctacle cruel, que celui des moribonds poulmoniques que l’on rencontre a la pompe, et aux autres places publiques. On va souvent aux autres eaux pour les amusemens qui s’y trouvent ; ici on vient pour mourir. Cependant elles conservent toujours la réputation d’être bonnes pour la poitrine, quoique dans le fait elles ayent bien peu de vertu, si on juge par l’apparence, car elles n’ont presque point de gout, et sont plus froides que chaudes ; mais le malade se flatte, et meurt en se noyant d’eau.

Suivant le cours de la riviere, j’arrivai avec beaucoup de peine, après un long circuit, et par un sentier rabotteux, jusqu’a l’endroit ou elle se jette dans la Severne. La je fus bien recompensé de ma peine, par l’immensité du coup d’œil qui s’offrit a moi. L’embouchure de la Severne peut avoir neuf a dix mille de large dans cet endroit. On apperçoit sans beaucoup de peine, a l’autre bord, les montagnes du pays de Galles, qui ajoutent beau coup a la scéne par leur élévation. A l’ouest l’œil se perd dans la mer d’Irlande, tandis qu’a l’est on apperçoit la riviere se rétrécissant insensiblement, les bords devenans plus unis et offrans a la vue un pays fertile et bien cultivé. En retournant a la ville, je pris un autre chemin, et vis en partant une maison magnifique, et quelques villages, dont l’apparence annonçait l’aisance des habitans.

On trouvera bon que je me repose ici, et que j’en fasse autant, toutes les fois qu’après avoir traversé l’isle, je serai arrivé a la mer opposée au coté d’ou je serai parti, et que j’intitule tous mes chapitres du nom de celle ou j’addresserai mes pas.