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Promenade autour de la Grande Bretagne/Mer du Nord. Banff

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MER DU NORD.


MON intention était de pousser jusqu’a Invereray, pour y admirer le superbe chateau du Duc d’Argyle. Ce pays, m’a t-on dit, est un des plus éxtraordinaires de l’Écosse, par l’élévation de ses montagnes, et la quantité de bois qu’on y trouve. Peutêtre eussai-je passé de la dans les isles de Bute, Icholmkill, Staffa, dont les deux dernieres particulierement sont dignes de la curiosité du voyageur. Pendant que toute l’Europe était enveloppée dans les ténébres de l’ignorance, causées par l’irruption des barbares, un petit nombre de gens savants et paisibles, profitant des préjugés de religion qui animaient ces peuples féroces, et qui de tems immémorial leur avaient fait regarder Icholmkill comme une place sacrée, ou les rois d’Irelande, des Calédoniens, des Pictes, des isles, et même des Danois, qui adoptèrent le même préjugé, demandaient a être enterrés. Car la mort unissait dans cette isle les énnemis les plus irréconcilables, et la rendait réspéctable pour leur succésseurs.

Ces savants, dis-je, éffrayés des troubles et des desordres qui régnaient par tout ailleurs, y fixerent leur résidence, et bâtirent un monastere, qui fut pendant plus de cinq siecles l’assyle des arts et des sciences. On n’y voit plus a présent que des ruines, tristes débris, qui prouve ce qu’il fut autrefois. Staffa n’est qu’un rocher, au milieu de la mer, mais des plus extraordinaires ; la nature y a déployé son pouvoir en architécture, et y a bâti des palais immenses supportés par des colonnes sans nombre, et de la plus grande élévation. Cette isle est une des choses que je regrette le plut de n’avoir pas vu ; par les déscriptions que j’en ai souvent entendu faire, elle doit être bien étonnante.

Puis retournant par l’embouchure de la Clyde, j’aurais parlé de Greenouck, dont le port est le plus considérable de l’Ecosse, et dont les vaisseaux se rendent immédiatement en Amérique, quoique pourtant la sortie soit dangereuse, car il faut qu’ils fassent un tour considerable, avant d’etre en pleine mer. On a proposé de couper le Mull of Cantyre, qui n’a guerres que cinq milles de large, afin d’éviter aux vaisseaux un voyage long et dangereux. Au lieu de cela, je me crus fort heureux de trouver près du Chateau de Dumbarton, le bateau public de Greenouck, et qui allait a Glasgow. Il y avait beaucoup de personnes dessus, et je commençais a entendre assez d’Anglais pour suivre la conversation ; elle roullait sur l’eglise d’Ecosse, que jusqu’a ce moment je n’avais pas cru entièrement séparée de l’Anglicane. Je me rappelle, qu’un ministre se plaignait amerement de la modicité de son revenu, ce qui n’est pas nouveau dans tout pays.

Le bords de la Clyde me semblerent très intéréssants, et fort bien cultivés. A quelque distance de la place ou venait finir la muraille Romaine, vient aboutir le fameux canal qui traverse l’isle. Les marchands de Glasgow, qui étaient forts intéressés a l’avoir chez eux, y ont fait une branche, qui vient joindre la ville.

Aussitot que j’y fus arrivé je pris une chambre garnie pour me guérir a l’aise ; et recevant beaucoup de politesse des personnes a qui j’étais recommandé, je pris mon mal en patience, et me tins tranquille.

Glasgow est une très belle place ; les rues sont larges, et ne manquent pas d’ornements. On y voit même de fort beaux édifices, particulièrement un marché de viande, qui ressemble plutôt a une jolie salle de spectacle ; quelques belles églises, entr’autres St. Andrews, dont tous les bancs sont faits en bois d’Acajou, de la plus grande nétteté. Le portail est vraiment noble, mais a le même défaut que le St. Andrews d’Edimbourg, il est défiguré par le clocher qui est placé dessus. Cependant le grand nombre des habitans trouvent leur vieille ci-devant cathédrale infiniment plus admirable. C’est un vieux et vaste bâtiment, sans aucune décoration extérieure, même Gothique. Ils l’ont divisé par compartiments} la nef et le chœur leur servent de cimetierre, quoiqu’il soit situé au milieu d’un, assez vaste pour enterrer tout Glasgow.

On bâtit auprès un bel hôpital, que je pense avoir été élevé par le même architécte que leur nouvelle Bourse, et le Régistre d’Edimbourg. Il semble que cet architécte a beaucoup de besogne, car j’ai reconnu son gout sur la grande place qu’on bâtit au bout de la ville neuve d’Edimbourg, et au nouveau collége.

Une de leurs belles institutions c’est le superbe Caffé de la Tontine, qu’a peu près six cents abonnés a une guinée par an entretiennent, et ou l’étranger peut venir lire les papiers publics, ou attendre ses amis, sans craindre d’etre tourmenté par les garçons, comme dans presque toutes les villes de la Grande Bretagne. Il n’y a que les habitans, non abonnés, qui n’ayent pas le droit d’y aller.

La ville est située comme Bath, au sud d’une colline, qui la défend des vents du nord, qu’il lui serait peutêtre plus avantageux d’avoir, car on la dit malsaine par son humidité. La Clyde cesse d’être navigable au pont ; elle est bordée par un assez beau quai, et passe auprès de la plus belle promenade de toute la Grande Bretagne, sans contredit, qui cependant, excepté le Dimanche, est peu fréquentée. Les hommes sont occupés a faire des mousselines, ou a les vendre, et les dames sont allez sédentaires.

Ils se plaignent que la guerre a fait tomber leurs manufactures, et quelques uns s’autorisent de cela pour blâmer le gouvernement ; mais s’ils voulaient réfléchir, que quand les manufactures de quelques genres quelles soient, sont aussi multipliées que celles de mousseline dans l’ouest de l’Ecosse, il faut nécéssairement que guerre, ou non, elles tombent, parcequ’elles se font tort les unes aux autres. Paisley est a sept milles de Glasgow, et n’est habité que par des manufacturiers ! Greenouck, et toutes les campagnes sont pleines de manufacture, est-il donc très étonnant que quand on fait deux fois plus d’habits qu’il n’y a de monde pour les porter, il n’en reste la moitié ; puis on doit ajouter a cela, que la Suisse et l’Allemagne en ont établis depuis quelques années une grande quantité, et par consequent, peuvent non seulement se passer de l’Ecosse, mais encore, fournir au besoins de leur voisins.

Comme j’étais dans ma chambre assez tranquille, la jambe tristement étendue sur un tabouret, maudissant le jour et le moment ou je m’avisai de grimper Ben-lomond ; pour prendre patience plus gaiment, sans songer a rien, je me suis avisé de fredonner, et de sifler par distraction. Tout à coup je vois entrer dans ma chambre ma vieille hotesse, qui d’un air effaré, me dit, Fy for shame, you sing. — Cette femme assurément n’aime pas la musique, me dis-je en moi-même, comme Sofie dans l’Amphytrion de Moliere ; puis, après un moment de silence assez surpris de l’apostrophe, Mais, lui dis-je, quel mal y a-t-il a chanter ? But Sir, repondit-elle, en fermant la fenetre, God forbid to sing on the Sabbath ; ayant une très modéste opinion de mon chant, et n’ayant aucune connaissance des usages du pays, je m’imaginai qu’elle avait pris une tournure honnête pour me dire que je chantais mal, et que je l’importunais, ce qui au fait aurait fort bien pu être, et j’expliquai ainsi son dicton, Dieu défend de chanter aussi mal, et me le tins pour dit, dans la crainte qu’il n’y eut des malades dans la maison.

J’ai appris depuis, que le dimanche en Écosse on ne peut ni chanter, ni sifler, ni danser, ni jouer, mais on peut boire, bailler, et dormir ; et j’ai toujours taché de me conformer a l’usage du pays, depuis ce moment. Quelques moments après, j’ai prié ma bonne hotesse de me préter un livre, et elle m’a mis dans les mains La Vie des Saints du Presbyterianisme, qui étant a peupres aussi somnifere que la notre, ne m’a pas été d’une grande utilité. Pour lui faire voir que je savais tout aussi bien qu’elle ce que c’était que le dimanche, je lui ai demandé, s’il n’y avait pas dans la ville, une chapelle catholique. — Catholique ! — a-t-elle répétée — Catholique ! — en faisant une grimace comme si elle eut vu le diable — Catholique ! et elle est sortie de ma chambre sans dire un mot. Cela m’a donné un plus grand desir que jamais de savoir s’il y avait rééllement une chapelle dans la ville, et en consequence je suis sorti, et sans beaucoup de peine on m’en a indiqué une, ou j’ai eu le plaisir d’entendre un sermon éloquent en Gaelic, dont malheureusement je n’ai pas compris d’autre mot que la Vierge Marie.

Le Capitaine Mayne etant venu pour ses affaires a Glasgow, eut la bonté de m’inviter a aller a la charte des moor-fowls.

C’était le Vendredy, 9 Août, que je laissai Glasgow dans une chaise de poste avec lui, et retournai a Stirling par un autre chemin, que celui par lequel j’étais venu, j’aurais pu voir un assez beau pays, et avoir quelques avantures si j’eusse été a pied, mais dans une chaise de poste le voyageur ne voit que le grand chemin, et fit-il, comme tant d’autres, deux fois le tour de l’Europe, je maintiens qu’il n’est pas beaucoup plus instruit des manieres, ni des beautés du pays par où il passe, que la malle qui est attachée derrière sa voiture. Cependant ce sont eux qui par leur rapport splenetick, éxcite les préjugés et l’animadversion d’une nation contre l’autre, peignent tout en noir, et ne trouvent rien qui puisse leur plaire, aussitot que les nouveaux usages qu’ils apperçoivent s’écartent de ceux que leur nourice leur a appris ; je voudrais, qu’on n’ajouta pas plus de croyance a ce qu’ils disent, qu’on ne le ferait si l’on voyait un homme attaqué de la jaunisse, accuser tous les objets d’etre jaune, parcequ’au fait la couleur est dans ses yeux, et non dans l’objet. Tout ce que je pus remarquer c’est, que je traversai le grand, canal, que je pus distinguer des deux cotés a la distance d’un ou deux milles.

On me fit remarquer, en passant, le champ de bataille ou Robert de Bruce battit les Anglais qui avaient envahi son royaume, et la montagne ou ils crurent voir une armée. Le troisieme jour nous partimes pour la montagne avec armes et bagages, tentes et provisions ; nous ne fimes pas trop bonne chasse ; mais nous passames trois jours a courir au milieu de ces éternelles bruyeres et de ces deserts de tourbe, dont je n’avais jamais vu une telle quantité ; les vallées pourtant sont fort bonnes et très bien cultivées. Le pays près de Crief est vraiment charmant, on apperçoit a tous pas des maisons qui semblent annoncer que l’opulence y regne, et qui forme des points de vue très agréable. A cinq ou six milles on trouve Glen-Amon, qui est dominé de tous cotés par des rochers presque perpendiculaires, et se perda dans un passage étroit au travers des rocs. On y fait voir une pierre enorme, que la tradi tion appellait, Ossian’s tomb ; quoiqu’il en soit, lorsque les soldats travaillaient au chemin militaire ils s’aviserent a force de bras de la déranger, et l’on trouva dessous une urne avec des cendres ; dans quelques milliers d’années, si on la derange encore, on pourra y trouver les ossements d’un soldat qui mourut la, et sur qui ses camarades pousserent la pierre.

J’ai beaucoup a regretter de n’avoir pas été un peu plus loin, au lac Tay, et a Taymouth. J’en ai si souvent entendu faire des déscriptions charmantes que ce ferait avec bien du chagrin que je quitterais l’Ecosse sans les avoir vu.

Ce pays-cy est très peu connu chez l’etranger ; on nous le peint comme misérable, manquant du beauté, presque barbare : Les Anglais meme n’en parlent gueres autrement, et voila pourtant le fruit des préjugés qui éloignent les nations les unes des autres. Le fait est, que ses lacs immenses et ses hautes montagnes, offrent des points de vue qui ne peuvent etre egallés que par ceux de la Suisse ; et que dans les vallées, ou la terre est en valeur, l’art du fermier est poussé aussi loin, que même en Angleterre. Les idées contraires, qui pouvaient être justes il y a cent ans, quoiqu’à present absolument fausses, sont téllement enracinées, que je les aie souvent entendu répéter même a des gens du pays, qui pourtant ont un grand amour pour leur patrie, mais ne réfléchissent pas aux changemens prodigieux que l’industrie y a fait.

En sortant dé Glen-Amon on a une vue immense d’un pays couvert de maisons, et dans l’etat en apparence le plus florissant. La montagne au sud de la quelle est situé Crief, est entièrement isolée et separée des autres, elle est beaucoup plus élevée que celles que j’ai vu être dans la meme position, et forme une masse, que l’on ne peut s’imaginer être seule, qu’en en faisant le tour. En regardant a l’ouest, un peu plus haut que la ville, dans un endroit ou la vallée s’ouvre, on a une vue surprenante de pics et de sommets de montagnes, que pour bien voir il faut regarder au soleil levant.

Chemin faisant, je vis le camp Romain d'Ardoch, qui est aussi bien conservé, que s'il eut été fait il y a quelques mois : C’est un grand quarré, couvert par un rempart, et cinq lignes élevés au dessus du terrein, separés les unes des autres par un petit fossé de cinq ou six pieds de large, ce qui ne laisse pas que de faire une bonne défense même pour le canon, il avait quatre entrés, dont deux ont été détruites ; les deux autres sont au nord et a l’est ; il est situé a treize milles nord de Stirling. J’en ai vu plusieurs autres plus petits, et moins réguliers, au nord de celui d’Ardoch, et qui semblent avoir été comme les avancées du corps d’armée.

Ce pays éprouve depuis bien des années un phénomene remarquable ; il ne passe pas de mois sans ressentir les secousses (peu violentes a la vérité} d’un tremblement de terre : On a souvent cherché a en donner la raison, et l’on n’a pu jusques a present y réussir. Il n’existe aucune eau chaude, qui put donner a entendre l’éxistence d’un feu intérieur] je n’ai pas entendu dire, qu’on y ait découvert les traces d’un volcan éteint, et ces secousses sont si particulieres, a ce coin de terre, que jamais le pays voisin ne s’en ressent. Quelques personnes croyent qu’elles sont occasionées par des vents souterreins, qui cherchent a s’échapper ; d’autres par des eaux qui sont trop resserées dans leur cours. Quoiqu’il en soit, les habitans y sont si accoutumés, qu’ils n’y prennent pas garde, et qu’on n’en parle que comme d’une chose très indifférente, qui n’est même pas connu a quelques milles de l’endroit ou elle arrive.

Apres mon retour des montagnes, je me disposais à partir, avec intention d’attendre a Glasgow la reponse de Londres pour savoir si mon passeport pour la Grande Bretagne pouvait suffire pour l’Irelande, le Capitaine Mayne m’engagea a l’attendre chez lui. Dix a douze jours se sont passés, et je ne recevais point de réponse ; la crainte d’être indiscret en reliant plus longtemps en garnison chez lui, (comme je le lui ai dit en plaisantant) ma fait prendre le partie de faire le tour de l’Ecosse en attendant.

M’ayant fait promettre, qu’a mon retour je passerais chez lui, et ayant bien voulu permettre que j’y laissas mon pacquet, je partis le 27 Août, avec une chemise et une paire de bas dans ma poche, pour faire une petite promenade d’environ cinq cent milles ; et pour mieux me disposer a la marche, je courus les montagnes toute la journée après les moor-fowls, et fus coucher bien fatigué a Auchterarder, un gros bourg a vingt milles de Stirling. Il était midi avant que je puisse partir, tant la fatigue de la veille m’avait accablé ; cependant prenant courage, je retrouvai mes forces après un ou deux milles, et j’avançai rapidement, au travers d’un pays peu remarquable pour sa fertilité.

Toutes les approches de Perth sont vraiment magnifiques, lorsque du sommet du coteau on découvre tout à coup la belle et long vallée dans laquelle coule le Tay, l’œil est surpris ! Il semble inconcevable qu’un tel pays soit joint de si près aux pauvres montagnes que l’on vient de traverser. La ville est entourée de belles promenades, qui en forme comme les Boulevards ; les rues sont larges, bien baties, et tirées au cordeau. Sa situation sur le bord de la principale riviere de l’Ecosse, les approches étonnantes qui l’environne, sa position centrale, la belle distribution et la nettété de ses rues, le beau pont sur le Tay, tout contribue a rendre Perth un ville charmante, et aurait du en faire la capitale de l’Ecosse, si lorsque les peuples s’en choisissent une ils étaient réglés par autre chose que le hazard. Le pays de Perth a Dundee est parfaitement bien cultivé, et parait beaucoup plus précoce que près de Stirling, on y faisait la récolté, et près de cette derniere ville le bled était encore verd. Les arbres fruitiers y sont allez communs, et on m’a assuré très productifs. Ces deux vallées du Forth et du Tay, dont le terroir se ressemble assez font les deux plus riches pays de l’Ecosse. On m’assure que de Perth a Blair, a peupres trente milles de distance, non seulement le pays était charmant, mais extrêmement productif. Ainsi la vallée du Tay peut avoir cinquante milles de la culture la plus recherchée. J’avais si bien recruté mes forces de la veille, qu’après m’être reposé un heure a Perth, et m’être promené par la ville, je fis la folie d’en partir, quoiqu'il fut près de cinq heures, et que la distance de vingt un milles fut bien considerable apres les quinze que j’avais déjà fait.

Ce qui m’engageait a me dépêcher si fort c’est qu’une dame m’avait invité a diner a trois semaines de date, et qu’en riant j’avais dit que je voulais faire le tour de l’Ecosse, et revenir au jour indiqué, j’avais a cœur de remplir mon engagement ; ce n’était que le second jour de marche, et je le croyais possible ; mais après cette fatiguante journée j’ai bien vu que l’homme n’est pas comme une montre, qui va toujours sans s’arrêter, et sans se fatiguer. Il était onze heures du soir, harrassé de fatigue, je me trouvais a six ou sept milles de Dundée, dans un village ou tout le monde était couché ; je frappai a coups redoublés a la porte d’une petite berge. Tout le monde dormait, je ne savais trop que faire, et regardais autour de moi, si je ne pourrais pas voir une grange ou je pusse passer la nuit sur quelques brins de paille, je n'en appercevais point : mourant de faim, de soif, et de fatigue, il eut été peu gai de passer la nuit a la belle étoile, avec un orage qui menaçait, et sans un morçeau de pain a se mettre sous la dent. Lorsque mon bon génie a conduit a cette place un homme a cheval avec un autre en bride, retournant a Dundee, j’ai fait un marché avec lui pour avoir la liberté de conduire celui qui était a vide, et une heure après suis arrivé a Dundee sans être tres fatigué ; car rien ne repose comme l’exercice du cheval après une longue marche.

Dundee est riche, marchande, et assez peuplée ; on y compte douze a quinze mille habitans, mais la ville est irreguliere et en général mal bâtie.

Les étrangers visitent rarement ce pays, ce qui fait que les habitans en acueillent peutêtre beaucoup mieux celui qui se presente avec des lettres de recommandation. Rien ne pouvait m’etre plus agréable ! la societé est très aimable, et j’ai passe le tems que je ne destinais qu’a me reposer, avec beaucoup d’agrément, il fallait seulement que je me soumis a leur coutume de boire quatre ou cinq heures apres diner le plus sérieusement du monde. J’avoue qu’il m’etait bien pénible dans le commencement de relier ainsi cloué sur ma chaise, et de boire quoique j’en pus avoir ; tout cela a disparu peu a peu, et je crois en vérité que, s’il était nécéssaire, je pourrais montrer, en cas de besoin, qu’un Breton de France ne le cede en rien a un Breton d’Ecosse.

Puis de la, traversant la riviere qui peut avoir trois milles de large, je fis une petite éxcursion en Fife, le tout afin de voir les ruines de St. Andrews, et de savoir quel était l’état du pays, dont la face entiere a quinze ou vingt milles des cotes, est parfaitement cultivé, et en outre couverte de mines de charbon. La capitale, Coupar, semble dans un état assez florissant ; mais pour St. Andrews, il est presqu’entierement enséveli sous les ruines. La cathédrale a du être immense, il n’en relie qu’un coté, tout a été détruit, aussi bien que le chateau, ou les Écossais montrent encore, avec colere, la fenêtre d’ou le Cardinal Béton regardait brûler quelques pauvres gens, martyrs de leur foi, — et a laquelle il fut pendu lui-même peu de temps après.

Les universités font encore vivre cette ville, qui, par ce qui en réste, semble avoir été fort grande. Elle est peu considerable a present, cependant il y a encore deux rues allez bien baties, et le pays aux environs étant excellent et bien cultivé, on m’a assuré qu’on y vivai a meilleur marché qu’ailleurs. C’est un préjugé communément reçu chez l’etranger, que l’on vit a très bon marché en Écosse ; partout ou j’ai été, j’ai toujours trouvé les choses au même prix qu’en Angleterre, et souvent plus cher. Loin d’étre un blâme sur le pays, c’est plutôt un éloge, car c’est une preuve que l’industrie y a fait de grands progrès, et que les habitans sont en état de payer les provisions doubles de ce qu’ils faisaient il y a cinquante ans, quoiqu’élles fussent moitié plus rares.

Retournant a Dundée, et revenant la nuit d’une maison de campagne, a cinq ou dix milles, avec un Français, qui de semaine en semaine est dans cette ville depuis vingt ans, et qui parait avoir gagné l’éstime des habitans ; quoiqu’il fit tres noire, que même il plut, j’eus dans le chemin un plaisir singulier en conversant avec deux jeunes gens, qui me semblerent des gens du commun ; je leur deman dai que) était l’origine de la ville ? Ils me dirent que des Bénédictins rassemblerent les habitans, et donnerent a leur couvent et au rassemblement qu’ils avaient reussi a former auprès, le nom de Deo datus, d'ou était venue Dundée : Quoique l’étimologie me sembla furieusement altérée, je la reçus pour bonne. Cela me mit en train de leur faire d’autres quéstions, auxquelles ils firent les réponses les plus judicieuses. Ils avoient surtout très présent les éxpeditions des Romains dans l’Ecosse, qu’ils m’assurêrent avoir laissé partout des traces des leur passages. La dessus je m’informai, si le poste fortifié au sommet d’une montagne a quelque distance de la ville était de l’ouvrage des Romains ? Non, dit l’un, car il est rond, et tous les postes Romains sont quarrés ; il finit par dire, qu’il le croyait Danois.

Puis me remettant en route j’arrivai a Aberbrothick par une pluie averse ; après m’être seché de mon mieux, je fus visiter le port, qui est fort peu de chose, et bon seulement pour les petits vaisseaux ; il est défendu par une batterie, qui fut élevée après l’insulte qu’un corsaire Français, s’avisa de faire a la ville, dans la guerre d’Amérique. Il osa demander une contribution considérabie, et sur le refus, il tira quelques coups de canons, qui éffrayerent beaucoup les habitans ; car quoiqu’ils soyent trois ou quatre milles, ils n’avaient pas un vieux pétard pour lui rendre le salut. On me montra trois ou quatre trous que ses boulets avaient faits dans les murailles d’une maison, et on convint que s’il n’eut demandé qu’une somme modique il l’eut obtenu. Je fus conduit dans les belles ruines d’un ancient couvent de Bénédictins, qui avait fondé la ville ; car ces mêmes Écossais, qui semblent si bonnes gens a present, ont, dans le temps, fait aller gaiment l’ouvrage du Seigneur, comme on disait alors : Ils ont détruit de fond en comble a la Reformation presque toutes les anciennes églises, et ont ainsi renversé, pour satisfaire un zele assez peu sensé, des monumens qui faisaient honneur a leur pays, et dont la perte ne se pourra jamais réparer.

D’Aberbrothick je fus présenter une lettre a un fermier de ce pays. Il était catholique, et j’avoue que j’en fus bien aise, afin de connaître si leurs manieres avaient quelque chose de différent des autres, mais je ne vis rien du tout.

Montrose est une petite ville, mais elle a un bon port, et est assez bien bâtie. On voit vis a vis un pont de bois, separé dans le milieu par une petite isle ; ce pont a coûté plus de quinze milles livres sterlings, et l’on a enfoncé les piles dans un endroit ou il y avait plus de trente pieds d’eau ; C’est un bel ouvrage, qui l’eut pourtant été infiniment davantage, s’il eut été bati en pierre, mais cela eut demandé plus que le double de la somme, et probablement ce sera pour la race future, lorsque le pont de bois sera devenu vieux. Le propriétaire de l’isle éspere pouvoir y batir un nouveau quartier, ce qui dans le fait serait convenable pour les marchands, dont les vaisseaux pourraient venir à leur porte.

Mais ce qui surtout est tres remarquable a Montrose, c’est l’hospitalité et la politésse dont se piquent les habitans. La campagne aux environs est charmante, et couverte d’un grand nombre de maisons appartenantes a dès particuliers riches, qui vivent de la maniere la plus honorable. Et comme rarement la facilité des manieres marche sans être accompagné de qualités encore plus éssentiélles, aussi Montrose est-il fameux pour les souscriptions nombreuses qui se lévent souvent pour les pauvres. J’en sais même d’un genre peu commun, comme les gens aisés se cottisant, pour aider un homme réspéctable, (que des malheurs avait obligé de faire banqueroute), a rétablir sa fortune. Ils ont aussi une maniere de penser très liberalle, et quoique religieux sont loin d’être importuns pour ceux qui pensent differement. J’ai eu occasion d’aller plusieurs fois au bal que les propriétaires donnent par souscription chaque trois semaines a Montrose. Je n’y ai pas trouvé l’assemblée très nombreuse, mais parfaitement choisie et réélement brillante. La danse Ecossaise, ou Reel, est éxtrêmement difficile a suivre pour un étranger ; la mesure en est si précipitée et si différente des contredances Françaises, qu’on en voit fort peu qui y réussissent, mais les habitans les dansent avec beaucoup de grâce et de légèreté.

Au surplus, on boit sec dans ce bon pays ; j’ai plusieurs fois assisté a des libations allez copieuses ; mais surtout, jamais je n'oublierai le Lisbonne blanc d’un certain Docteur, qui a force de charger le verre de toasts royalistes, aux quels je ne pouvais me dispenser de faire raison, me fit monter tant de loyauté dans la tête, que la muraille n’était pas de trop pour retourner a mon auberge.

A cinq mille au nord de la ville on rencontre un beau pont, qui traverse une vallée et une riviere assez large, près de son embouchure : Au premier pas que l’on fait deflus, la vue est frappé d’une longue inscription, haute de huit a neuf pieds, placée sur le garde fou : — "uTraveller, pass sufe and free upon this bridge, “ — qui fut bati sur ce dangereux torrent, et apprends que tu en es redevable aux générofités de Mr un tel qui paya tant, un tel tant, &c.” De l’autre coté, sur une pierre moins grande, le voyageur est aussi informé que le roy a fait les fraix de cinq cents livres sterlings pour achever de completter l’ouvrage. Après avoir remercié tous ces Messieurs, comme je le devais, faisant même une profonde révérence a la pierre du roy ; quoique son cadeau me sembla bien mince en comparaison des six mille et quelques cent livres sterling, écrits de l’autre coté ! Je passai surement dessus, comme on m’éxhortait a le faire, et ne pus pas m’empêcher de me rappeller l’épigrame de Piron qui, a Beaune, a la suite d’une inscription annonçant ainsi que celle-cy a la posterité les personnes magnifiques et généreuses qui en avaient fait les frais, après les mots, Ce pont a été bati, &c. ajouta ici, et couvrit la seconde ligne de platre ; de sorte que le voyageur étonné apprenait avec surprise, que le pont sur lequel il passait, avait été fait dans l’endroit même ou il était.

Traversant une dixaine de milles d’un pays qui me parut bien cultivé, quoique un peu nud, je m’arrêtai a une cascade près du bord de la mer, dont on a rendu les approches très agréables par des allées coupées dans un petit bois, qui la couvre presqu’entierement ; et bientôt arrivai a Benholm, ou je reçus l’accueil le plus flatteur que l’on m’ait fait dans mon pèlerinage autour d’Ecosse ; Mr. et Mde. Robertson Scott, me mirent tout de suite a mon aise, par un ton de bonté dont a grand besoin un voyageur a pied dans la Grande Bretagne ! Le souvenir les trois jours que je passai alors a Benholm me sera toujours précieux ; les bontés et l’interet que l’on m’y a témoigné m’ont fait former une liaison, qui dans des jours plus calmes m’empêchera de regrétter la misere de l’émigration.

Brechin est une petite ville a l’ouest, et sur la même riviere a neuf milles de Montrose ; elle est située sur de petites collines qui en rendent la situation éxtrêmement plaisante, les arbres qui sont assez rares ailleurs, ici sont très communs, et lui donnent un aspect champêtre. C’était autrefois le sejour de l’évêque qui jouissait d’un grand pouvoir dans le pays, et de biens considérable. On y voit une ancienne tour, dont on ne connaît, ni l’usage, ni l’origine ; elle est adjoinante l’église, qui a été bâtie a coté, est ronde et peut avoir douze ou quinze pieds de diamètre ; l’ouvrage de maçonnerie est parfaitement lié ensemble, quoique de l’antiquité la plus reculée ; car il y a des personnes qui prétendent quelle fut bâtie avant l’êre du Christianisme, et que la pierre sur laquelle est marquée la crucifixion, avec quelques inscriptions y ayant rapport n’y fut appliquée que longtemps après. Ouoiqu’il en soit, par sa hardiesse, et la solidité de l’ouvrage, elle mérite d’être visitée par l’étranger ; elle tremble visiblement lorsque le vent est fort, et parait entièrement separée de l’ancienne cathédrale au coin de la quelle elle est située. De la je fus sur la térrace du chateau, d’ou l’on a un point de vue de plus agréable, sur la riviere qui coule au bas, a une hauteur de cinquante a soixcente pieds ; le chateau est bati dans l’ancien style avec une longue allée de beaux arbres.

On voit a quelques distance de l’autre coté de la riviere la maison de Kinnaird, bati sur le modele d’un ancien chateau : C’est une maison immense, que son propriétaire, Sir David Carnegie, rend infiniment agréable a ses voisins et a l’étranger.

Forfar, la capitale de l’Angus, n’a rien de bien remarquable, que le lac ou furent noyés les meurtriers de Malcolm un roy d’Ecosse, en éssayant de le passer sur la glace. On voit a quelque distance un camp Romain très bien conservé, et dont les ramparts sont très élevés ; on y voit aussi quelques pierres sculptés, monumens grossiers d’une victoire sur les Danois. La longue vallée dans laquelle est Forfar, traverse toute l’Ecosse depuis Ben-lomond, jusqu’au de la de Bervy.

Laurencekirk est une nouvelle petite ville dans la meme vallée, bâtie par Lord Gardenston, un des juges de la Cour de Session, le même qui a bati a ses dépens le petit temple dans lequel est la fontaine d’eau sulphureuse a Edinbourg. Il a reussi a établir et a faire fleurir des manufactures dans un pays presque désert avant cet établissement. Il y a bati une belle auberge, et y a fondé une bibliotheque pour l’usage des étrangers, qui sont priés d’écrire quelque chose sur un livre qu’on leur présente, ainsi qu’il se pratiquait a la grande Chartreuse en France, après y avoir reçu l’hospitalité.

Je ne l’ai jamais vu ! il est mort avant que je ne vins dans ce pays, mais il m’est flatteur d’avoir une occasion de rendre hommage aux efforts des talens, guidés par la bienveillance.

On voit a quelque distance un pont bâti sur un torrent rapide, a l’instant de sa chute ; il peut etre élevé d’un centaine de pieds. Puis je fus me presenter chez un ministre a quinze ou vingt milles plus loin. Si dans le fonds des provinces de France un voyageur s’était arrêté chez un curé de campagne il l’eut trouvé j’imagine un bon humain, mais c’est tout ; ici je fus reçu, et l’on me parla sur toutes éspéces de sujets, avec la politesse d’un homme du monde, on m’y donna deplus de très bons erremens pour la course que j’avais envie de faire, meme pour les parties les plus éloignées.

L’ancien chateau de Dunnotar est très extraordinaire, sur le bord de la mer, presque entouré d’eau, et situé sur un roc escarpé que les habitans appellent avec juste raison Plum Pudding Rock, car il lui est tout a fait semblable, par la singuliere incrustation de cailloux de différents formes, grosseur, et couleur, dans une éspéce de ciment que le temps a aulîi changé ên pierre. A en juger par les ruines immenses, ce devait être une place considerable ; la plupart des voûtes sont entières, et parfaitment bien conservées ; on peut se promener un quart d’heure dans ces sombres demeures. L’on y montre des prisons horribles, qui peuvent donner une juste idée du Black-hole de Calcutta, ou soixcente prisoniers Anglais furent étouffés. Dans quelques unes le pauvre misérable était déscendu par une trappe, et n’avait d’autre air que par un trou quarré de six pouces de diametre, pratiqué dans l’épaisseur du mur, et dont l’ouverture était au sommet, trente pieds au dessus, de sorte que la plus foible lumière n’y pouvait pénétrer. Il y a dans ce cachot une petite source d’un eau, un peu salée. On voit auprès une voûte très longue, ou la seule entrée a l’air était un trou rond, semblable à celui d’une meurtrière, pour placer un fusil, et l’homme qui me conduisait m’a rapporté la tradition qui dit, qu’il y a eu jusqu’a cent cinquante malheureux enfermes dedans. On voit au milieu de la cour un bassin d’une eau pure, dont la source fut vraisemblablement autant la cause d’un rassemblement que les idées dé defence. On y voit les relies d’un batiment assez semblable a quelques uns que j’ai vu en Suisse, où la cheminée bâtie en cône occupe tout l’espace, le feü au milieu, et les gens autour, sans autre jour que l’ouverture par laquelle la fumée s’échappe, a la hauteur de trente pieds a peupres. En Suisse les murailles sont tapissées jusqu’au sommet, de langues, de jambons, et de saucissons. J’ai tout lieu de croire que l’on avait le même usage ici. Le donjeon parait plus ancien que le reste ; on y voit trois voûtes, les unes sur les autres, et le sommet de la tour domine le reste du chateaü et une partie du pays. Ce rocher est de toutes parts perpendiculaire, et presqu’entiérement isolé au milieu de la mer ; même pour y entrer il est nécéssaire de déscendre au fonds de la vallée et de remonter ensuite. La confusion des rocs dans lesquels la mer a pratiqué des caves considérables, est presque autant digne de l’attention que le chateau même.

Ce fut de la, qu’une dame du nom d’Ogilvie, sortit avec les ornemens royaux d’Ecosse sous sa robe, traversa le camp de Cromwell qui assiégeait la place, ou son frerc commandait, les porta dans sa maison, et les préserva jufqu’a la réstauration de Charles second, a qui elle les présenta.

Ce chateau, avec plusieurs autres grandes maisons et des terres considerables, appartenait au Comte de Marischall, et fut confisqué et détruit après l’éxpulsion du Prétendant, dont il avait embrassé la cause. J’ai reçu l’hospitalité dans la principale maison qui lui appartenait, et j’ai cru remarquer que les habitans conservaient toujours un grand respect pour cette famille, dont ils m’apprirent que le dernier était au service du roi de Prusse il y a quelques années.

Le pays depuis Perth, suivant le cours du Tay, jusqu’a Dundee, et ensuite les bords de la mer, a quelques milles nord de Stonehaven,(une assez jolie petite ville a un mille de Dunnotar) est assez bon, et bien cultivé, et tellement, que pres la ville il y a une centaine d’acres de terres qui sont loués au prix énorme de huit guinées par acre. De là, jusqu’a Aberdeen, la scêne change, tout le pays est presque couvert de tourbe, on y a pourtant fait quelques améliorations dans ces derniers temps ; les grands proprietaires y ont planté du bois, qui parait venir assez bien, mais il est encore bien jeune.

On m’assuré, que les habitants de ces côtes étaient de tems immémorial adonnés a la contrebande des vins ; et quoique dernièrement ce ne soit plus si commun, cependant j’y ai bu d’un très bon champagne rouge, qui n’avait gueres coûté qu’un shelling la bouteille, et dont le propriétaire ne savait pas le nom, et l’avait eu parceque le marchand poursuivi par les commis, était bien aise de s’en défaire a quelque prix que ce fut.

Les gens du commun près de Stonehaven sont réputés être de terribles buveurs de Whisky, ils en boivent, m’a ton dit, une ou deux bouteilles par jour, et ainsi se ruinent téllement la santé, que communément ils ne meurent pas vieux. Un ministre dans les environs dit, que depuis dix a douze ans, qu’il est établi dans sa charge, il a deja vu trois générations, c’est a dire, que la plupart des maisons ont changé trois fois de maitres.

Stonehaven a un petit port, dont l’entrée est difficile, mais qui parait assez sur. Ce fut la que j’eus occasion de connaître de quelle maniere les comtés étaient gouvernés, quant a leur police intérieure, ou a la répartition de l’impôt. Les propriétaires, qui ont le droit d’y paraître, se nomme freeholders, il y viennent comme representant de telle propriété dont le montant fut fixé il y a bien des années ; on n’en compte que quatorze dans çe comté (le Mearns-shire) qui ayent le droit d’y sieger, Apres les affaires finies, ce qui ordinairement ne les fatiguent pas beaucoup, ils dinent ensemble, et se dispersent. Ils sont encore obligés de renoncer au Prétendant et au Pape, auxquels personne ne pense. Sans ce serment, qu’ils renouvellent chaque année, ils ne pouraient pas remplir leur place ; cela prouve que dans tout pays on tient a la forme ! Ce sont aussi les freeholders qui elisent parmi eux leurs représentans au parlement ; chaque comté y en envoyé un, éxcépté deux ou trois petits, qui ne le sont qu’alternativement ; il y a en outre, quelques villes, ou bourgs, qui ont aussi le même droit ; en y joignant seize pairs Écossais, on trouve tout la representation de I’Ecosse au parlement de la Grande Bretagne. J’ai souvent entendu des gens se plaindre qu’ils n’étaient pas bien representé ; mais le nombre ne fait rien a l’affaire, la seule chose sur laquelle puisse se regler un étranger, pour savoir si la forme du gouvernement d’un pays est bonne et conforme au génie de ses habitans, c’est de voir s’il est florissant ; d’apres cela il n’y a pas le moindre doute, qu’on ne jugeât favourablement de celui de ce pays.

Aberdeen est une grande ville, et peut contenir près de vingt cinq mille habitans, y compris l’ancienne et la nouvelle, distante d’environ un mille ; On voit dans l’ancienne ville une université fameuse, dont les jeunes gens n’ont point d’habit distinct, quoiqu’ils ayent une redingotte rouge avec des manches pendantes ; on y voit aussi l’ancienne cathédrale, dont le chœur seul a été détruit, le reste du bâtiment sert d’église. Un peu au nord, il y a un pont d’une seule arche, très large, et pointue a la clef ; il traverse la Don, une petite riviere dont les bords sont tres resserés dans des rochers éscarpés. J’en trouve la position préférable a celle de la nouvelle ville, quoique pas si bonne pour le commerce ; il n’y a dans cette derniere rien de bien remarquable ; elle est en général mal batie et très irreguliere. Cependant on y rencontre, ce qui manque dans toutes les villes de la grand Bretagne ; je veus dire un quai sur le bord de la riviere, et ou les vaisseaux débarquent devant les maisons. Deux milles plus bas que la ville, a l’embouchure de la riviere le gouvernment a fait une jettée d’enormes pierres de taille, qui s'avance assez loin dans la mer pour la garantir des sables que la marée y apporte ; on y bâtit aussi un corps de caserne sur une petite éminence, d’ou l’on a une vue très étendue. Mais ce qui parait le plus extraordinaire, et ce qui dans le fait est le plus digne d’attention, c’est le coup d’œil que l’on a en sortant des bruyeres et de la tourbe ; après avoir été fatigué pendant huit a neuf milles de leur presque non-interruption, la vue se promène tout à coup sur la riche plaine dans laquelle est située la ville, et sur la vallée ou coule la Dee, sur laquelle on découvre un pont de pierre de sept grandes arches qui la traverse, portant partout l’empreints des armes des éveques d’Aberdeen qui le firent bâtir long temps avant la Reformation. Cette ville fait en grand partie tout son commerce avec la Norvège et la Baltique, ou elle envoie le produit de ses manufactures, qui ainsi qu’a Montrose, Bervy, et Stonehaven, consiste principalement en grosse toile pour les voiles de vaisseaux et les négres.

J’ai entendu dire que leur grand nombre avait causé parmi les enfants qu’on y emploie un libertinage qui les abâtardit visiblement : Il y a cependant des manufacturiers qui veillent de près au maintien du bon ordre, et meme a leur instruction. Il serait a souhaiter qu’un si bon exemple fut plus géneralement suivi, et je croirais que si on encourageait les ouvriers a se batir de petites cabanes, au milieu d’un terrein propre pour la culture de quelques légumes, comme a Birmingham, cela produirait bientôt de très bon éffets.

On vient d’établir dans cette ville une manufacture de whisky (ou eau de vie de grain) : on peut juger de son immensité, par l’incroyable imposition de vingt cinq mille livres sterling que les propriétaires se sont engagés a payer chaque année au Gouvernement.

J’arrivai a travers un pauvre pays a la belle maison de Fintray House, chez Sir William Forbes, a neuf milles d’Aberdeen. Son jardin potager mérite l’attention, il a trouvé le moyen d’avoir des pêches superbes avec une éspéce d’armoire de papier huilé, qui couvre l’arbre, et qu’on ouvre quand il fait beau ; il a aussi mis un pêcher sous verres, il est couché en espalier a deux pieds de la terre sur le fonds de laquelle on a mis du sable, et il est couvert par un chassis de verre, comme les melons ; l’une et l’autre de ces expériences ont réussi, la derniere particulierement. Il en a fait une autre sur un poirier, dont il a couvert la moitié avec une planche, large d’un pied au sommet de la muraille. La partie couverte était chargée de beaux fruits, l’autre n’en avoit que quelques uns de fort peu d’apparence.

C’était le douze de Septembre, et quoique si tard, et dans un pays si avancé au nord, la chaleur était extrême, au point que pour me rendre chez Mr Michaël Forbes, le frere de Sir William, dont la demuere n’est qu’a quatre milles, je fus obligé d’oter mon habit. Sa maison a été batie au milieu de la bruÿere, et les champs fertiles qui l’approche, ont aussi été tirés du meme etat. Quelque part qu’on aille en Écosse, l’industrie y a fait tant de progres dans ces derniers temps qu’a peine se trouvera t-il de propriétaires qui n’ait amélioré une partie de son terrein, et qui n’ait changé la face miserable de la bruyere en bois ou en terres labourables.

Montrose et Aberdeen partagent le droit d’envoyer un membre au parlement, avec Kintore et Inverury, deux pauvres villages décorés du nom de ville, et qui cependant ont autant de droits a la representation parlementaire. Lord Kintore a un beau chateau près dé cette derniere place, et qui parait d’autant plus surprenant, que le pays, a dire vrai, n’est pas bon.

Ayant monté de grand matin a cheval, je vis dans mon chemin deux où trois postes retranchés des Danois, et descendis à Old Medrum, qui est une petite ville assez considérable pour sa position centrale. Je continuait ma route a pied, et quoiqu’il y eut vingt huit milles, j’arrivai le soir a Banff, après, avoir traversé un pays peu habité, mais cependant pas très mauvais. Avant de gagner la ville, j’apperçus sur une colline de sable, couronné par un petit temple, plus de lapins de toutes couleurs, que je n’en ai vu de ma vie ; malgré ma fatigue, je cédai au desir de me promener au milieu d’eux, ils sont presque privés, et ne fuient que lorsqu’on cherche a les prendre. Lord Fife les loue vingt cinq livres sterlings par an, et ils sont si communs, que le couple, dépouillés de leur peau, se vend deux pences et demie, cinq sous de France.

Banff est une jolie petite ville, fort bien située, dont le port est petit, très, exposé au vent, et l’entrée assez difficile : avec une depense médiocre on pourrait aisement rémedier a ces trois grands inconvénients, il ne s’agirait que de creuser un peu le lit de la riviere, et d’y construire une écluse pour retenir l’eau a la marée basse, a deux cents toises a peuprès de son embouchure près du chateau de Lord Fife, au lieu de s’obstiner a faire des frais inutilles, au milieu des rochers.

Je m’informai des maniérés des habitans, dans la partie que je me disposais a parcourir, et je reçus des informations qui m’ont été très utiles ; ce fut la, que j’appris, qu’avec une prise de tabac et du whisky, on était presque sur de gagner le cœur des montagnards. Je profitai de l’avis sur le champ, et me fournis d’une tabatière qui dans la suite a jouée un assez joli rôle, et m’a servi plus d’une fois d’introduction avec les bons paysans de cette partie ; quant au whisky, il a toujours été mon compagnon de voyage, et il m’a quelques fois attiré des remercimens et des complimens Gaelic des plus élégants.