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Proverbes dramatiques/L’Avocat consultant

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Proverbes dramatiquesLejayTome IV (p. 157-167).


L’AVOCAT CONSULTANT,


CINQUANTE-TROISIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. GALAND DE LA RIVERIE, Avocat. Habit noir, perruque à nœuds, chapeau.
M. DE SAINT-HILAIRE,
Officiers d’Infanterie. En uniforme.
M. DE CACHANT,
BENOIT, Laquais de M. Galand de la Riverie. Habit brun, boutons d’or.


La Scène est chez M. Galand de la Riverie, dans son Cabinet.

Scène premiere.

M. DE CACHANT, M. DE S. HILAIRE.
M. DECACHANT.

Qu’est-ce que tu viens donc faire ici S. Hilaire ?

M. DE S. HILAIRE

Je viens consulter M. Galand de la Riverie, sur une affaire.

M. DECACHANT.

Parbleu ! je te plains d’être entre ses mains, car il ne finit rien : je suis bien fâché de l’avoir pour Avocat.

M. DE S. HILAIRE

Mon affaire à moi ne sera pas longue ; ce ne sera qu’une consultation.

M. DECACHANT.

On ne le trouve jamais chez lui.

M. DE S. HILAIRE

Je sais bien où il va ; mais ne t’embarrasse pas ; je ne crois pas qu’il y retourne davantage.

M. DECACHANT.

On dit qu’il est amoureux d’une Demoiselle.

M. DE S. HILAIRE

C’est cela même.

M. DECACHANT.

Tu la connois peut-être ?

M. DE S. HILAIRE

Beaucoup.

M. DECACHANT.

Je t’entends.

M. DE S. HILAIRE

Je crois avoir imaginé un moyen pour cela.

M. DECACHANT.

Ne lui fais pas de mal.

M. DE S. HILAIRE

Ne t’inquiète pas.

M. DECACHANT.

C’est que s’il étoit malade, cela reculeroit encore mon affaire.

M. DE S. HILAIRE

Tu n’as rien à craindre.

M. DECACHANT.

Je m’en vais, je reviendrai tantôt.

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Scène II.

M. DE S. HILAIRE, M. DECACHANT, BENOIT.
BENOIT.

Messieurs, Monsieur l’Avocat va revenir dans l’instant.

M. DE S. HILAIRE

Où est-il ?

BENOIT.

Il n’est pas loin, il est chez Mademoiselle de Sainte Lucie.

M. DECACHANT.

C’est cela même.

M. DE S. HILAIRE

Allons, c’est bon.

M. DECACHANT.

Adieu, S. Hilaire, à ce soir.

BENOIT.

Le voilà, Monsieur l’Avocat, il rentre par le jardin.

M. DE S. HILAIRE

Allons, laissez-nous.

BENOIT par la fenêtre.

Ici Monsieur, ici.

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Scène III.

M. DE S. HILAIRE, M. GALAND.
M. GALAND.

Ah, c’est Monsieur de S. Hilaire.

M. DE S. HILAIRE

Oui, Monsieur Galand, je viens vous consulter.

M. GALAND.

Monsieur, vous me faite bien de l’honneur, asseyez-vous donc, s’il vous plaît.

M. DE S. HILAIRE

Ce n’est pas la peine. Voici, dequoi il s’agit.

M. GALAND.

Mais, Monsieur, je ne peux pas vous écouter comme cela.

M. DE S. HILAIRE

Allons, puisque vous le voulez absolument. Ils s’assoyent.

M. GALAND.

C’est que réellement vous ferez mieux.

M. DE S. HILAIRE

Monsieur, je viens vous consulter pour savoir ce que je dois choisir d’une chose ou de l’autre que je me trouve dans la nécessité de faire.

M. GALAND.

Voyons, Monsieur, expliquez votre affaire comme elle est.

M. DE S. HILAIRE

Monsieur, je n’ai jamais eu de procès de ma vie, & je voudrois bien n’en pas avoir.

M. GALAND.

Il y a peut-être quelque moyen d’accomodement ; voyons.

M. DE S. HILAIRE

Monsieur, il y a un homme dans le monde qui me déplaît beaucoup, je suis déterminé à lui donner cent coups de bâton, ou à le jetter par les fenêtres.

M. GALAND.

Monsieur, c’est violent.

M. DE S. HILAIRE

Je le sçai bien ; mais je ne peux pas absolument m’en dispenser, & je viens vous consulter sur le choix de ces deux choses-là.

M. GALAND.

Je ne vous conseillerai jamais ni l’une ni l’autre, il y a trop de danger.

M. DE S. HILAIRE

Oui pour cet homme-là.

M. GALAND.

Pour vous-même ; mais quelles raisons avez-vous ? Il y a les voies de la Justice.

M. DE S. HILAIRE

Je vous dis que je ne veux pas avoir de procès, cela m’impatiente, & je ne veux pas tirer cette affaire-là en longueur.

M. GALAND.

Mais que vous a fait cet homme qui puisse vous porter à cet excès de violence ?

M. DE S. HILAIRE

Le voici, Monsieur. Je suis très-amoureux d’une Demoiselle fort aimable que j’ai même envie d’épouser, je crois lui plaire, & cet homme ne cesse point de venir dans la maison ; vous entendez ?

M. GALAND.

Oui, Monsieur, très-bien.

M. DE S. HILAIRE

Or, comme il paroît vouloir déterminer la mère de cette Demoiselle en sa faveur, je ne vois pas d’autre parti à prendre que de l’expulser de cette maison. N’est-ce pas expulser qu’il faut dire ?

M. GALAND.

Oui, Monsieur.

M. DE S. HILAIRE

Je trouve bien que de le faire sauter par les fenêtres seroit plus court ; mais il pourroit en mourir, & pourvu qu’il n’y revienne plus, c’est tout ce qu’il me faut ; ainsi les coups de bâton pourroient peut-être lui suffire. Conseillez-moi.

M. GALAND.

Monsieur, il pourroit arriver que…

M. DE S. HILAIRE

Parlez-moi naturellement, j’aimerois fort les coups de bâton.

M. GALAND.

Prenez plutôt le parti de la douceur ; cela auroit moins d’inconvénient.

M. DE S. HILAIRE

Oui ; mais cela sera lent.

M. GALAND.

Non, non, attendez quelques jours, vous verrez que cet homme-là prendra son parti.

M. DE S. HILAIRE

Vous le croyez ?

M. GALAND.

Oh sûrement vous ne le reverrez plus.

M. DE S. HILAIRE

Vous me le promettez ?

M. GALAND.

J’en réponds, même.

M. DE S. HILAIRE

En ce cas-là… Mais si je le retrouve encore, pour lors je prendrai le parti de la fenêtre.

M. GALAND.

Vous ne serez plus exposé à cette violence.

M. DE S. HILAIRE

Allons, Monsieur, nous verrons. Il met deux écus sur le Bureau de M. Galand.

M. GALAND.

Monsieur, qu’est-ce que vous faites donc ?

M. DE S. HILAIRE

Il faut bien que je vous paye votre consultation.

M. GALAND.

Monsieur, vous vous mocquez de moi.

M. DE S. HILAIRE

Vous n’êtes pas obligé de donner votre tems & votre science pour rien, je suivrai donc votre conseil, j’attendrai deux jours ; mais après cela je ne balancerai plus. Adieu, Monsieur Galand, en vous remerciant.

M. GALAND.

Monsieur…

M. DE S. HILAIRE

Rentrez donc.

M. GALAND.

Monsieur, je vous verrai aller. Ils sortent.

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Explication du Proverbe :

53. Un bon averti en vaut deux.